Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Le Roy des Ribauds : Livre I » par Ronan Toulhoat et Vincent Brugeas
Après l’uchronie (« Block 109 ») et la science-fiction post-apocalyptique (« Chaos Team »), toujours fidèles aux éditions Akileos, Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat ont choisi un projet qui ne cède en rien à leur goût pour la noirceur historique. Avec cet épais premier volume du « Roy des Ribauds », voici les lecteurs transportés dans les ruelles mal famées de Paris, au cÅ“ur du sombre hiver 1194. Tandis que le roi Philippe Auguste agit finement contre les intérêts anglais, son âme damnée Tristan – dit Triste sire -, surveille et contrôle les bas-fonds. Cependant, ce roi des gueux, craint et respecté, mais prêt à tout pour défendre l’honneur de sa propre fille, n’est pas à l’abri d’un tragique faux pas…
Première question légitime avant même d’évoquer la couverture : un tel personnage a-t-il réellement existé ? La réponse est oui : comme nous l’explique lui-même Vincent Brugeas en fin d’ouvrage, le « Roy des Ribauds » fut le nom attribué jadis au chef de la garde rapprochée du souverain capétien.
Cet officier de la maison du roi était de fait chargé de la police intérieure du palais et de la surveillance des maisons de jeu et de prostitution. Notons que ce type de personnage fut évoqué par l’écrivain Maurice Druon dans le tome 7 de sa célèbre saga « Les Rois maudits » (« Quand un roi perd la France », 1977). L’homme – véritable Vidocq avant l’heure – a des yeux et des oreilles partout, et agit donc en véritable ministre de l’intérieur… ou chef des services secrets !
Au XIIe siècle, Philippe Auguste chercha doublement à régler les excès liés aux entourages licencieux des armées et à une soldatesque plus que brutale. Après avoir recruté les plus aptes et les plus efficaces de ces aventuriers peu scrupuleux, de l’aveu même des historiens, « cette bande de ribauds se distingua par de tels faits d’armes, par de si merveilleux coups de main, par de si nombreux témoignages de bravoure et d’intrépidité, que Philippe-Auguste en fit un corps d’élite, et l’attacha particulièrement à la garde de sa personne » (in « Histoire de la Prostitution » par Pierre Dufour, 1853). A leur tête, le roi des ribauds rendait une justice expéditive, et présidait quelquefois aux exécutions, pour leur donner un caractère plus solennel et inspirer plus de terreur à ses détestables sujets. Mais sa royauté diminua d’importance, à mesure que le tribunal des maréchaux augmenta la sienne ; car, le roi des ribauds étant attaché personnellement à l’hôtel du roi, on ne le voyait figurer que dans les chevauchées où le roi se trouvait en personne. Partout ailleurs, dans les expéditions militaires, dans les camps et dans les garnisons, la connaissance et le jugement de tous les crimes et délits revenaient de droit aux prévôts des maréchaux, qui s’emparèrent peu à peu de l’autorité. La charge de « Roy des Ribauds » sera finalement supprimée au début du XVIe siècle.
Sur le visuel de couverture du présent album, le personnage – encore anonyme – qui donne sa fonction au titre est incarné dans toute ses ambivalences. Outre le caractère médiéval de l’intrigue, qui impose au lecteur (dans la veine conjuguée du « Nom de la rose » et de « Robin des bois ») son caractère tour à tour romanesque et primaire, flamboyant et crépusculaire, aventureux et réflexif, c’est tout un genre fictionnel qui est ici réinstallé dans l’Histoire : celui du thriller ou polar, connoté tant par les couleurs symboliques (noir, rouge, jaune, blanc ) que par l’aspect criminel sous-jacent (le couteau ensanglanté, la balafre sur le visage et l’aspect du personnage, éléments dignes d’un précurseur de Jack l’Eventreur !). Il demeure que l’aspect à priori inquiétant du « Roy des ribauds » est modéré par le contexte : dans la noirceur du huis-clos potentiel, une lumière se fait jour, et nous ne savons finalement si l’homme (digne de sa fonction) est justicier ou assassin, protecteur ou exécuteur, noble souverain ou félon régicide. Au fil des 160 pages de ce premier tome, Brugeas et Toulhoat délivrent un récit nerveux, habile et aux antipodes du seul modèle héroïque : il apparaitra ainsi que les réponses comme les actes ne sont jamais univoques ni sans poser des questions morales, éthiques ou politiques. Comme toute charge, celle du « Roy des ribauds » isole et contraint… pour le pire comme le meilleur !
Sachant qu’historiquement, Richard CÅ“ur de Lion, le fier antagoniste anglais de Philippe Auguste, capturé à son retour des Croisades depuis l’automne 1192, fut enfin libéré en février 1194, bien décidé à en découdre, attendons-nous dans les prochains volumes à une situation tendue et risquée, où chaque geste de trahison pourra être fatal…
Vivement la suite des errances et escarmouches du Triste Sire…
Les derniers mots sont laissés à Ronan Toulhoat :
« En qui concerne les couvertures, je fonctionne par flash. Une idée qui s’impose dans ma tête et qui n’en sort pas. Donc, en ce qui concerne « Le Roy des Ribauds », j’ai tout de suite eu cette idée de notre triste sire émergeant de l’ombre, dans ces tons rouges…
J’en étais tellement convaincu que j’ai réalisé cette couv’ très tardivement : en septembre dernier, alors que le bouquin était commencé depuis plus de 8 mois. Par acquis de conscience, j’ai tout de même tenté le négatif de la vision que j’avais en tête. D’un commun accord avec toute l’équipe, nous en sommes donc restés à la version première
Version première qui comporte un risque non négligeable : elle est sombre, et peut se noyer dans les étals de BD ; mais j’ai pris ce risque dans la mesure où elle collait parfaitement à l’ambiance et au personnage. De plus, il était évident qu’il fallait le triste sire en couverture, un personnage emblématique et graphique, qui impose sa marque à la série. »
Philippe TOMBLAINE
« Le Roy des Ribauds : Livre I » par Ronan Toulhoat et Vincent Brugeas
Éditions Akileos (19, 00 €) – ISBN : 978-2-355-74180-7
Notes : existe aussi une édition « luxe », limitée à 100 exemplaires, avec couverture en cuir et deux ex-libris, numérotée et signée. Cette édition fut mise en vente exclusivement sur le stand des éditions Akileos, pendant le 42ème Festival d’Angoulême (janvier-février 2015).