« Judge Dredd : les affaires classées 01 » par John Wagner & co

Je vous l’avais annoncé ce printemps, attention événement : « Judge Dredd » est VRAIMENT de retour en France ! En effet, à l’aube des 40 ans de la mythique revue 2000 A.D., le label Delirium propose le premier volume de la première édition intégrale digne de ce nom des épisodes classiques de cette série non moins mythique ! Ce superbe album de 352 pages couleurs et noir et blanc en grand format (22 x 30 cm) va assurément faire le bonheur des malheureux fans français de Dredd, après tant d’errances et de rendez-vous manqués durant tant d’années… Un manque patrimonial important est donc en train d’être joliment comblé, tout autant que nous le sommes (comblés). Patrimonial. Incontournable. Punk. Telle est la Loi.

Au mois de mars, lors de la sortie d’un album reprenant des épisodes récents de « Judge Dredd » chez cet éditeur, j’en avais profité pour vous présenter cette série et retracer son parcours éditorial en France. Nul doute que j’aurais dû réfréner mon excitation à l’époque, car je m’aperçois aujourd’hui que le présent article est le moment opportun pour parler de tout cela. En effet, la sortie de ce premier volume d’une vraie et belle et sérieuse intégrale « Judge Dredd » est le moment rêvé pour que les lecteurs qui ne connaîtraient pas encore cette série extraordinaire la découvrent dans les meilleurs conditions, et pour les vieux fans c’est l’occasion d’avoir enfin une édition chronologique et de qualité, reprenant les épisodes tels qu’ils furent publiés dans 2000 A.D., sans censure et avec amour : il était temps !!!! Avant de vous parler précisément de cet album-événement, je vous propose de lire (ou de relire) ce que j’avais donc écrit ce printemps à propos de « Judge Dredd » et de son parcours éditorial français.

« Pour beaucoup (et c’est en cela que le film avec Stallone a été si désastreux et préjudiciable pour l’image du personnage), Judge Dredd n’est qu’un justicier ultra violent, héros plus qu’ambigu drainant de sales valeurs, agissant au nom de la loi sans réfléchir une seconde à son bien-fondé ou non. La réalité est bien plus complexe que cela, bien sûr, Wagner étant aux antipodes de l’auteur fascisant ! Car 1977, la Grande-Bretagne… ça ne vous rappelle rien ? L’émergence du mouvement punk, en réaction à une société de plus en plus thatchérienne… Mais cette révolte sociale et culturelle ne se situa pas seulement dans la musique de groupes tels que les Sex Pistols, elle s’exprima aussi dans de multiples territoires intellectuels et artistiques, dont la bande dessinée, bien sûr… Toute une génération, dont Bryan Talbot, par exemple, contesta dans ses bandes dessinées l’ordre social tel qu’il s’articulait alors, parfois sous le sceau de la SF ou de l’anticipation, comme dans cette nouvelle revue dénommée… 2000 A.D., créée par Pat Mills. Comme souvent, lorsque la contestation humaniste se veut forte, la réaction de l’establishment cherche à décrédibiliser – voire à diffamer en inversant les rôles – les contestataires du système (on l’a vu avec les EC Comics). À travers leurs Å“uvres, des scénaristes comme Pat Mills et John Wagner ont bousculé et dérangé la bien-pensance, heurté l’hypocrisie ambiante, dénoncé l’intolérable dans un humanisme engagé et sans concession, cherchant à déclencher la réflexion et une certaine prise de conscience chez leur lecteurs. Ainsi, l’univers glacial et criminel de « Judge Dredd » n’est pas une apologie de la violence mais bien une charge extraordinaire envers ce que l’humain est capable de faire en termes d’inhumanité, l’auteur utilisant parfois un humour trash afin de ne pas totalement effondrer le lecteur, le maintenant plutôt dans une énergie de révolte légitime. »

« En France, « Judge Dredd » est apparu de manière très succincte au début des années 1980, tout d’abord dans les kiosques via des petits formats comme Super Force et Janus Stark Spécial ou dans la revue Métal Hurlant avant d’obtenir son propre titre chez Arédit/Artima (16 numéros parus entre 1984 et 1986). Côté édition, il n’y eut guère que deux albums durant cette période, publiés en 1982-83 par les Humanoïdes Associés. Puis pratiquement une décennie de silence avant de revenir dans trois albums aux Éditions Comics USA ou dans la série des « Légendes des Méga-Cités » chez Arboris, par exemple… Bref, peu de choses, finalement, avant d’avoir enfin droit à une édition intégrale de la série originelle chez Soleil (4 gros volumes en noir et blanc parus entre 2011 et 2013), mais, ô rage ô désespoir, cette intégrale fut une véritable catastrophe, capable de repousser même les fans les plus pragmatiques : en effet, outre qu’il soit incompréhensible qu’une telle première édition intégrale en France n’ait bénéficié d’aucun appareil critique, d’aucun dossier revenant sur la série, sur ses auteurs et sur 2000 A.D. (ce qui aurait été le minimum syndical afin de faire découvrir cette Å“uvre à de nouveaux lecteurs), ces albums sont tout bonnement illisibles à cause d’un texte tellement truffé de fautes d’orthographe, de syntaxe et de ponctuation que la lecture en devient pénible, consternante, voire épuisante, puis impossible, obligeant à refermer l’album sans aller plus avant, un petit pincement au cÅ“ur et une rage sourde en l’arrière du cerveau… Quel immense et dramatique gâchis !!! C’est en partie en réaction à ces éditions successives qui ne furent que sporadiques ou ratées et à l’« adaptation » cinématographique calamiteuse qui a totalement dénaturé cette Å“uvre que les éditions Delirium ont décidé de frapper un grand coup afin de réhabiliter ce personnage et cette série qui demeurent historiques dans le paysage des comics britanniques modernes… »

