Spécial « Comanche » par Hermann et Greg

Par un heureux hasard commémoratif, c’est précisément au moment où les éditions du Lombard célèbrent les 70 ans du journal Tintin que Hermann, ancien pilier de la rédaction et récipiendaire du Grand Prix lors de la 43ème édition angoumoisine en janvier dernier, est enfin remis à l’honneur en librairie. Outre un nouvel one-shot (« Le Passeur », à paraître chez Dupuis en novembre prochain), c’est une toute nouvelle génération qui pourra ainsi redécouvrir les débuts de la série « Comanche », initiée par le scénariste belge Greg en 1969. Opportunément rééditées sous de nouvelles couvertures, les âpres aventures déroulées dans la poussière du ranch Triple Six n’ont pas pris une ride !

Les Dalton par Hermann et Step en 1967 (éd. Bedescope 1980)

Visuel de couverture pour la réédiition de Billy The Kid aux éditions Gibraltar en 1993.

Ayant déjà expérimenté le genre westernien dès 1966 avec de courtes « Histoires vraies » (citons par exemple « Crazy Horse » dans le n°15 du journal Tintin paru le 12 avril ou « La Guerre du comté de Lincoln » dans le n°18 du 3 mai), Hermann s’était vu confier par Greg la même année le soin de dessiner un héros appelé à devenir cette fois-ci un classique du genre aventureux : « Bernard Prince ». Outre un passage par le péplum avec « Jugurtha » en 1967 (sur scénario de Jean-Luc Vernal), Hermann, qui est sans cesse à la recherche de nouvelles expériences graphiques, accepte à partir de février 1968 d’illustrer les romans de Pierre Pelot intitulés « Dylan Stark », ces derniers étant alors diffusés dans le journal Tintin sous la forme traditionnelle d’épisodes textuels « à suivre ». Satisfait du travail accompli, Pelot envoie un courrier à Greg pour proposer un projet de western – qui aurait pu être l’adaptation BD de « Dylan Stark » – scénarisé par le romancier, dessiné par Hermann. Malin, Greg court-circuite la proposition, ne montre pas la lettre à son dessinateur fétiche… et lui écrit « Comanche » ! Hermann s’excusera de la méthode des années plus tard auprès de Pelot…

Hermann illustre Dylan Stark dans Tintin n°51 (23 Décembre 1969)

Première couverture composée par Hermann pour la série « Comanche » (Tintin n°15 du 14 avril 1970), publiée depuis quelques semaines.

La série « Comanche », bien que toujours pilotée scénaristiquement par Greg, aller asseoir définitivement Hermann parmi les plus grands auteurs de sa génération, et sans doute l’un des plus aptes à intégrer le cercle restreint des maîtres absolus du 9ème art. Cette nouvelle série débute, comme tant d’autres, par un récit court en huit planches (« Red Dust ») présenté de manière discrète dans le n°50 de Tintin le 16 décembre 1969. Outre « Dylan Stark » (le 21 octobre), beaucoup de lecteurs furent sans doute et en conséquence plus attentifs à suivre la parution du nouveau « Bernard Prince » débuté le 30 décembre suivant. Ce d’autant plus qu’une nouvelle illustration de couverture introduisait alors « La Loi de l’ouragan », au titre annonciateur d’aventures mouvementées ! Cependant, nul doute que les quelques pages proposées permirent enfin à Hermann d’exposer son savoir-faire concernant la bande dessinée de genre western. Surtout, elles lui permirent pour la première fois de tenter d’égaler un domaine jusqu’ici dominé par ses deux auteurs de prédilection, Jijé et Jean Giraud. Faire au moins aussi bien – sinon mieux – que « Jerry Spring » et « Blueberry », voici donc le challenge dorénavant posé à Hermann par Hermann…

L'apparition de Red Dust : deux premières planches (Tintin n°50 du 16 décembre 1969)

Une diligence et son cocher sidéré (Sid Bullock), un duel (rapidement réglé) contre le tueur à gages Wally Hondo, la découverte – par lettre interposée – du ranch Triple Six et de sa propriétaire (la bien nommée Comanche), la ville de Greenstone Falls (réduite à sa rue principale et son saloon), quelques solides ennemis (« l’homme de loi » Cathrell et Kentucky), voici l’ensemble des éléments qui introduisaient un univers durable, certains mystères et inconnus étant volontairement à éclaircir dans les récits suivants. La série (pour l’instant nommée « Red Dust » par les plus inattentifs !), concoctée par Greg en connaissance de cause, arrive à point pour les férus de Western, à une époque où il n’existait plus rien de semblable dans Tintin : car, à l’exception du parodique « Chick Bill » de Tibet (publié depuis 1953 dans Chez nous-Junior puis dans Tintin à partir d’octobre 1955), de courts récits didactiques et de quelques bandes isolées (« Ben Barry » de Forton en 1961 ; « Ray Ringo » par Vance en 1965 ; « Doc Silver » par Yves Duval et les Funcken depuis 1967), les séries notables sont… chez la concurrence ! Citons de nouveau « Jerry Spring » (par Jijé, depuis 1954 dans Spirou) et « Blueberry » (depuis 1963 dans Pilote) mais n’oublions ni le « Lucky Luke » de Morris et Goscinny (créé en 1946 dans Spirou) ni « Les Tuniques Bleues » (imaginées par Cauvin et Salverius en 1968, toujours dans Spirou).

