« Jules Verne, l’astrolabe d’Uranie » T1 par Carlos Puerta et Esther Gil

S’il est un auteur qui fait voyager, c’est bien Jules Verne et s’il est des mots qui incitent à l’évasion, ce sont bien des termes comme astrolabe, l’instrument de navigation ou Uranie, la muse de l’astronomie et de l’astrologie. Deux mots grecs pour désigner le ciel, le cosmos, des voyages et des rêveries parfaitement mis en scène en couverture de cet album. Autant dire qu’il attire l’attention par son titre plein de promesses, mais aussi par la richesse de son graphisme…

Tout commence à Nantes, sur le port, où se promène le petit Jules Verne. Bien que ce soit interdit, le voilà qui monte à bord d’un beau voilier pour le visiter et s’imprégner de sa dimension voyageuse. C’est là qu’il entrevoit des hommes s’entretenir d’un étonnant instrument de calcul astronomique, une merveille trouvée au fond des mers et qui semble inspirer le respect, la crainte et surtout le secret. Mais, pas de chance, papa Verne retrouve le gamin fugueur qui promet de ne plus voyager qu’en rêve…

C’est près de 30 ans plus tard qu’on le retrouve à Paris bavardant avec son éditeur Hetzel peu après le succès des « Enfants du Capitaine Grant ». Verne est alors sur le coup de la disparition d’Estelle, sa maîtresse et c’est alors son frère qui va le sortir de ses pensées moroses en l’invitant à partir en voyage avec lui « en Amérique » où la guerre de Sécession est enfin terminée. L’appel du large ne le fait pas hésiter très longtemps car le gamin rêveur de Nantes refait très vite surface. Et les voilà à Liverpool embarquant sur le Great Eastern (ex-Léviathan), un monstre des mers qui fascine Jules Verne et dont il s’inspirera pour écrire « Une Ville Flottante ».

Mais la mer est mauvaise et Verne sera secoué au point de voir une étrange apparition, un fantôme peut-être, un peu comme dans ce « Voyage au pays de la peur » que Jean-Jacques Dzialowski et Rodolphe viennent de publier chez Glénat comics, un récit d’aventures où il est ici aussi question d’un romancier — Lovecraft, en l’occurrence — de scientifiques, de monstres, d’apparitions, de mers démontées, de banquise inquiétante, de cauchemars… mais aussi d’une héroïne très « aimante » !

Revenons à Jules Verne et surtout à la réalisation graphique, un travail exceptionnel. Carlos Puerta remplit ses pages (pas de bordures blanches et d’infimes séparations entre les cases) et densifie sa mise en scène : il est à la fois pictural et photographique, travaillant les matières et les lumières, fouillant les décors où le lecteur se fait promeneur. Le port de Nantes, les rues de Paris chahutées par Haussmann, les intérieurs du Great Eastern ou les plaines à bisons… tout est minutieusement dessiné, colorié, sans pour autant être impersonnel car on voit le pinceau comme on voit le crayon. Bref, c’est une bande dessinée spectaculaire et l’on attend déjà avec impatience le second volume qui évoquera forcément plus longuement les États-Unis espérés et mythiques qui apparaissent en fin de tome 1…

Pas étonnant qu’il soit fait référence à Hugo dans ce « Jules Verne » puisque la scénariste Esther Gil lui a consacré un album, chez Maghen, en 2013 : « Victor Hugo aux frontières de l’exil », dont l’action est située en 1853, lors de son séjour sur l’île de Jersey. Passionné de spiritisme, le poète y assiste régulièrement à des séances de tables tournantes jusqu’au jour où le fantôme de sa fille, Léopoldine, morte tragiquement noyée, lui apparaît. Dès lors, Hugo est hanté par des visions nocturnes lui intimant de faire la lumière sur le drame. Accident ou meurtre ? Il se lance dans une enquête et rentre sur Paris, prenant des risques insensés, pour savoir comment sa fille est réellement décédée… Hugo, Jules Verne : mêmes visions ? En tout cas, des auteurs visionnaires.

Quant à Carlos Puerta, on l’avait remarqué lors du triptyque « Adamson » (Delcourt, 2009 / 2011). En 1913, au large de Spitsberg, ayant échappé de justesse à un naufrage, Henry Adamson et son équipage parviennent à franchir une mystérieuse porte et se retrouvent dans un monde parallèle. Au bout de plusieurs heures, ils voient apparaître une île qu’ils se décident à explorer, en hydravion puis à pied. Cette terre se révèle déconcertante par sa faune, un bestiaire « extraterrestre » angoissant et agressif, et sa flore… La filiation avec ce « Jules Verne » est évidente et la réalisation graphique était déjà époustouflante, tantôt lorgnant vers le réalisme photographique, tantôt développant des décors impressionnistes.

 Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).

http://bdzoom.com/author/didierqg/

 « Jules Verne, l’astrolabe d’Uranie » T1 par Carlos Puerta et Esther Gil

Éditions Ankama (14, 90 €) – ISBN : 978-2-35910-973-3

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