Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« La Cité des chiens » T1 par Jakub Rebelka et Yohan Radomski
Afin de renverser son oncle Volas, le cruel seigneur de la Cité des Chiens, Enora fait appel à la Confrérie des brigands réfugiés sur l’Ile des Pendus. Dans cet univers sombre et onirique, où la vie ne tient souvent qu’à un fil, la vengeance prendra un tour inattendu : car Volas et le fils destiné à lui succéder sont sous l’influence de l’Ombre, une redoutable entité machiavélique que tous devront combattre…
Ce premier volume du diptyque « La Cité des chiens », prévu initialement en janvier et paru depuis la fin avril 2015 chez Akileos, plongera ses lecteurs dans un récit volontiers labyrinthique, digne de la séquence marécageuse d’ouverture. Tonalités macabres, personnages vils, coups en traîtres et relations malsaines seront donc de mises dans cette histoire tour à tour poétique et dantesque, portées aux frontières graphiques du style gothique par Jakub Rebelka. De fait, c’est bien un ensemble de références que portent ici ce dessinateur polonais (né en 1981), dont l’inspiration navigue entre heroic et dark fantasy, science-fiction, Mignola, Giger, Moebius, Rosinski, Comès (« Ergün l’errant », 1974) jeu vidéo de genre (« The Witcher »), toiles historiques nationales et renvois aux contes et légendes médiévales traditionnelles (voir le blog très illustré de l’auteur : http://shzrebelka.tumblr.com/).
Grand spécialiste de la Chine et vivant à Shanghai, le scénariste Yohan Radomski (cf. http://yohanradomski.blogspot.fr/) avoue lui-même avoir réinterprété un Moyen Age obscur à partir de ces déclinaisons : « Je me suis inspiré d’une image de Jakub Rebelka pour écrire le scénario de « La Cité des Chiens ». Il y avait une atmosphère, des décors, des persos qui m’ont tout de suite parlé. J’ai proposé à Jakub de faire une histoire d’heroic fantasy et on a sauté là-dedans avec enthousiasme. On ne retrouve pas cette scène dans le scénario, elle était juste la source d’inspiration. » Radomski retrouve ici un monde fantasmagorique déjà mis en scène en 2013 dans « Danse macabre » (dessin de Yann Taillefer), où le héros Martin errait entre le monde des vivants et celui des morts, tandis que – chez le même éditeur – les lecteurs avaient déjà salué en ce début d’année le premier volume du « Roy des Ribauds », polar médiéval nerveux réalisé par Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat.
En couverture de « La Cité des chiens », les racines du Mal s’étirent entre action guerrière – menée brutalement et de manière conquérante par le seigneur Volas, ses animaux géants de combat et ses hommes à l’arrière-plan – et volonté de vengeance féminine, portée par la silhouette affirmée de la jeune Enora à l’avant-plan. Les circonvolutions maléfiques des ronces et épines entrelacées, émanations d’une noirceur vénéneuse et létale, ne sont pas sans rappeler un motif propre au genre merveilleux, repris aussi bien à « La Belle au bois dormant » (Perrault, 1697) qu’à « La Belle et la Bête » (Leprince de Beaumont, 1757) et transposé notamment via les comics et « Batman » (dans le personnage de la super-vilaine Poison Ivy) via un glissement adéquat dans le genre gothique.
Cette confrontation entre homme et nature, ville et forêt, société et animalité – manifeste dans le titre de l’œuvre – surévoque une image de la mort omniprésente, encore renforcée par les tonalités sombres et rougeâtres. Tel l’horizon de pierres constitué par la forteresse de Volas, la « Cité des chiens », dominé par le pouvoir brutal des hommes, est destinée à tomber : elle s’effrite déjà sous les assauts éternels de la jeunesse, de la nature et d’une femme (double symboles de vie et de régénération)… qui agit par amour.
Philippe TOMBLAINE
« La Cité des chiens » T1 par Jakub Rebelka et Yohan Radomski
Éditions Akileos (15, 00 €) – ISBN : 978-2355741814