Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...2015 : l’année Bécassine
L’année 2015 qui se clôt a été un beau moment pour Bécassine qui est revenue sur le devant de la scène à l’occasion de ses 110 ans. Pour célébrer cet anniversaire comme il se doit, l’éditeur historique de « Bécassine » depuis ses débuts, Gautier-Languereau, a mis les petits plats dans les grands en publiant tout au long de l’année une série d’éditions et de rééditions nous permettant de revenir aux sources de cette création emblématique : édition spéciale du premier album, réédition de l’ensemble des titres de la série et de l’ouvrage que lui avait consacré Bernard Lehembre pour son centenaire, édition du premier tome de l’œuvre intégrale, et – peut-être le plus intéressant et important – l’édition en deux tomes des toutes premières apparitions de notre chère petite Bretonne, courtes histoires qui étaient restées inédites en album depuis leur parution dans La Semaine de Suzette. L’occasion rêvée de redécouvrir les débuts d’un mythe et un jalon essentiel de la naissance de la bande dessinée en France.
Annaïk Labornez (alias Bécassine, puisque née à Clocher-les-Bécasses, non loin de Quimper) est apparue dès le premier numéro de l’illustré pour jeunes filles très sages et très bien élevées La Semaine de Suzette le 2 février 1905. Cette jeune femme bretonne d’origine populaire, bonne à tout faire au service d’une bourgeoisie hautaine, n’a certes pas inventé la poudre, mais sa candeur, sa gentillesse et sa débrouillardise en font tout de même un personnage très attachant. Et si elle comprend tout de travers, qu’elle répond aux situations de la vie par des propos ou des actes quelque peu décalés par rapport à la bienséance et la logique convenues, elle n’est finalement pas plus bête que bon nombre d’individus – de basse ou de haute extraction – qu’elle croise tout au long de ses aventures et qui ont une vision de la vie ou des demandes, préceptes et convictions totalement dépassés ou ridicules… Personnage emblématique dans notre paysage culturel et artistique (elle a bercé l’enfance et fortement marqué les esprits de plusieurs générations de jeunes lectrices et lecteurs, véritable madeleine pour beaucoup !), Bécassine souffre encore parfois d’une réputation si sage et désuète qu’on l’inscrit presque instinctivement dans le domaine de l’histoire illustrée (dans la grande tradition de l’illustration enfantine de la fin du XIXe siècle) plutôt que dans un réel processus de structuration du 9e art, participant pleinement à l’avènement d’un nouveau medium artistique majeur. Et pourtant…
Dessinée par Joseph Porphyre Pinchon (qui avec cette œuvre s’approche souvent – et de plus en plus franchement – de ce qui sera plus tard appelé la ligne claire), « Bécassine » est au départ scénarisée par Jacqueline Rivière, la rédactrice en chef de La Semaine de Suzette, qui signait « Tante Jacqueline ». Caumery ne commencera à en écrire les scénarios qu’en 1913, année où paraît un premier album : « L’Enfance de Bécassine ». Entre la première apparition de Bécassine en 1905 et cet album de 1913, une petite centaine de planches constituant des histoires courtes d’une ou plusieurs pages furent publiées dans La Semaine de Suzette. Ce sont ces « Historiettes » (que l’on peut considérer comme la genèse et le socle de la série) qui ont été publiées cette année en deux tomes par les éditions Gautier-Languereau, nous offrant la possibilité de lire ces histoires qui étaient restées inédites en album jusque-là et nous permettant de mieux nous rendre compte de la nature exacte de cette œuvre, ainsi que de sa modernité en terme de narration séquentielle – qualité souvent oubliée à cause d’une apparence globale jugée trop sage. « Bécassine » constitue bien une charnière fondamentale quant à la naissance de la bande dessinée en France, s’extirpant doucement de l’histoire illustrée pour amorcer une réelle narration séquentielle : l’essence même du 9e art. Bien évidemment, avant elle, il y eut Christophe, qui dès la fin des années 1880 semblait avoir déjà tout inventé avec « La Famille Fenouillard » (1889-1893), précurseur génialement inspiré ayant mis en œuvre avec un naturel confondant des procédés d’expression narrative et séquentielle qui allaient être constitutifs de la nature de la future bande dessinée : succession de cases, alternance de plans, travelling, dynamique et mouvement, montage alterné, champ-contrechamp, hors-cadre… Mais entre Christophe et la série de Forton « Les Pieds nickelés » (apparue en 1908, encore dans la structure d’une suite de cases accompagnées d’un texte en bas de l’image ; les bulles de dialogues ne viendront qu’avec « Zig et Puce » en 1925), il y eut bien « Bécassine »…
