Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Autour de « Civil War »
À l’occasion de la sortie de « Captain America : Civil War » sur nos écrans, je vous propose cette semaine une critique de ce film. Et plutôt que de vous parler du dernier tome de « Civil War » paru en Deluxe (un n°0 qui creuse bien le filon sans être indispensable) ou du retour de « Civil War » au sein du nouvel arc Marvel « Secret Wars » (dont il faut attendre le dénouement et avoir un peu de recul pour en dire quelque chose), nous jetterons un coup d’œil sur le dernier volume de l’intégrale d’« Avengers » paru récemment, le film étant centré sur cette super-équipe…
« Captain America : Civil War », par Anthony et Joe Russo
Bon… Pourquoi je m’évertue à aller voir les films de super-héros, moi ? À chaque fois je me dis que ça peut être chouette, que j’aurai des choses à en dire, et à chaque fois ou presque j’en reviens dépité, me retrouvant devant mon clavier en ne sachant pas quoi en dire… Pénible pour moi, pénible pour vous… Sur le film en soi, je n’ai rien à dire ; ni bon ni mauvais, ça roule comme un film Marvel, les acteurs sont égaux à eux-mêmes, Stan Lee fait son apparition, les effets spéciaux se la pètent grave… En revanche, sur l’intitulé du film, il y a maldonne, voire publicité mensongère : que ceux qui ont aimé « Civil War » s’abstiennent, ce film n’est en aucun cas une transcription de cet arc mythique, et si vous espériez avoir sur grand écran la fameuse guerre civile entre super-héros qui vous avait tant passionnés, vous serez plus que déçus. L’idée de « Civil War » est bien là au départ, mais ensuite le concept n’est jamais développé à sa juste mesure, rien n’est creusé pour en exprimer la substantifique moelle ; pire, en réinventant comme d’habitude certains éléments pour abreuver de plaisir fainéant des ados n’acceptant soi-disant que de l’entertainment dans l’air du temps, le film empêche toute velléité d’aborder le sujet de fond pour ne proposer que des raisons manichéennes de se bastonner (ainsi, le fait que Spider-Man soit présenté comme un nouveau super-héros adolescent découvert par Iron Man, sans toute la patine et l’historique qu’il avait dans la série papier, coupe court à toute mise en perspective de l’univers Marvel dans cet événement pourtant primordial dans l’évolution contemporaine de ces héros). Les frères Russo n’ont donc pas rempli le contrat, mais en plus, en coupant par la facilité, ils ont dénaturé l’œuvre originale. Nul ! Mais je m’explique mieux.
Certes, le postulat de base est traité, et assez tôt dans le film : les super-héros ne peuvent plus faire ce qu’ils veulent quand ils le veulent, sans être encadrés, leurs combats occasionnant des dommages collatéraux humains et matériels que le gouvernement américain ne peut plus tolérer – sans parler de l’animosité croissante de la population envers ces justiciers qui détruisent tout sur leur passage… Certes, on voit bien Captain America et Iron Man prendre des décisions contraires qui les pousseront à s’affronter (Iron Man obéit au gouvernement qui veut transformer les Avengers en soldats de l’État, Captain America non). Certes, on voit certains membres des Avengers prendre parti pour l’un ou pour l’autre, engendrant deux clans. Mais c’est tout. Le concept de « Civil War » n’est ici que l’élément déclencheur du conflit, et non le sujet du film. Pire, le combat crescendo puis ultime entre Cap et Iron Man va s’extirper du concept de « Civil War » pour se cristalliser dans d’autres événements qui n’ont rien à voir (le Soldat de l’Hiver et ses meurtres sous emprise) : au final, quid de « Civil War » : le film aurait dû s’intituler « Captain America : le Soldat de l’Hiver fout la merde entre lui et Iron Man ». Bon Dieu, mais pourquoi avoir fait ça ? Toute la richesse de « Civil War » s’estompe dramatiquement et inexorablement au fur et à mesure que le film se déroule, se ratatinant comme une peau de chagrin pour ne devenir qu’une baston annoncée. C’est triste.
