Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Le Club des divorcés » T1 par Kazuo Kamimura
Kazuo Kamimura est un auteur rare, essentiellement publié dans la collection Sensei de l’éditeur Kana ou chez Asuka (1). Disparu le 11 janvier 1986 d’un cancer du pharynx, il n’avait que 45 ans. Son oeuvre, adulte, a pourtant marqué les esprits lorsque, plus d’un quart de siècle après son décès, est publié en Occident « Lady Snowblood » : une trilogie qui inspirera Tarantino lors de la réalisation de « Kill Bill ». Aujourd’hui, Kana publie « Le Club des divorcés », une oeuvre plus légère qu’il réalisa dans les années 1974/1975.
« Le Club des divorcés » est un bar à hôtesse, comme il en existe tant d’autres à Ginza, un quartier chaud de Tokyo. Ce club a pourtant une particularité, comme son enseigne l’indique, il s’adresse, avant tout, à une clientèle d’hommes divorcés. En effet, ce sont plutôt les hommes qui fréquentent ce genre d’établissement, même si la gérante est une femme : Yûko, elle-même divorcée. Elle a une fille de trois ans qu’elle a confiée à sa mère, son travail étant incompatible avec un enseignement stable de la vie. Elle travaille pourtant d’arrache-pied toutes les nuits, en compagnie de son jeune serveur Ken et ses deux ou trois hôtesses censées divertir les clients, voir plus si le pourboire est à la hauteur de la prestation.
Yûko n’a que 25 ans. Elle est pourtant divorcée d’un pianiste de bar qu’elle avait épousé lorsqu’elle n’avait que 20 ans. Son mariage a tenu trois années. Deux ans plus tard, les deux ex-époux n’ont plus rien à se dire et ils mènent leur vie assez tragiquement, chacun de leur côté. Les clients du Club, qui traversent eux aussi des moments tragiques, n’aident pas à se reconstruire sereinement. Il y a cette femme qui veut se pendre à la moindre contrariété, cet autre qui ne sort qu’avec des écrivains qui la délaissent une fois la passion retombée, ou encore Kazuo Kamimura qui se met lui-même en scène sous les traits d’un vieux mangaka libidineux. Passé cette vie nocturne, Yûko a toute une histoire avec son serveur, bien trop jeune, qui n’ose pas faire le premier pas, alors qu’il rêve de coucher avec sa patronne. Et, bien sûr, cette petite fille de trois ans, souvenir encombrant de son mariage que Yûko ne peut elle-même élever et qu’elle a confié à sa propre mère. Mère qui n’hésite pas à lui rappeler qu’elle a des devoirs envers cet enfant et qu’elle devrait compter plus que son travail aujourd’hui. Discours que Yûko a, toutefois, du mal à entendre.
Sur plus de mille pages réparties en deux tomes, « Le Club des divorcés » dresse un portrait peu commun du Japon des années 1970. Le divorce y étant un sujet assez tabou : un échec mal ressenti pour deux êtres qui ne se comprennent plus. Avec son trait lisse et semi-réaliste, Kazuo Kamimura dépeint un Japon ou se mélange la tradition des kimonos et la modernité des actrices porno aux grosses lunettes typées des années disco. Sans tomber dans l’emphase ou un côté moralisateur malvenu, il arrive à montrer le désarroi de ces protagonistes qui ne cherchent qu’à vivre au jour le jour. Chaque chapitre d’une trentaine de pages propose un sujet différent dont le fil conducteur est la vie de Yûko qui s’égrène de page en page. Les clients ne faisant souvent que passer, comme dans la vraie vie d’un bar à hôtesses. Même si la vie de Yûko se dévoile devant nos yeux, chaque chapitre peut être lu indépendamment les uns des autres, principe du feuilleton oblige.
Le sujet du « Club des divorcés » est beaucoup plus léger que dans certains de ses autres mangas comme « La Plaine du Kantô ». Ce n’est qu’une tranche de vie d’une femme parmi tant d’autres. Une femme qui a choisi de contrôler son destin dans ce Japon des années 1970. À ne pourtant pas commencer les soirs de déprimes.
Gwenaël JACQUET
« Le Club des divorcés » T1 par Kazuo Kamimura
Éditions Kana (18€) – ISBN : 9782505063100
(1) Les éditions Asuka n’ont publié que « Le Fleuve Shinano » (3 tomes) en 2008, tandis que Kana a édité, dés 2007, « Lady Snowblood » (3 tomes), puis en 2009 « Lorsque nous vivions ensemble »(1 tome), en 2010 « Folles Passions » (3 tomes) et « L’Apprentie Geisha » (1 tome), en 2011 « La Plaine du Kantô » (2 tomes), en 2012 « Maria » (2 tomes) et, enfin, en 2015 « Le Club des divorcés » (2 tomes).