Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
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Un amnésique retrouvé sur une plage, le nombre XIII pour tout indice de son passé et une impitoyable traque liée à un assassinat présidentiel, dans un pays qui ressemble fort aux États-Unis. Ces divers ingrédients, partiellement repris à Robert Ludlum (créateur de Jason Bourne en 1980 avec « La Mémoire dans la peau ») et remixés par Van Hamme et Vance depuis 1984, sont désormais entrés dans la légende de la bande dessinée contemporaine. En attendant le prochain opus de la série (« T24 : L’Héritage de Jason Mac Lane » par Yves Sente et Iouri Jigounov, prévu pour le 10 juin), replongeons aujourd’hui aux sources, avec une analyse de planche (n°14) issue d’un deuxième volet au titre mystérieusement romanesque (« Là où va l’Indien »).
Alors que le contrat éditorial est signé par Dargaud Benelux dès août 1983, XIII ne surgira curieusement en album qu’en janvier 1985 après être initialement apparu dans le Journal de Spirou n° 2408 le 7 juin 1984. Il ne se détachera des éditions Dupuis qu’en 1987 après la publication du troisième volet (« Toutes les larmes de l’enfer », diffusé du n° 2514 au n° 2517 entre le 17 juin et le 8 juillet 1986), mais constatons qu’entre 1984 et 1986, l’album sort dans chaque cas en janvier… avant la prépublication programmée en juin ! Il faut dire que Dupuis, Le Lombard et Dargaud sont à cette époque encore concurrents, et ne seront réunis que bien plus tard (en 2004) dans le giron de Média-Participations. En 1985, c’est ainsi le n° 2462 de Spirou qui entame le 18 juin la « prépublication » de « Là où va l’Indien », cinq mois après le lancement de l’album chez Dargaud : en couverture du périodique, le héros est menacé par une arme tenue contre sa tempe par un ennemi invisible (hors-champ) qui n’est en fait autre que le Lieutenant Jones, destinée à devenir la belle promise de XIII. Afin de tenter de lui faire retrouver la mémoire, le Général Ben Carrington (sosie charismatique et graphique de Lee Marvin) expédie XIII/Steve Rowland sur les lieux de son enfance supposée, dans la ville – fictive – de Southbourg (3245 habitants selon les chiffres de Jones). En ce sens, la saga s’ancre alors autant dans le thriller d’aventure-espionnage contemporain que dans la veine plus traditionnelle du récit d’apprentissage : bien que n’ayant rien perdu de ses réflexes de close-combat affûtés, XIII a en effet tout à réapprendre ou, du moins, beaucoup de choses à redécouvrir.
En observant minutieusement la planche 14 (prépubliée dans un Spirou n°2462 qui livre d’un bloc les premières 16 pages du récit) l’on peut se rendre compte de la minutie avec laquelle Van Hamme et Vance distillent indices et suspense, laissant le temps au lecteur de reprendre son souffle entre deux séquences plus mouvementées. Dès la case 1, XIII et Jones – silhouettes esquissées dans le lointain d’un arrière-plan – s’apprêtent à remonter un chemin sinueux qu’on imagine déjà parsemé d’embûches. Ce parcours du combattant prend des atours volontiers fantastiques à la case 2, aux approches d’une inquiétante bâtisse aux fonds des bois : les dialogues sont évidemment à l’unisson de cette ambiance à la Stephen King (« Quelque chose d’anormal ? »). Cases 3 et 4 : évoquant sa propre résurrection et l’éventualité qu’elle soit potentiellement dérangeante pour certains, XIII vient d’observer à la jumelle (case en vue subjective) les nombreux véhicules (van, fourgons, jeep) stationnés devant la demeure paternelle. Assez nombreux chez Vance (à l’inverse par exemple d’Hermann qui déteste les dessiner, y compris lorsque Bernard Prince se promène à Manhattan…), les véhicules sont toujours destinés à glisser l’idée d’une course-poursuite, d’un déplacement, sinon d’une menace mécanique tournée vers un personnage (XIII) qui reste pour sa part (dans les premiers albums) un fugitif-piéton.
Les cases 5 à 8 insistent sur les réflexions du héros et le jeu relationnel intime tissé avec Jones, notamment de par sa représentation graphique aux extrémités gauche et droite de ce dernier strip. Les dialogues concoctés par Van Hamme, loin d’être envahissants, vont au contraire à l’essentiel compte tenu de la masse d’informations données : y sont successivement évoqués la tragédie de la fortune paternelle, le rôle forcément ambigu de l’oncle Matt (nouveau gérant du domaine) et l’introduction de la tentatrice Felicity. Argent, pouvoir et sexe, soit trois thèmes plus que développés dans tous les albums ou séries de Van Hamme, à commencer par « Largo Winch ». Au fil des cases, l’encrage réaliste initial des décors de Vance (qui dessine ici pour la première fois en très grand format : 44 x 59,6 cm) s’estompe pour laisser la place aux personnages et aux somptueuses couleurs – humides et automnales – composées par sa compagne Petra. On remarquera néanmoins le contraste de noirs et blancs proposé par les branchages (noirs lorsqu’ils sont éloignés, blancs et transparents lorsqu’ils sont proches), qui dédouble plus ou moins consciemment les ombres et blancs accompagnant la propre quête de XIII : dans la neige ou la nuit, « Là où va l’indien », les chemins de traverses, routes et embranchements, les voies et tracés empruntés dans l’espoir d’une vérité salvatrice ne mèneront cependant souvent celui qui les suit qu’à d’autres mystères et d’autres questions, selon les lois du genre feuilletonesque… Succès encore modeste en 1985 (« XIII T2 : Là où va l’Indien » s’écoule à 20 000 exemplaires), XIII est – de par ses qualités – lancé sur la piste du triomphe éditorial : en 1987, les ventes dépasseront les 58 000 exemplaires. Voici un héros amnésique que les lecteurs n’était plus prêts d’oublier !
Philippe TOMBLAINE
« XIII T2 : Là où va l’Indien » par William Vance et Jean Van Hamme
Éditions Dargaud (11,99 €) – ISBN : 978-2871290018