Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...« Le Grand A » par Jean-Luc Loyer et Xavier Béteaucourt
En 1972, en périphérie d’Hénin-Beaumont (région Nord-Pas-de-Calais), le plus grand hypermarché de France sort de terre : il s’agit d’un magasin du groupe Auchan, rapidement surnommé « Le Grand A ». Ayant côtoyé dès leur adolescence cet univers ultra-consumériste, Xavier Béteaucourt et Jean-Luc Loyer (« Noir Métal » en 2006 ; « Sang noir » en 2013) ont pu, quarante ans après sa création, enquêter librement sur cet espace hors-normes, devenu une véritable ville dans la ville. Entre profits et progrès, production et saturation, soldes et incitations à l’achat, voici en vérité se dessiner l’extraordinaire et impitoyable histoire du commerce contemporain. Et nous sommes toujours clients de ce genre de BD reportage !
« Le Grand A », c’est d’abord un titre qui évoque tout autant les enseignes lumineuses démesurées que des univers plus ou moins inquiétants (le « K » de Buzzati ; « Z » de Costa-Gavras ; mais aussi « Le Naufragé du A », premier volume du « Philémon » de Fred en… 1972) Un monstre-monde largement susceptible d’engloutir corps et âme tout individu qui viendrait à y pénétrer. Après Carrefour (créé en 1960 à Annecy) et Leclerc (initié entre 1949 et 1964 à Landerneau en Bretagne), Auchan est fondé par Gérard Mulliez en 1961. Outre le choix du nom de son magasin (débutant volontairement par un A pour figurer en tête de liste dans les répertoires et annuaires téléphoniques) et la couleur de son logo (un rouge-gorge ; couleur ici rappelée par la couverture) Mulliez vise une implantation dans une région à redynamiser, car gangrénée par le chômage et l’extrême-droite. A Roubaix, le 1er Auchan compte 600 m² ; à Roncq en 1967, l’hypermarché s’étale sur 3500 m². À Noyelles-Godault (sujet de cet album) émergeront pas moins de 22 000 m² de surface de vente et 15 000 m² de réserves ! Seul l’hyper Carrefour installé à Villiers-en-Bière (Seine-et-Marne) le dépasse pour l’instant, avec ses 25 000 m² ; mais une galerie commerciale de 18 600 m² supplémentaires est d’ors et déjà en phase de construction pour 2017 à Noyelles-Godault…
Comme l’expliquait récemment Xavier Béteaucourt au quotidien La Voix du Nord, la genèse du « Grand A » fut « un très vieux projet né un jour où l’on dédicaçait tous les deux « Noir métal » dans un Auchan, voici 10 ans. On a mangé avec le personnel d’Auchan le midi et à la fin du repas, après avoir emmagasiné des tas d’informations, Jean-Luc et moi on s’est regardés et on a dit « Là, il y a un truc à raconter ! Tout est parti de là ! »
Pour mieux saisir l’évolution des conséquences de la présence d’Auchan sur le centre-ville (déserté) d’Hénin-Beaumont et de sa région, les auteurs se livrent à un savant – et souvent ironique – jeu de flashbacks entre présent et passé, témoignages de clients ou d’employés et anecdotes vécues jadis. Sont ainsi passées en revue les principales questions liées à ce monde capitaliste, venu concurrencer (sinon remplacer) par son pouvoir d’attraction l’église, le stade de foot ou la salle de spectacle : l’Hypermarché est-il un « état » indépendant qui peut imposer sa loi ? Comment vendre à ceux qui n’ont pas les moyens ? Comment créer les besoins, de la baguette de pain au service bancaire ? L’Hypermarché est-il un ogre qui dévore et détruit tout sur son passage ou est-il source de progrès, de développement ? Les producteurs locaux sont-ils les laissés pour comptes de ce gigantisme ? Les clients sont-ils les victimes de la guerre économique liée au modèle de consommation ou les bénéficiaires? Le petit commerce et la vie des centres villes sont-ils victimes ou coupable de ne pas s’être adaptés ?
La force (de vente) du « Grand A » est non seulement de satisfaire notre curiosité sur tous ces points, mais aussi de guider notre réflexion critique en tant qu’immanquable client, faible humain confronté à la démesure des marques et des stratégies de vente. Et de fait, comme le suggère la couverture, un objet aussi banal que le caddy (inventé aux USA en 1936) est devenu l’accessoire symbolique d’un monde où même le classique « panier de la ménagère » fut remplacé pour faciliter l’achat démultiplié. Si « Le Grand A mange 195 jours de votre vie », c’est bien parce que 70% des Français passent en moyenne 1h20 par semaine à « faire les courses », une corvée aujourd’hui en partie épargnée par la mode des Drive et des commandes préalables en ligne. Ce libre-service permanent, initié depuis le commerce antique, la foire moyenâgeuse et le grand magasin propre au 2nd Empire (relire « Au Bonheur des Dames » de Zola, 1883) n’est évidemment pas sans poser plusieurs problèmes et risques : citons ici les vols, les surendettements, la concurrence déloyale et la malbouffe, soit les principaux dangers guettant la diversité des clients – de tous âges et de toutes les couches sociales – présentés en 1ère de couverture. Ces petits soldats des soldes, usagers et clients fidèles, poussent dans leurs chariots l’éthique, la philosophie et le pouvoir d’organismes dédiés au commerce à outrance, in fine le grand « A » du verbe « Avoir ».
Depuis 2014, 12 hypermarchés en France ont ainsi dépassé la barre des 200 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. Gageons que ce n’est pas en vendant seulement des albums de bande dessinée, mais que « Le Grand A » – au-delà des piques acides lancées contre Auchan – devrait néanmoins logiquement pouvoir s’y trouver. En tête de gondole, comme il se doit.
Philippe TOMBLAINE
« Le Grand A » par Jean-Luc Loyer et Xavier Béteaucourt
Éditions Futuropolis (20,00 €) - ISBN : 978-2754810388