Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Yin et le dragon T1 : Créatures célestes » par Xu Yao et Richard Marazano
Pays de légendes et de mystères, civilisation bien plus que millénaire, la Chine a une histoire très mouvementée. C’est en 1937, au début du conflit le plus meurtrier de tous les temps, que Richard Marazano a situé ce conte initiatique, charmant et envoûtant, où l’on croise une jeune fille espiègle, un grand-père bougon, une armée japonaise envahissante et un dragon d’or ! L’aventure, en trois tomes, peut commencer.
En 1937, la métropole de Shanghai vit sous une tension permanente. La Seconde Guerre mondiale commence cet été-là , en Mandchourie, par une offensive des troupes japonaises sur une Chine profondément divisée entre nationalistes et communistes. La petite Yin est protégée du monde extérieur par son grand-père. Ce vieux pêcheur ronchon, mais philosophe, a perdu toute sa famille — sa femme, sa belle-fille et son fils — lors d’une sortie en mer. Pas question donc, pour lui, que la petite l’accompagne lorsqu’il part de nuit sur l’océan pour rapporter quelques poissons frais aux commerçants des marchés du vieux port.
Mais Yin est vive et têtue, et quand son aïeul lui refuse quelque chose, elle l’obtient toujours par un moyen détourné. Elle grimpe donc, subrepticement, sur la jonque pendant que le vieux Li s’occupe de ses filets. Ce n’est qu’une fois en mer, quand le marin se retrouve dans une fâcheuse posture — la jambe prise par un filet tendu par une prise exceptionnelle —, que Yin surgit de sa cachette et coupe le filet. Le danger est repoussé, mais pour un temps très court.
Du fond de l’océan, délivré du filet halieutique, surgit un lumineux dragon d’or visiblement fort mécontent de sa mésaventure. La lumière qu’il dégage est visible à des miles marins à la ronde. Elle alarme un navire de guerre japonais qui croise non loin. Celui-ci tire un obus qui touche la bête légendaire. C’est la sensible Yin qui convainc le vieux Li de ramener le dragon d’or inconscient dans leur hangar, près du port, pour le soigner. Choix difficile et dangereux, d’autant plus qu’au petit matin l’armée impériale nippone investit la plus grande métropole chinoise.
Yin et son grand-père doivent alors soigner et cacher un être mythologique, aux colères funestes, de leurs voisins chinois, mais aussi de militaires japonais qui entendent faire respecter l’ordre et la discipline. Rétif aux ordres brutaux de sa hiérarchie, un officier humaniste et perspicace a deviné une partie de ce secret bien gardé, mais il le garde pour l’instant par-devers lui.
Pourtant, une fois remis de ses blessures, bien qu’amadoué par les gentilles attentions de Yin, le dragon d’or se redresse et annonce la venue de Xi Qong, le grand dragon noir de la fin des temps, car arrive une époque où le désespoir et la haine vont régner. Une très sombre prophétie pour Yin, pour Shanghai et la Chine et pour le monde entier bientôt submergé par un cruel et on ne peut plus meurtrier conflit.
Vous l’aurez compris, nous avons beaucoup aimé ce premier volume d’une trilogie annoncée. Le scénario de Richard Marazano sait mêler des événements surnaturels à un contexte familial précis et à un substrat historique tragique. Dans ce récit initiatique, l’action va crescendo, de la découverte d’une famille chinoise pauvre marquée par un drame récent à l’irruption d’un dragon au caractère ombrageux avant que la guerre ne pose une chape de plomb sur les hommes… et les dragons !
On se laisse emporter par les aventures d’une jeune fille avec qui on entre très vite en empathie. Elle est ce qu’il faut délurée et attachante pour qu’on ait peur pour elle et qu’on souhaite qu’elle se sorte des mauvaises passes dans lesquelles elle fonce d’un pas décidé. Aucun manichéisme ni mièvrerie et, au contraire, beaucoup de subtilités dans un scénario qui fait la part belle aux relations humaines : de la tendresse entre Yin et son grand-père au mépris condescendant de la soldatesque nippone vis-vis du petit peuple shanghaien ou à la relation ambivalente entre un fier dragon, messager d’entités surpuissantes et une fragile petite fille qui lui a sauvé la vie.
Le dessin élégant, aux couleurs délicates, de Xu Yao est à mi-chemin entre le réalisme occidental et un trait asiatique plus codifié. Il donne une grande force poétique aux apparitions du dragon et crédibilise les séquences au sein des quartiers populaires de la plus grande ville de Chine.
Nous découvrons, avec ce premier travail publié en Occident, un graphiste chinois de grand talent qui aura encore certainement l’occasion de nous étonner dans les deux tomes suivants de « Yin et le dragon ».
Dans un registre totalement différent, notons la sortie chez le même éditeur – Rue de Sèvres — du premier volume d’une série d’aventures animalières vraiment originales : « Tritons » de Doug Tennapel.
Zak est un petit triton aux frêles pattes, ayant toujours rêvé d’avoir des jambes solides, comme les adultes de son espèce. Il doit fuir quand son village est attaqué par de cruels lezzarks. Seul et en cavale, il découvre un monde dangereux, plein de mystères et de créatures étranges, où plane la menace d’un sombre seigneur.
Dans ce sympathique et survitaminé récit initiatique qui ne connaît aucun temps mort, un petit triton fragile, mais rusé et déterminé, dépasse à force de volonté des difficultés qui lui paraissaient pourtant insurmontables. Il affronte des ennemis très dangereux qui ont éliminé toute sa famille. Un efficace dessin proche de celui des comics, un peu d’humour et beaucoup d’aventures sont au programme de cette trilogie jeunesse destinée aux 10-15 ans. Elle surprendra beaucoup de lecteurs par un trait vif et coloré qui masque souvent un propos sombre et quelques thématiques fortes comme le handicap, la famille ou la construction de la personnalité.
La semaine prochaine, nous quitterons le règne animal des dragons de Chine et les tritons en mutation pour un nouveau monde d’heroic-fantasy : celui du « Roi vagabond ».
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Yin et le dragon T1 : Créatures célestes » par Xu Yao et Richard Marazano
Éditions Rue de Sèvres (14 €) – ISBN : 978-2-36981-175-6
« Tritons T1 : L’Invasion des lezzarks sanguinaires » par Doug Tennapel
Éditions Rue de Sèvres (12,50 €) – ISBN : 978-2-36981-238-8