Poster paru dansTintin n°35 le 28 août 1973, à l’occasion de la prépublication de « Le Ciel est rouge sur Laramie ».

Quid de la situation du Western du côté des salles obscures, vous interrogez vous ? Au delà de grands succès (tels « Rio Bravo » d’Howard Hawks en 1959 ou « Les Sept Mercenaires » de John Sturges en 1960), le genre est en perte de vitesse. Devenu réflexif (avec « L’Homme qui tua Liberty Valance » de John Ford en 1962) puis « spaghetti » sous l’égide de Sergio Leone (« Pour une poignée de dollars » en 1964, « Et pour quelques dollars de plus » en 1965 ; « Le Bon, la brute et le truand » en 1966 ; « Il était une fois dans l’Ouest » en 1968) et Sergio Corbucci (« Django » en 1966 et « Le Grand Silence » en 1968), le genre a fait la part belle aux antihéros tourmentés, errant entre vengeance, soif de l’or et violence cathartique. Dans sa veine « crépusculaire » (« La Horde sauvage » de Sam Peckinpah en 1969), le genre met en scène des protagonistes ambivalents, sans morale, errant au gré des événements dans un monde où ils ne trouvent plus guère leurs places, et où la brutalité est souvent la seule issue. Inévitablement, « Comanche » allait donc devoir composer avec cette relecture contemporaine (et notablement européenne) des mythes et codes longuement instaurés par les pulps et les films hollywoodiens.

Couvertures originales et rééditions 2016

Greg (Le Lombard / D.R.)

Concernant la genèse de la série, Greg précise : « Hermann et moi avons longuement réfléchi avant de nous lancer là-dedans. Nous savions que le danger des affinités avec Jijé et Giraud était bien réel. L’envie de faire du western nous démangeait pourtant l’un et l’autre. On a fini par se jeter à l’eau, en essayant de nager aussi loin que possible de « Blueberry » ! « Comanche » se situe dans le Wyoming, loin de la frontière du Mexique que nous ne franchirons jamais. Avec notre ranch Triple Six et le développement de la ville voisine, Greenstone Falls, les événements viennent à nous. On peut raconter des histoires tournant autour de cela pendant des années sans rabâcher. En fait, tous les événements que nous relatons ont une base authentique. Ils sont vraiment arrivés au cours des 30 années majeures de l’histoire du Far-West. La seule concession, c’est que les choses sont arrivées dans la réalité à des personnes différentes et que nous, nous les concentrons sur un même groupe de ranchmen. »

"Les Loups du Wyoming", dans Tintin n°28 (11 juillet 1972)

Au-delà de son inévitable jeu des références (le surgissement de Red Dust devant la diligence dans le 1er album évoque celle similaire de John Wayne dans « La Chevauchée fantastique » : voir la scène), « Comanche » construit au fil des épisodes et des albums sa propre cosmogonie. Dans Tintin n°15 (14 avril 1970), Red Dust rencontre enfin la fameuse Comanche, jeune femme propriétaire du ranch 6-6-6, dont on ne connaîtra longtemps jamais le véritable nom (après la période Hermann, Greg révélera ses origines dans le titre « Le Carnaval sauvage », dessiné par Michel Rouge en 1995). Ultérieurement, Red Dust se liera également d’amitié avec le vieux contremaître Ten Gallons, le jeune Clem – « Cheveux-Fous » et le noir Toby, un ancien esclave. Encore chiche en décors et très classique dans ses cadrages, la série prend un véritable coup de fouet graphique dès son troisième épisode court (« Greenstone-Falls », publié dans le n°32 du 11 août 1970). Dès la première case, Hermann y déroule un savoir-faire d’exception, où s’enchaînent les angles de vue variés, les trognes dignes des films de Leone et des atmosphères beaucoup plus fouillées.

