Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Le Château des étoiles T1 : 1869, la conquête de l’espace » par Alex Alice
Homme des « Voyages extraordinaires », le visionnaire Jules Verne aura – comme on le sait – inspiré aussi bien Méliès (« Voyage dans la Lune », 1903) que Hergé (« Objectif Lune », 1953) ou Schuiten et Peeters pour « Les Cités Obscures » (« La Route d’Arilia » en 1988). Avec l’ambitieux et feuilletonnesque « Château des étoiles », Alex Alice s’est à son tour élancé vers les étoiles de l’aventure au sein d’un récit à priori destiné à la jeunesse et de fait truffé d’une myriade de références. En suivant au 19e siècle et jusqu’en Bavière les péripéties vécues par Séraphin et son père, les lecteurs désireux de percer les mystères de l’éther s’envolent pour un envoûtant périple steampunk, dans les prémices de la conquête de l’espace. Un thème qui prend tout son sens avec la suite du récit, actuellement proposée sous la formes de trois gazettes…
Alex Alice n’avait jusqu’ici pas caché son amour pour les ambiances historico-fantastiques (« Le Troisième Testament » et « Julius », chez Glénat depuis 1997) ni celui proposant une heroic fantasy opératique (« Siegfried », chez Dargaud de 2007 à 2011). Avec le présent album, il rejoint également sa vocation multimédia et sa passion de l’animation, tant l’hommage au géant japonais Hayao Miyazaki est significative, ne serait ce que par le choix du titre (« Le Château des étoiles » équivaut aux précédents « Château de Cagliostro » (1979), « Château dans le ciel » (1986) et « Château ambulant » (2004)). Comme le précise le sous-titre du premier album, l’intrigue (science-fictive) se situe en 1869, date qui peut constituer un clin d’œil malicieux à Verne. Le romancier publie alors son chef-d’œuvre, « Vingt Mille Lieues sous les mers », tandis qu’« Autour de la Lune » paraîtra l’année suivante, cinq ans après « De la Terre à le Lune » (1865). Dans l’album, c’est l’empire prussien conquérant de Bismarck et ses espions qui constituent la plus grande menace, tandis que la Bavière féérique et angélique du roi Ludwig (Louis II) constitue une principauté et une proie idéale. Dans la réalité historique, nous savons que la défaite française de 1870 achève l’intégration du royaume de Bavière à l’Empire allemand naissant, mais qu’en sera-t-il dans ce monde alternatif ?
Chez Miyazaki (avec la principauté de Cagliostro) comme chez Hergé (avec le royaume Syldave) ou Alice (avec une architecture reprise au Neuschwanstein), le cadre « spatial » est en référence à la romance ruritanienne, un genre littéraire ayant émergé à la fin du 19e siècle et qui tire son nom de la Ruritanie, un pays imaginaire créé par Anthony Hope dans son roman « Le Prisonnier de Zenda » : les ingrédients en sont le roman d’amour et d’aventures, de jeunes héros et de petites monarchies perdues dans les montagnes d’Europe centrale… Le genre se poursuivra notablement dans la bande dessinée, avec par exemple « QRN sur Bretzelburg » (Franquin, 1966).
Prépublié entre mai et juillet 2014 sous la forme de trois journaux de grand format (29 sur 42 cm), le premier tome (paru en septembre suivant) regroupait donc les trois premiers épisodes du « Château des étoiles » (« Le Secret de l’éther », « Les Chevaliers de l’éther » et « Les Conquérants de l’éther »). Ce format feuilleton digne de Tardi se poursuit en 2015 avec les gazettes suivantes, logiquement numérotées de 4 à 6 : « Les Naufragés du ciel » (13 mai), « Les Secrets de la face cachée » (10 juin) et « Le Roi-Lune » (8 juillet) fourniront ainsi la matière du tome 2 cartonné, à paraître le 16 septembre prochain.
L’inspiration vernienne, ainsi que les gravures d’Édouard Riou et d’Alphonse de Neuville ou les célèbres couvertures des éditions Hetzel semblent avoir apportées à notre monde contemporain de l’image un patrimoine inextinguible, dont les auteurs n’ont de cesse de rechercher la richesse : « Les Voyages extraordinaires », riches de 4 000 illustrations (dessins, gravures, cartes ou photos), semblent de fait avoir dictés l’élaboration de magnifiques couvertures-hommages, aussi bien chez Alex Alice que chez Alexis Nesme (pour son adaptation des « Enfants du Capitaine Grant » chez Delcourt depuis 2009) ou Denis-Pierre Filippi et Silvio Camboni (voir notre article consacré aux couvertures du « Voyage extraordinaire »). Au fil des visuels, un ballon s’élève jusqu’à des hauteurs stratosphériques (de 10 à 50 kms au dessus du sol), sinon exosphériques (plus de 690 kms !), tandis qu’une multitude de personnages semble réduire peu à peu le champ clos et circulaire de l’illustration qui le contient. Si l’évasion de cet imaginaire coïncide avec la dangereuse connaissance des secrets de l’espace, nul doute que le véritable secret à atteindre est ailleurs : outre un château – à la silhouette quasi disneyenne – situé dans les étoiles (ou sur la Lune, selon le dessin accompagnant le logo-titre), la série se base sur le principe physique et mythologique de l’éther.
À l’origine, Éther est un dieu primordial de la mythologie grecque, personnifiant les parties supérieures du ciel, ainsi que sa brillance (ciel pur ou éthéré). Considérée comme une matière énigmatique venant remplir le vide spatial ou comme un fluide capable de transporter la lumière, analysé aussi bien par Descartes, Newton ou Einstein, l’éther garde encore aujourd’hui une aura énigmatique et inexplicable, finalement apte à quitter le seul domaine scientifique pour réinvestir le champ de la fiction. Gardons en pour preuve le nom de l’Ethernef, vaisseau spatial précurseur (et là encore steampunk ou uchronique) mis au point par le père du héros Séraphin.
Dans les étoiles selon Alex Alice, mille et un dangers sont encore à craindre pour les personnages, en guise de dignes promesses intrépides propre au récit-feuilleton. Vers l’(espace) infini des cases et au-delà …
Philippe TOMBLAINE
« Le Château des étoiles T1 : 1869, la conquête de l’espace » par Alex Alice
Éditions Rue de Sèvres (13, 50 €) – ISBN : 978-2369810131
« Gazette Le Château des étoiles n°4 : Les Naufragés du ciel » par Alex Alice
Éditions Rue de Sèvres (2, 95 €) – ISBN : 978-2369812029
« Gazette Le Château des étoiles n°5 : Les Secrets de la face cachée » par Alex Alice
Éditions Rue de Sèvres (2, 95 €) – ISBN : 978-2369812043