« Alex + Ada » T1 par Jonathan Luna et Sarah Vaughn

Les robots peuvent-ils être « humains » ? Quelles différences y a-t-il entre eux et nous ? L’intelligence artificielle peut-elle engendrer la notion de sentiment ? Voici quelques-unes des multiples questions de ce grand thème de la robotique en SF qui est devenu – depuis Asimov et K. Dick – un grand classique du genre, essaimant même par-delà la science-fiction. « Alex + Ada » explore cet univers sous un angle frontal et sensible qui génère de nouveaux questionnements, sous le sceau d’un humanisme bienvenu. Une belle émotion.

Dans un futur qu’on imagine pouvoir être relativement proche, Alex, un jeune homme quelque peu introverti, reçoit de sa grand-mère décomplexée un cadeau plutôt désappointant pour son anniversaire : une androïde Tanaka X5 plus vraie que nature, superbe jeune femme synthétique sans conscience et censée obéir aux moindres desiderata de son maître. Sortant d’une douloureuse histoire amoureuse, Alex est d’autant moins enclin à entamer quelque relation que ce soit avec un être fabriqué, sans volonté, sans ressenti ni libre arbitre personnel. Mais, attiré malgré lui par cette si touchante androïde au point de ne pouvoir s’en séparer, il va faire en sorte que celle-ci devienne « un peu plus humaine » en lui offrant la conscience, au risque de la perdre. Acte d’amour avant d’avoir même pu vivre le fait d’être amoureux, projection d’un ressenti dans le futur, aussi incertain puisse-t-il être… Au-delà du thème et du questionnement des I.A. très en phase avec l’air du temps, « Alex + Ada » est avant tout une belle et vraie histoire d’amour. Et c’est bien par ce cheminement intrinsèquement sensible que l’auteure instille les fameux questionnements sur notre humanité, son sens et sa nature, et sa filiation cybernétique, continuité de soi qui nous fait de plus en plus peur au fur et à mesure qu’on l’améliore afin de nous ressembler, processus paradoxal aussi attirant que terrorisant…

Est-ce parce que le scénario est écrit par une femme, dont peu de congénères ont été reconnues sur ce sujet, et dont nous n’avons donc pas pu bénéficier de leur talent à ce propos ? Avec « Alex + Ada », une impression de fraîcheur et de profondeur se dégage tout de suite, naturellement, car le sujet est traité avec une sincérité et une empathie confondantes qu’on ne croise pas souvent. Très vite, les personnages font écho en nous. À notre humanité, notre sensibilité. Sans artefacts, sans peurs, avec vérité. On parle bien ici de nature humaine, de sentiments, d’amour, de doutes sur soi et la vérité du monde. La facette technologique du thème est certes centrale, car tout s’articule autour de cette nature qualifiée « d’artificielle », mais le noyau de la chose est indubitablement ancré dans le ressenti sensible le plus fondamental. Le contexte dans lequel se déroule l’action donne à voir les dérives vers lesquelles nous tendons dans notre progrès technologique fantasmé et aveugle, mais ce qui est mis constamment en exergue, c’est bien la sincérité et l’intelligence de cœur, contraste entre une vérité vraie et la vérité proclamée. Lire « Alex + Ada », c’est évidemment plonger dans un récit de SF qui va nous faire passer un bon moment grâce à l’intelligence du propos et au talent de l’artiste ; mais c’est aussi un moment où notre humanité et le sens de nos sentiments sont questionnés, avec bienveillance, sans provocations inutiles, dans un esprit de prise de confiance et de conscience de soi, de ce que nous voulons pour demain.

Le style quelque peu froid de Luna (tout autant que ses couleurs plutôt rompues) convient parfaitement au sujet, épousant parfaitement l’équation humaine/synthétique qui donne sa marque au récit. Les héroïnes de BD (et donc de comics !) sont pléthores, mais bien peu ont ce je-ne-sais-quoi qui fait la différence, encore aujourd’hui, comme Josephine dans « Fatale » ou Forever dans « Lazarus ». Grâce à Vaughn et à Luna, Ada accède à ce statut d’héroïne emblématique, si vraie, belle, entière et touchante qu’elle ne peut que nous fasciner. La manière dont Vaughn et Luna la font vivre est tout simplement saisissant et poignant de vérité, d’humanité, dans la simplicité la plus révélatrice de la tragédie des choses. Malheureusement, il faudra attendre jusqu’en juin 2017 pour lire la suite. Gasp… ça fait long.

Cecil McKINLEY

« Alex + Ada » T1 par Jonathan Luna et Sarah Vaughn

Éditions Delcourt (15,50€) – ISBN : 978-2-7560-6531-1

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