Réédités en 2016, les trois premiers albums avaient initialement été publiés au Lombard en janvier 1972, janvier 1973 et février 1974. L’éditeur a opté pour une typographie corrigée et de nouveaux visuels de couvertures, reprenant soit d’anciennes couvertures de Tintin (celles des numéros 32 et 23, datés du 11 aout 1970 et du 8 juin 1971) soit une illustration plus contemporaine d’Hermann (déjà visible dans « Comanche l’intégrale T2 » publiée en 2005), se rapprochant pour partie du souhait initial des auteurs de voir des couvertures blanches. Les albums suivants seront proposés au Lombard dans les mois à venir ; notons qu’un prochain titre (« Le Ciel est rouge sur Laramie ») est particulièrement attendu puisque intégrant pour la première fois 5 planches surnuméraires, conçues par Greg et Hermann pour faire le lien entre les chapitres proposés dans Tintin. Greg désirait généraliser cette pratique, en initiant des planches spéciales réservées à la prépublication, mais il ne fut pas écouté…

4ème plat de couvertures des albums de la série (gouache de 20 x 27 cm)

Conçue comme une série réaliste, « Comanche » montre des personnages qui évoluent et se modifient, physiquement ou psychologiquement, même si ce dernier point n’est pas le plus développé dans les scénarios de Greg. Tous ces fiers caractères agissent au sein d’un monde sauvage déclinant et bientôt absorbé par sa propre mythologie, selon le sens premier donné au chef-d’œuvre de Leone en 1968 (« Il était une fois dans l’Ouest »). Un univers à la « Frontière » enfin délimitée, qui cédera petit à petit la place à la modernité, au chemin de fer, à l’industrialisation et à la ville. Les tomes suivants ne cesseront de parcourir les thèmes conjoints de la noirceur humaine, de la violence âpre et du caractère sordide des crimes et délits commis. Dans « Les Loups du Wyoming » (qui débute dans Tintin n°27 à partir du 4 juillet 1972), Red Dust, aidé d’un prêcheur qui manie presque mieux le colt que lui, tente d’arrêter les exactions sanguinaires des cinq redoutables frères Dobbs. La course-poursuite, inachevée, continuera dans le tome 4, « Le Ciel est rouge sur Laramie » à son aura crépusculaire.

En dépit du succès, ouvertement lassé par les scénarios de Greg, Hermann change son fusil d’épaule en 1982 et abandonne « Comanche » après 10 albums, préférant se consacrer pleinement à la SF (elle aussi passablement westernienne) de « Jeremiah ». En conséquence (le journal de Tintin ayant aussi disparu entre-temps), le grand retour de Comanche ne s’effectuera assez tardivement qu’en 1990 : Greg scénarise alors « Les Fauves » pour le repreneur Michel Rouge, qui poursuivra graphiquement l’aventure jusqu’en 2002 (« Red Dust Express », un quinzième tome scénarisé par Rodolphe). De son côté, Hermann dessinera encore Red Dust et Comanche ici et là, pour un nouveau visuel de couverture, un ex-libris, une illustration érotique ou une dédicace, sans replonger pour autant dans le récit au long cours.

Après Hermann... : "Les Fauves" (t.11) par Michel Rouge et Greg (Dargaud 1990)

Le titre initialement prévu sera modifié ! (T15 par Michel Rouge et Rodolphe ; Dargaud 2002)

Ex-libris Red Dust réalisé par Hermann dans les années 2000

Comanche avait certes disparu, mais à l’ouest, il y a toujours du nouveau : Hermann, déjà revenu au Wyoming dans le one-shot « Sans pardon » (Le Lombard, 2015), rejoindra de nouveau le Colorado en janvier 2017 avec « La Boue et le Sang », premier opus d’une nouvelle série, « Duke », scénarisée par son fils Yves. Qui sait, peut-être y croiserons-nous un certain Red Dust ?

Extrait inédit de « Duke T1 : La Boue et le Sang » (planche 48 par Yves H. et Hermann ; Le Lombard - 2017).

Philippe TOMBLAINE

« Comanche T1 : Red Dust » par Hermann et Greg
Éditions du Lombard (9, 99 €) – ISBN : 978-2803670499

« Comanche T2 : Les Guerriers du désespoir » par Hermann et Greg
Éditions du Lombard (9, 99 €) – ISBN : 978-2803670482

« Comanche T3 : Les Loups du Wyoming » par Hermann et Greg
Éditions du Lombard (9, 99 €) – ISBN : 978-2803670475

Galerie

2 réponses à Spécial « Comanche » par Hermann et Greg

  1. henri lacanne dit :

    qqun sait il pourquoi kes albums dessinés par Rouge n’ont pas fait l’objet d’un 4ème volume ?

  2. Ping : Moggeh, – HEMAWORSTJE Pictures are links

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