Alors on va me dire : « Hé, avant de critiquer, réfléchis un peu, ce film n’était pas annoncé comme étant « Civil War » mais bien comme un film de « Captain America » dans le contexte de « Civil War » ! » Mais cet argument ne tient pas, car même si l’on s’en tient littéralement au titre, et quand on sait ce qu’implique « Civil War » dans l’historique de Captain America, on est non seulement bien loin du compte mais carrément hors sujet…  Car l’intérêt de « Civil War », c’était bien de savoir ce qui fait sens dans cette incarnation vivante de l’Amérique qui se retourne contre le gouvernement américain parce que ce dernier n’exprime plus l’idéal humaniste de ce pays (de l’époque, notamment et directement, puisqu’il était aussi question d’une critique de la politique intérieure et extérieure de George W. Bush). « Civil War », justement pour Captain America, ça représente son procès pour désobéissance civile qui aurait eu lieu s’il ne s’était pas fait abattre sur les marches du tribunal… Rien de moins ! « Civil War », pour « Captain America », c’est juste l’épisode absolu de ce que peut vivre et incarner ou non l’un des personnages les plus représentatifs de l’univers des comics super-héroïques en des temps politiques terriblement troublés. C’est juste l’un des sujets les plus importants qui aient pu émerger dans le mainstream récent, mais apparemment les frères Russo préfèrent des super-slips qui se mettent sur la tronche, sur fond de tragédie à deux balles, la substance de cette série ayant été écartée pour laisser place au « grand spectacle » creux. Car l’intérêt de « Civil War », c’est aussi une critique du système économique lié à la politique libérale (avec ses boursicotages et autres pots-de-vin inhérents à l’allégeance des super-héros au gouvernement), la question d’un « Guantanamo » pour surhumains à « rééduquer » via l’Initiative, le problème de la télé-réalité dans notre société, et enfin la fameuse et épineuse et si excitante question taboue de l’identité secrète des super-héros ! Et alors là … on peut vraiment se demander si les frères Russo ont lu et compris « Civil War » !!! Car l’un des paramètres primordiaux (et l’enjeu) de cette allégeance des super-héros auprès du gouvernement réside bien dans le fait de devoir tomber le masque et de dévoiler sa véritable identité au grand jour ; ce qui a – on s’en souvient – particulièrement posé problème à Spider-Man et qui renforce ce que je disais plus haut : ne pas utiliser ce thème de l’identité révélée ni l’historique de Spider-Man dans ce film pour aborder cette facette pourtant si intéressante et mythique est à la fois incompréhensible et déplorable. Tout ce qui était susceptible de faire réfléchir le public semble avoir été soigneusement édulcoré : plus de problèmes politiques au-delà de la simple posture de rigueur dans les récits à la mode, plus de critique de la télé-réalité, plus de questions éthiques sur la politique et l’idéal d’un pays, plus de dramaturgie quant au procès avorté de Captain America… Ainsi déshabillée de ses facettes les plus fondamentales, que reste-t-il de « Civil War » ici, à part une coquille vide ?
C’est un naufrage éthique, et presque une trahison envers l’œuvre originale, tellement le film évite d’aborder frontalement ou pleinement la nature même de « Civil War ». Ce faisant, il passe à côté de grandes choses, sur le fond comme sur la forme : l’opportunité d’enfoncer le clou quant à l’âge adulte des comics, en proie avec l’état de notre monde réel et engendrant la réflexion, mais aussi des choses bien plus spectaculaires et indispensables au plus pur plaisir des fans de super-héros qui ne verront donc pas ici Spider-Man soulever son masque ni Cap s’effondrer sur les marches du tribunal. Quant à un méga-combat avec tous les héros Marvel,  n’y comptez pas non plus, car le film se borne à cette satanée équipe superstar des Avengers, comme si l’univers Marvel s’était irrémédiablement rétréci au podium du box-office : le kiff, ça aurait été d’avoir – en plus des considérations politiques intéressantes – des scènes avec un gros paquet de super-héros Marvel se confrontant dans un show extraordinaire ! Où sont donc passés les autres ? Pas de FF, pas d’X-Men, etc. ? Même Hulk et Thor, deux Avengers potentiels et historiques, sont absents. Du coup, on a l’impression de n’assister qu’à une guerre civile de quartier, n’impactant pas l’ensemble de l’univers Marvel. Les réalisateurs se sont privés là de grands moments de cinéma chorale d’action – preuve que je ne regrette pas que le côté intellectuel de la chose. Il y a pratiquement dix ans, sur le papier, « Civil War » proposait un potentiel qui questionnait le lecteur, avec un message politique à peine voilé. Pratiquement dix ans après, sur grand écran, nous avons ce qu’il y a de plus symptomatique dans le mainstream décérébrant nous exhortant de ne pas réfléchir. Et après on s’demande pourquoi j’m’énerve…
« Avengers : l’Intégrale 1974 », collectif