En nous plongeant dans les origines de « Bécassine » avec ces « Historiettes », on s’aperçoit combien notre petite Bretonne, en termes de 9e art naissant, s’avère être bien plus pionnière que bécasse ! Si l’utilisation du cadre des cases n’est pas encore systématique, n’apparaissant que çà et là pour souligner une situation ou clarifier la lisibilité des différents plans, la narration séquentielle se fait néanmoins grandement sentir par la succession des images en un même espace, la planche étant abordée comme une surface narrative intégrale. Il arrive qu’un élément du décor (comme cette bande de papier peint courant sur le mur du fond d’une pièce, engendrant le contexte environnemental tout autant qu’elle fait naître la profondeur de champ) se déploie derrière les personnages sans discontinuer tout le long d’une rangée d’images successives, les reliant dans un contexte global et une temporalité où les actions se succèdent en un même lieu. Les cases en cercle sont utilisées pour mettre un personnage en exergue par rapport au contexte alentour, cette focalisation sur certains éléments précis générant une théâtralité narrative dans la composition de la planche. Loin d’être une simple succession de scénettes figées, les premières petites histoires de Bécassine utilisent déjà le mouvement avec une grande efficacité. Dès la première planche, Bécassine est dessinée en pleine course, sans aucun décor derrière elle : c’est le mouvement et seulement le mouvement qui est exprimé ici. Ailleurs, Bécassine bat en retraite et ne touche plus sol, semblant voler dans les airs. De même, on remarquera çà et là des mouvements brusques qui propulsent les personnages hors du cadre ou qui au contraire les font surgir du hors-cadre, acteurs de l’histoire entrant ou sortant au sein de l’espace de la planche dans une dynamique très efficace (ce procédé du hors-cadre reste un élément remarquable que seul Christophe semblait avoir utilisé ainsi auparavant). Bref, comme je le disais plus haut, avec « Bécassine » c’est toute la grammaire de la bande dessinée qui était en train – sagement mais sûrement – de s’installer chez nous au début du XXe siècle. Alors, certes, d’aucuns feront remarquer que dans ces deux albums d’« Historiettes » une planche est en double, deux autres manquent, et certaines doubles pages sont difficilement lisibles en leur milieu à cause de la pliure centrale, mais malgré ces petits couacs regrettables, l’édition de ces histoires courtes originelles est un formidable témoignage patrimonial du 9ème art, un délicieux trésor à redécouvrir avec plaisir et émotion, et un vrai événement éditorial !
C’est aussi une première : l’édition intégrale de « Bécassine » en volumes regroupant plusieurs albums (ce format est de plus en plus à la mode dans la section « patrimoine », vous l’aurez remarqué… !). Le premier tome qui est sorti récemment reprend quatre des premiers albums de « Bécassine » parus entre 1913 et 1922 : « L’Enfance de Bécassine », « Bécassine en apprentissage », « Bécassine voyage » et « Bécassine nourrice ». Pas d’appareil critique, malheureusement, mais l’intérêt d’avoir en ce même volume la naissance et les premiers âges de ce personnage, son évolution jusqu’à la Bécassine que l’on connaît (dans les historiettes parues précédemment dans La Semaine de Suzette, Bécassine était déjà une jeune fille ; ses premiers albums, eux, revinrent en arrière depuis sa naissance). L’intérêt narratif ne disparaît pas, bien au contraire, avec par exemple dans « Bécassine nourrice » l’insertion en pleine page (puis en tant que case dans la planche suivante) d’une feuille où Bécassine a noté son idée très personnelle pour qu’un bébé ait son biberon de nuit sans que la nourrice ait à se lever. Entre l’orthographe et l’écriture qui en disent long sur l’éducation sommaire de Bécassine (et qui nous feront rire ou sourire), le plan de fou qu’elle a imaginé (digne d’un des systèmes de Rube Goldberg) et cette reproduction en pleine page d’un document qu’elle a écrit (gros plan interne se substituant à la logique de narration habituelle), nous ne sommes pas loin de Gaston Lagaffe ! Le premier volume de cette intégrale est en tout cas l’occasion pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas encore véritablement « Bécassine » (oui, il y en a !) de découvrir les origines du personnage…
Enfin, pour boucler ce tour d’horizon, rappelons que Gautier-Languereau réédite l’ouvrage « Bécassine, une légende du siècle » que l’historien Bernard Lehembre avait écrit en l’honneur du centenaire de notre fameuse Bretonne… En deux parties, l’auteur retrace l’histoire de la série et du personnage, des origines à nos jours, en mettant l’héroïne en perspective avec son époque, et nous éclaire sur les dessous de cet univers pittoresque. Il se penche aussi sur les ramifications de cette œuvre en termes d’influences et d’adaptations, de perception de la critique et du public, etc. Un ouvrage à posséder si l’on veut aller un peu plus loin, donc. Bevet Breizh, bevet Annaïk Labornez !
