Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Pandemonium » T 1&2 par Sho Shibamoto
Voilà un manga où des êtres anthropomorphes désignés sous le nom de « Ceux qui hantent le ciel » sont censés pouvoir ressusciter les morts. Du moins, c’est ce que la légende dit, et Zipher y a cru. Portant sur son dos le cercueil renfermant sa dulcinée, il se dirige lentement vers les terres inexplorées à la rencontre de ces êtres supérieurs. Il lui en faut du courage, car cette quête est semée d’embûches, mais ses intentions sont-elles si nobles que ça ?
Ce manga à l’allure de roman graphique est, comme il se doit, sorti dans la prestigieuse collection Lattitude des éditions Ki-oon. C’est vrai que ce titre n’a rien de commun avec les habituels mangas : de grande taille, sa lecture se fait dans le sens occidental et il est entièrement en couleurs. Même le dessin ne répond pas aux stéréotypes japonais. Les protagonistes sont tous des êtres anthropoïdes avec des caractéristiques animales. Mélanges de créatures vivantes ou mythologiques, diverses et variées. Le héros de cette histoire Zipher, ressemble à un félin, alors que l’héroïne qui l’a recueilli est plus typée renarde, avec des serres de rapace en guise de pied et des mains semblables à des pattes de tatou. Le reste des habitants du village sont tout aussi étranges. C’est pourquoi ils se font appeler : les difformes.
Le scénario de ces deux volumes repose sur une base au premier abord simpliste. Mais dès le second volume, le lecteur découvrira plus en profondeur les intentions de Zipher ou les raisons qui ont poussé ce peuple d’être étranges à se cacher du monde, en invoquant de grands pouvoirs magiques afin de se protéger. C’est une histoire d’amour sombre et cruelle, où les miracles n’existent finalement pas. Néanmoins, c’est une belle aventure basée sur la tolérance, l’acception des différences et la peur qu’elle peut susciter.
Entièrement traité avec des tons d’ocres bruns le dessin reste mélancolique. Cette couleur chaleureuse contraste avec les fonds de page d’un noir profond : symbole de la grotte dans laquelle vit reclus le peuple des difformes. Cette couleur est néanmoins de temps en temps discrètement rehaussée de rouge pour certains vêtements. Le résultat est assez terne et montre bien la misère et le dénuement dans lequel vit cette tribu. De plus, cela donne un côté ancien et authentique au récit, tout en générant une noirceur démoralisante. Cette couleur, omniprésente, renforce le côté dramatique et incongru de l’histoire. Elle accompagne le dessin et la mise en scène. Sans ce traitement graphique, ce manga aurait une tout autre allure. En serait-il moins intéressant, difficile à dire ? Le ressenti et l’empathie du lecteur seraient tout autre, c’est indéniable.
Malgré la naïveté et le côté maladroit de Zipher, ce conte gothique raconte une belle histoire en seulement deux volumes. Un roman graphique simple ou la beauté n’est pas forcément là où on l’imagine.
Gwenaël JACQUET
« Pandemonium » T 1&2 par Sho Shibamoto
Éditions Ki-oon (15€) – ISBN : T1-9782355927607 T2-9782355927980
PANDEMONIUM -MAJUTSUSHI NO MURA- © 2014 Sho SHIBAMOTO / SHOGAKUKAN