Voici un album au programme assez copieux, l’année 1974 ayant été riche en intentions éditoriales. Ainsi, en plus des épisodes de la série régulière des Avengers, Marvel lance cette année-là une nouvelle formule assez similaire aux Annuals sauf qu’il s’agit d’une publication trimestrielle, « Giant Size », proposant des récits complets plus longs que d’habitude. Il y aura 5 « Giant Size Avengers » en tout, dont les deux premiers numéros (août et novembre 74) sont donc présents dans ces pages. De plus, en réponse à Jim Starlin, Englehart écrit un récit des Avengers en relation avec Thanos, récit qui se conclura dans un épisode de « Captain Marvel » qui est aussi proposé ici. Enfin, vous pourrez lire un épisode des « Fantastic Four » au sein d’un cross-over avec les Avengers. Pas mal de choses, donc, comme je vous le disais, pour un volume de près de 340 pages. L’album commence dans un contexte encore très « Défenseurs » (équipe avec laquelle les Avengers viennent de combattre Dormammu), puisqu’on retrouve les super-vilains du Zodiaque dans une aventure à plusieurs épisodes. On se penche ensuite sur les origines de Mantis, ou sur le mariage de Crystal et Vif-Argent… Au niveau super-vilains, nous aurons notamment affaire au Saigneur Stellaire, à Nuklo, Klaw, et surtout Ultron-7 et Kang le Conquérant. Du Vietnam au cosmos en passant par NY ou le Grand Refuge des Inhumains, tous les terrains sont bons pour mener la grande aventure tout en se concentrant sur la destinée des personnages. Côté dessin, on retrouve Bob Brown et John Buscema (malheureusement encrés par un Don Heck très – trop – imprécis dans le trait), mais aussi Dave Cockrum, Jim Starlin, Rich Buckler, Sal Buscema… Une année riche en événements, donc, pour les Avengers…
Cecil McKINLEY
« Captain America : Civil War » par Anthony et Joe Russo
Marvel Studios (prix selon tarifs en vigueur dans les salles)
« Avengers : l’Intégrale 1974 », collectif
Éditions Panini Comics (29,95€) – ISBN : 978-2-8094-5466-6
Bonjour,
J’ai vu le film, et je ne suis pas du même avis.
Le principal reproche que vous semblez lui faire, c’est « C’est pas du tout une adaptation du Civil war de Millar ». C’est vrai, mais ça, je le savais avant d’aller le voir, du coup pas de déception.
Par ailleurs, ils ne pouvaient pas du tout garder le même déclancheur de la guerre civile, pour la bonne raison que la plupart des personnages du MCU n’ont pas d’identité secrète. Le prendre comme élément certral aurait donc été incompréhensible pour le spectateur lambda.
Enfin, les producteurs, même quand ils adaptaient un arc connu, ont toujours pris soin à ce qu’il soit différent de la version BD, pour surprendre le fan de comics de base (Cf. Le Mandarin dans Iron Man).
Là où je vous rejoins, c’est que le titre lui-même, « Civil war », peut sembler abusif, vu le nombre de personnages qu’il impacte. Sauf (et c’est un gros « sauf ») si on considère qu’il fait référence en anglais également à la guerre de Sécession, avec cette notion de frères qui s’affrontent, en dehors de toute considération de nombre.
Cependant, pour en revenir au film, et sans le considérer comme une adaptation j’ai trouvé la première partie assez ennuyeuse, en mode espionnage (un genre qui m’ennuie toujours, je déteste James Bond, Jason Bourne et consorts), mais à partir de l’arrivée de Spider-Man, je trouve que le film démarre vraiment et je n’en ai plus décroché. Spider-Man et Ant-Man sont pour moi les deux très bonnes surprises du film.
Je précise aussi une petite chose : l’absence de Thor et Hulk doit être justifiée par un prochain film, les studios préparant Thor : Ragnarok, dont on imagine bien le thème, et qui est annoncé comme un « buddy movie » avec les deux personnages.
Bien amicalement,
Marcel.
Bonjour Marcel,
Merci de votre commentaire dont j’apprécie le ton amical alors que nous ne partageons pas le même avis . J’entends vos arguments, vos avis, qui sont bien sûr légitimes et qui reflètent aussi ce que ressentent bon nombre de fans qui – contrairement à moi – n’attendent pas forcément que les films Marvel soient l’exacte transcription des comics originaux sur grand écran. Ça se défend, je le comprends, mais ce n’est pas ce que j’attends, personnellement (je vieillis peut-être mal !).
Sur votre « sauf », j’ai néanmoins une petite remarque, car si vous avez bien sûr raison sur l’origine et le sens de « Civil War » quant à la fameuse guerre civile américaine fratricide des années 1860, ne faisons pas trop nos candides : cette référence était déjà explicite pour la version papier, tout comme ici pour le titre du film, mais cet intitulé du film est bien et avant tout en raccord direct avec le fameux arc de Millar et non avec cet épisode de l’histoire américaine qui lui a inspiré son titre. Après, pourquoi pas, on pourrait envisager un film « Civil War » par super-héros ou groupe de super-héros afin de réaliser une grande fresque fragmentée… se clôturant par un méga « crossover » !
Bien à vous,
Cecil