Cecil McKINLEY
« Bécassine : les historiettes » T1 par Joseph P. Pinchon et Jacqueline Rivière
Éditions Gautier-Languereau (13,95€) – ISBN : 978-2-01-401804-2
« Bécassine : les historiettes » T2 par Joseph P. Pinchon et Jacqueline Rivière
Éditions Gautier-Languereau (13,95€) – ISBN : 978-2-01-460170-1
« Bécassine : l’intégrale » T1 par Joseph P. Pinchon et Caumery
Éditions Gautier-Languereau (39,00€) – ISBN : 978-2-01-460172-5
« Bécassine : une légende du siècle » par Bernard Lehembre
Éditions Gautier-Languereau (29,00€) – ISBN : 978-2-01-401805-9
On peut regretter que cette intégrale ne présente pas les histoires dans leur ordre chronologique (entre « Bécassine en apprentissage » et « Bécassine voyage » il y a eu 5 albums), et que cette nouvelle édition ne reprenne pas les documents réunis par Bernard Lehembre pour l’intégrale diffusée en kiosques en 2012-2013.
Bonjour Dominique,
Merci de votre commentaire érudit – comme d’habitude ! Oui, dommage qu’il n’y ait pas d’appareil critique, comme je le disais… Par contre, j’avais étrangement et impardonnablement zappé cette non-chronologie de l’intégrale : merci beaucoup de me l’avoir fait remarquer, j’ai légèrement remanié en ce sens…
Bien à vous,
Cecil
L’article est intéressant mais occulte le rejet de Bécassine par un certain nombre de bretons avec la destruction de la bécassine au musée Grévin le 18 juin 1939,la parution dans les années 30 de cartes postales anti bécassine et d’une pièce de théâtre.(Pour info l’expo au musée de la poupée avait aussi ignorée cette partie)
Bécassine n’était pas Bretonne au départ (son origine n’était pas connue) mais elle devient effectivement bretonne avec l’enfance de Bécassine.
On peu noter également que bécassine sera utilisée par les mouvements Bretons des années 1970.
Bonjour Jean-Luc,
Merci de votre commentaire. Vous avez tout à fait raison, ce que vous rappelez à bel et bien existé… J’ai volontairement mis de côté cet aspect de rejet d’une partie des Bretons, par exemple, car j’ai voulu ne parler que de l’œuvre en elle-même, et concentrer cet article seulement sur l’artistique. Sinon, il m’aurait fallu parler effectivement de cette « question bretonne », mais aussi des relations familiales Caumery-Gautier-Languereau, ou même de… Chantal Goya ? Parler de toutes ces ramifications, répercussions et influences historiques et sociales mériterait sûrement un autre article entier…
Bien à vous,
Cecil
Bonjour Cecil
Merci pour la réponse.
Pour info je travaille sur la partie bécassine et les bretons et si la partie des années 30 est bien documentée je finalise la période des années 70 qui elle est très compliquée Bécassine ayant été récupérée par la droite et la gauche.
A très bientôt pour parler de Bécassine
bien à vous
jean luc
Bonjour Jean-Luc,
Ravi d’apprendre que vous travaillez sur Bécassine… Bon courage pour ce beau travail !
Bien à vous,
Cecil