Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Ressentiment » T1 par Kengo Hanazawa
Avant de faire « I am a Hero », Kengo Hanazawa a réalisé une œuvre complètement décalée, mais mettant également en scène un vrai looser. Pas question de zombie ou d’apocalypse, c’est plus un pamphlet social sur le mal-être japonais et son enfermement dans les mondes virtuels. Et ça ne touche pas que les jeunes, puisque le personnage principal de cette aventure fête ses trente ans. Il est encore puceau, et ça se comprend. Il est moche, ne sait pas se mettre en valeur, s’habille mal, se comporte comme un gros porc et ne sait pas bien s’exprimer. Pourtant, il croit toujours à l’amour. Sa vie va basculer lorsque son meilleur ami, un looser du même acabit et dans la même misère sexuelle, lui présente un jeu de drague virtuel.
Takuro Sakamoto n’est pas dupe, il sait qu’il n’a aucune chance avec les femmes. Ce type de jeux vidéo avec combinaison tactile est une aubaine pour lui. Il va claquer toutes ses économies dans un PC haut de gamme, des gants tactiles, une webcam et surtout un CD donnant accès à Unreal : un monde virtuel où il est possible d’avoir un avatar séduisant qui trouvera facilement une conquête féminine docile pour lui prodiguer tout l’amour qu’il attend. Dans ce jeu, même le pire déchet de l’humanité peut être admiré pour ce qu’il n’est pas : une occasion en or où il pourra dépenser ses économies durement acquises.
Pourtant, cela ne va pas se passer comme il l’imaginait. L’improbable arrive : sa dulcinée en aime déjà un autre et, même s’ils sont seuls sur une île déserte, elle va refuser ses avances. Ce jeu a un défaut de conception, c’est indéniable. Les deux amis qui n’ont en commun que leur laideur et leur dépendance aux jeux de dragues vont donc remuer ciel et terre pour essayer de comprendre ce qui peut clocher. Une multitude de mystères entoure la conception d’Ureal et ils ne sont pas au bout de leurs surprises.
Si ce manga ne paye pas de mine, il a un scénario prenant et c’est là toute sa force. Ne soyez pas rebuté par le dessin indigent de ce Kengo Hanazawa débutant : l’humour et la construction d’une histoire forte sont là , ce qui fait vite oublier les têtes disproportionnées et les expressions figées. Autant certains artistes passent beaucoup temps à peaufiner leurs dessins et finalement n’ont rien à raconter, autant, ici, les idées fusent et le lecteur ne peut que dévorer cette histoire totalement improbable.
Prévu en seulement deux tomes, c’est une version un peu spéciale que nous propose les éditions Ki-oon. La série a initialement été publiée en quatre volumes, chaque tome français se basant sur la compilation de deux mangas en un seul. Ce qui fait un gros pavé de 464 pages pour moins de 10 €. Une excellente affaire concernant le rapport quantité/qualité/divertissement/prix.
Même si le sujet n’a rien à voir avec « I am a Hero », cette première œuvre de Kengo Hanazawa joue sur les mêmes registres burlesques un peu décalés. Il est capable de nous faire passer une scène de fiction pour un événement qui pourrait bien exister si l’on y prend garde. Bien évidemment, impossible de se reconnaître dans le personnage de Takuro Sakamoto. Personne ne peut accumuler autant de tares, du moins je l’espère. Néanmoins, certaines scènes font mouche et peuvent rappeler des moments vécus pas toujours agréables. On connaît tous quelqu’un qui est accroc aux jeux vidéo, mais ce genre de personne, accroc aux jeux de drague, n’existe pas vraiment en France. Pourtant, au Japon, c’est un marché énorme. Le voir ainsi démystifié et tourné en dérision est particulièrement intéressant.
Qui est l’amoureux virtuel de Tsukiko ? Est-ce que Takuro va quand même tenter de la séduire ? Comment va-t-il enquêter dans ce monde virtuel ? Vous découvrirez tout ça dans ce premier tome de « Ressentiment » et vous trépiderez d’envie d’obtenir la conclusion de l’histoire dans le second volume à paraître. C’est un manga totalement improbable, servi par un auteur que l’on n’attendait pas sur ce sujet plutôt traité dans les mangas pour plus jeunes : une immersion dans l’enfer des mondes virtuels et leurs conséquences dans le réel !
« Ressentiment » T1 par Kengo Hanazawa
Éditions Ki-oon (9,65 €) - ISBN : 978-2-35592-759-1