Double dose de Takeshi Obata

Takeshi Obata représente, aujourd’hui, la quintessence du style manga contemporain. Son graphisme, semi-réaliste, et sa mise en page dynamique ont su capter l’attention des lecteurs avec son premier succès : « Hikaru no go », publié en France par Tonkam. Mais c’est avec le scénariste Tsugumi Ohba qu’il va réaliser deux de ses plus grandes œuvres : « Death Note » et « Bakuman ». Le duo revient avec la série « Platinum End » et Obata figure également en couverture du polar « School Judgement », en cette fin d’année 2016. Une double dose de cet excellent dessinateur pour le plus grand plaisir des lecteurs.

« Platinum End » en est déjà à son troisième tome. Après deux volumes un peu poussifs, servant principalement à mettre en place l’univers de la série, on retrouve enfin la force du scénario de Tsugumi Ohba. Celui-ci avait bluffé tout le monde avec son polar « Death Note ». Puis, avec « Bakuman », il s’était lancé dans une explication didactique et détaillée du monde de l’édition japonaise. En changeant complètement d’univers et de sujet, il affirmait son talent de conteur à l’imagination débordante. En effet, pour expliquer l’ascension de ses deux mangakas en herbe, il avait dû créer de nombreuses histoires dans l’histoire. À cause de cette mise en abîme amenant une profusion d’idées nouvelles, il était attendu au tournant. Savoir se renouveler après deux coups de maître totalement opposés était un challenge à la hauteur de son talent.

Quand on commence « Platinum End », on ne peut s’empêcher de penser aux multiples recettes développées par les protagonistes de « Bakuman » pour devenir les plus grands auteurs de Jump. Surprendre le lecteur n’était donc pas facile. Il a donc opéré un changement de registre en explorant les arcanes de la science-fiction mystique. Le lecteur suit la vie de Mirai (1) : un garçon sans avenir. Ses parents étant morts dans des circonstances tragiques, il a décidé de se suicider en ce dernier jour d’école. C’était sans compter sur un ange qui le sauve et lui propose, ni plus ni moins, que de devenir Dieu. Bien sûr, ce ne sera pas simple : il est en compétition avec douze autres prétendants et le combat se fera au péril de sa vie.

C’est dans le troisième chapitre que la concurrence commence à se dévoiler avec l’apparition de Metropoliman : un candidat cachant ses nouveaux pouvoirs derrière une combinaison de super-héros. L’arrivée de ce compétiteur va permettre de répondre à de nombreuse questions, tout au long du second tome. Puis, c’est dans le troisième opus que l’histoire décolle vraiment avec la venue d’un autre candidat au caractère bien plus ambigu que notre héros au caractère un peu trop lisse. Aujourd’hui, la série entame son rythme de croisière et le scénario va nous égrener les candidats restant un à un.

Présenté sous une couverture luxueuse aux reflets nacrés, cette série est déjà un carton, se félicite son éditeur, Kazé. Selon le classement des meilleures ventes de  Livre Hebdo du 5 au 11 septembre 2016, le tome 2 y est classé directement en quatrième position. Une progression de 50 % des ventes sur la première semaine de sortie par rapport au premier tome. Il faut souligner l’effort considérable qu’a fait Kazé pour promouvoir ce titre. Les chapitres sont disponibles quasi simultanément avec la publication japonaise sur toutes les plates-formes légales de prépublication numérique (2). Le public avait pu rapidement découvrir la série. Coupant l’herbe sous le pied aux pirates traduisant, souvent maladroitement, mais aussi très rapidement, les derniers mangas en toute illégalité.

Entre la fin de « Bakuman » et le début de « Platinum End », le dessinateur Takeshi Obata n’est pas resté inactif. Il y a d’abord eu l’adaptation en manga du roman ayant inspiré le film « All You Need is Kill » paru en français en deux volumes chez Kazé. Encore une fois, on a pu apprécier sa maîtrise graphique extrêmement dynamique, convenant à merveille pour de la science-fiction de cet acabit. Il a également dessiné une trilogie scénarisée par Nobuaki Enoki : « School Judgment ». Titre que les éditions Kana nous proposent maintenant en français.