Et nous voici donc aujourd’hui en novembre 2016, et le tant attendu premier tome de cette intégrale est enfin sorti ! Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on n’est pas déçus. Tout d’abord, de l’extérieur, ça en jette : reprenant l’édition anglaise de Rebellion, l’imposant volume se présente sous une couverture dont la puissante sobriété graphique est une réussite totale. Pages de garde tout aussi impeccables graphiquement. Et le contenu… une quarantaine d’épisodes, rien que ça, depuis les débuts de la série en mars 1977 jusqu’au mois d’avril de l’année suivante (2000 A.D., Progs 2 à 60), plus quelques bonus dont « Le Premier Dredd » (épisode pilote), les planches de « Walter le wobot » parues durant cette période, ainsi que des couvertures de 2000 A.D. Le tout présenté tel que cela fut publié dans la revue, avec parfois ses quelques planches en couleurs (Delirium avait déjà respecté ce côté fac-similé avec l’édition de « La Grande Guerre de Charlie »). Le grand format nous permet de profiter enfin comme il se doit des dessins souvent charbonneux ou touffus d’Ezquerra, McMahon ou Gibson, de mieux appréhender certains détails des décors qu’on avait jusque-là parfois eu du mal à cerner à cause d’une impression trop petite et/ou foireuse. C’est donc un vrai bonheur que de se (re)plonger dans ces premiers épisodes dans de telles conditions, la qualité de reproduction étant au rendez-vous sur papier couché et la nouvelle traduction signée Patrice Louinet redonnant une belle lisibilité à l’œuvre. OUF ! Le navire est sauvé. Grâce à la passion et au sérieux de Delirium, « Judge Dredd » a enfin droit à l’attention et l’estime éditoriales qu’il mérite en France. Au nom de la loi, alléluia !

Outre les épisodes en eux-mêmes, cet album propose une introduction de Pat Mills qui revient sur les origines créatrices et éditoriales de « Judge Dredd ». Un texte passionnant nous révélant les coulisses de cette aventure, notamment sur ses débuts quelque peu… compliqués. Auteurs et artistes hésitèrent, essayèrent, arrêtèrent, se relayèrent dans les premiers temps et dans l’urgence. Grâce à un sommaire savamment crédité, on se rend mieux compte de cette évolution des équipes artistiques durant les premiers épisodes de la série (au début, les auteurs n’étaient pas crédités). Ce volume nous permet donc aussi d’assister à l’installation progressive puis récurrente de John Wagner au sein de la série au bout de quelques mois… Il nous permet aussi de nous remémorer à quel point « Judge Dredd » fut dès le départ une véritable bombe dont le sidérant ton autoritaire et absurde génère autant de rire que de révolte, glacial et tragi-comique, décapant les conscience avec application et folie. Au-delà de ça, l’univers de Méga-City draine aussi de beaux archétypes de science-fiction, avec notamment la présence des robots (l’arc « Robot Wars », débuté au bout de seulement 10 numéros et dans lequel officia le grand Ron Turner, c’est quand même quelque chose !). Les fans de Brian Bolland ne seront pas en reste, bien sûr, puisqu’il débarqua sur la série dès décembre 1977. Voilà ! En attendant le prochain volume, je vous souhaite une bonne lecture de ce bijou, mais en faisant bien attention à respecter la loi, hein, sinon il risque de vous arriver des bricoles…

Cecil McKINLEY

« Judge Dredd : les affaires classées 01 » par John Wagner & co

Éditions Delirium (34,00€) – ISBN : 979-10-90916-28-9

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7 réponses à « Judge Dredd : les affaires classées 01 » par John Wagner & co

  1. Michel Dartay dit :

    Bonsoir ami Cecil!
    Oui, il est amusant de constater que Judge Dredd fut à l’époque de ses premières traductions françaises, boudé par une partie du lectorat, qui n’y voyait qu’une apologie du fascisme et des violences policières, bien avant le sinistre film avec Stallone. Et encore plus avec Marshal Law!!

  2. Simon Couronné dit :

    Bonjour M.McKinley,
    Connaissez-vous le nombre de volumes que cette intégrale est censée contenir, ainsi que le rythme de parution ? Ou bien Délirium n’a pas communiqué sur cet aspect ?
    Merci pour votre présentation : je m’en vais découvrir Judge Dredd très vite !
    Cordialement (et dans le respect de l’ordre social).

    Simon Couronné.

    • Bonjour Simon,

      Désolé de cette réponse tardive…
      Le seules infos dont je dispose sont que 4 volumes sont déjà programmés, à raison d’une sortie par an. Ensuite… nous verrons bien ! Je pense que Delirium saura opérer des choix tout à fait convenables sur la longueur…

      Bien à vous,

      Cecil McKinley

  3. Franck Guigue dit :

    Notre juge préféré méritait bien cet hommage, merci. J’en profite pour préciser que l’on cite souvent (et à raison) de manière tragique le mauvais film « Juge Dredd » de Danny Cannon, avec Sylverster Stallone, sorti en 1995, mais en oubliant de préciser qu’une autre adaptation, elle bien plus intéressante, mais sortie malheureusement directement en DVD en 2012, a été réalisée par Peter Travis, avec dans les rôles principaux : Carl Urban (Dredd) et Olivia Thirlby (Cassandra Anderson).
    Je le conseille, en bonus de ce magnifique 1er recueil.

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