L’intrigue suit les aventures d’Inugami : un très jeune avocat plaidant dans les tribunaux scolaires nouvellement créés dans ce monde parallèle. Sa répartie fait sa force, c’est grâce à ce talent et à son esprit de déduction qu’il remporte ses procès. Bien sûr, c’est une série complètement farfelue, servant de divertissement à un très jeune public qui aimerait bien, de temps en temps, qu’un avocat de leur âge vienne à leur secours et leur offre une répartie cinglante à servir à leurs camarades et surtout aux adultes.

Avec ce titre, Obata revient vers les séries de déduction qui ont fait sa renommée avec « Death Note ». Mais, le scénariste, Nobuaki Enoki, n’est pas aussi subtil que Tsugumi Ohba, auteur de « Death Note », ou que Gōshō Aoyama, le prolifique créateur de « Détective Conan ». Une série mythique qui a su nous surprendre tout au long des 88 tomes (à ce jour), également publié en français chez Kana. « School Judgment » s’adresse clairement à un public très jeune, même si le caractère verbeux de l’œuvre risque de décourager certains lecteurs peu habitués à voir autant de texte sur chaque page.

Ce qui est intéressant, c’est qu’à la fin du troisième tome, le lecteur découvre la première version du manga dessiné par le scénariste en personne. Les fidèles lecteurs de « Bakuman » savent bien maintenant comment fonctionne le parcours éditorial d’une œuvre. Concours, premier chapitre de test dans un magazine, etc. Et bien, c’est ce premier chapitre qui est offert en bonus. Le lecteur aguerri verra vite la différence de traitement entre l’œuvre du scénariste et celle retravaillée par Obata. Cette comparaison montre indéniablement que cette nouvelle vision artistique, avec cette maîtrise de l’espace et des personnages, peut vraiment contribuer au succès du titre. Kana qui publiais déjà « Death Note » et « Bakuman » à bien évidemment mis en avant les trois volumes de « School Judgment », sorties simultanément début novembre.

Kazé a lui aussi beaucoup misé sur le dernier titre d’Obata, « Platinum End ». On a déjà parlé de la prépublication numérique quasiment simultanée avec le Japon qui continue chaque mois au pris rikiki de 0,99 € par chapitre. Ce qui revient à moins de 3 € pour le recueil complet. Mais un nouveau chapitre poussant l’autre, les premiers ne sont déjà plus disponibles individuellement, il faut se rabattre sur les recueils publiés tous les trois mois, eux aussi disponibles en version numérique (4,99 €) et en version papier (6,99 €).

L’offensive se poursuit avec la publication du troisième volume papier avec un lot de trois marque-pages offert pour les nouveaux acheteurs ainsi qu’un coffret collector regroupant les volumes déjà sortit. Ce qui est dommage, c’est que ce coffret ne sera pas disponible pour les fans de la première heure ayant déjà investi dans les deux précédents volumes.

Malgré quelques facilités de scénario, ces deux titres sortent du lot des publications actuelles grâce au trait chaleureux du talentueux Takeshi Obata. Deux séries qui en mettent plein les yeux, destinées aux fans amateurs de thriller.

Gwenaël JACQUET

« Platinum End » T3 par Tsugumi Ohba et Takeshi Obata
Éditions Kazé (6,99 €) – ISBN : 978-2-82032-540-2

« School Judgment » T1 à 3 par Nobuaki Enoki et Takeshi Obata
Éditions Kana (6,85 €) – ISBN : 9782505066637

(1) Mirai : Pour l’anecdote linguistique, le prénom de ce jeune garçon veut dire « demain » et à la même sonorité que le mot « futur » en japonais. Amusant pour un jeune homme sans avenir qui pense à se suicider.

(2) La série a commencé à être traduite en français alors que le troisième chapitre sortait au Japon. À raison d’un chapitre par mois, les quatre premiers furent donc publiés à rythme soutenu d’un chapitre par semaine.

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