« La Patrouille des invisibles » : entretien avec Olivier Supiot

Graine de Pro en 1997, prix du meilleur dessin au Festival d’Angoulême en 2003, Olivier Supiot nous propose un nouvel album, situé dans les tranchées de la Grande Guerre, et met son talent au service de la piétaille sacrifiée dans ce conflit.

Carte postale.

Hubert Lessac, narrateur de cette histoire, est un jeune aviateur lorsqu’éclate la Guerre de 1914. Comme nombre de ses contemporains, il s’engage alors la fleur au fusil.

 

Trois ans plus tard, Hubert Lessac est devenu un héros national. Aux commandes de son Spad, il fait partie de l’élite de l’armée française. Dix-neuf victoires en vol ont fait de lui un mythe parmi les poilus engoncés dans la boue des tranchées. Mais il finira par être abattu.

Tombé dans un bourbier, Hubert est sauvé par les soldats Milo et Pierrot qui le ramènent dans leur casemate. C’est en reprenant des forces et en cherchant à rejoindre un hôpital de campagne qu’Hubert partagera le quotidien sordide et mortel de Souleymane, Kerzadec, Grévois, Creuil…

Olivier Supiot, dessinateur et scénariste, condense dans ce récit guerrier les quatre années de « La der des Ders ». Il nous montre des soldats, qui, quelle que soit leur origine — bourgeois, indigènes des colonies, réprouvés ou homme du peuple — s’adaptent à la violence des combats.

L’espoir d’une trêve prochaine, le sens du devoir ou l’appropriation de la boucherie ambiante deviennent des moyens de survie et permettent de tenir jusqu’au lendemain, si une balle ennemie ou un obus ne viennent pas en décider autrement.

Olivier Supiot mêle finement différents destins, parfois dans des chemins que l’on n’attendait pas ; par exemple la relation entre Creuil et Kerzadec. Son histoire nous laisse une sensation de mélancolie vivace. Paradoxalement, Olivier Supiot nous enchante une fois de plus par l’utilisation judicieuse et lumineuse de ses couleurs, une application qui rend les teintes sombres de la boue et des tranchées éblouissantes.

Voici quasiment votre vingtième album, pourquoi avoir choisi cette période historique ?

Il s’agit même de mon vingt-sixième album, en comptant ceux que j’ai réalisés en tant que scénariste… L’envie de faire un album ayant comme toile de fond la Grande Guerre remonte à sept années, lorsque j’ai lu « Le Feu » d’Henri Barbusse. J’avais même essayé d’adapter quelques passages, pour le plaisir, en noir et blanc à l’époque. Quelques années plus tard, j’ai décidé d’écrire une fiction en m’inspirant graphiquement des peintres de guerre. J’avais très envie d’aborder cette guerre d’un point de vue émotionnel un peu comme un conte, cruel et imagé.

L’amnistie des condamnés au bagne, par exemple, n’est pas très connue. Comment avez-vous trouvé cette anecdote, vous avez fait beaucoup de recherches ?

Je tiens à préciser que c’est une fiction. Bien sûr, je me suis documenté : on peut difficilement aborder ce sujet sans le faire. J’ai lu des ouvrages historiques, vu des documentaires, des films, des photos, des dessins et peintures. Mais ce que souhaite surtout c’est que l’on s’attache aux personnages qui, je l’espère, donnent une dimension humaine à mon histoire qui parle de soldats anonymes, des pères, des fils, des oncles. Des hommes embrigadés dans un conflit qui les dépasse. Sur le personnage de Titouan Kerzadec, il y a un aspect caricatural. L’amnistie me permettait de faire passer un personnage fort, d’un enfer à l’autre. Titan, Grévois, Pierrot, Lessac n’ont pas existé, mais j’espère avoir rendu leurs personnages crédibles et incarnés, et surtout humains.

Un carnet graphique accompagne la sortie de votre album. Vous passez combien de temps à la conception d’un album ?

Pour cet album, j’ai eu la chance de travailler sur la maquette et sur certaines parties du récit avec le graphiste Tony Emeriau, notamment sur la couverture et sur le cahier graphique. Merci à lui pour son talent et sa patience. « La Patrouille des invisibles » m’a demandé deux années de travail. En près de dix-sept années de dessinateur, je n’avais jamais travaillé aussi longtemps sur un album. Les recherches au niveau de certains points historiques, et aussi, bien sûr, au niveau du dessin, m’ont demandé beaucoup de temps. La couleur directe demande aussi de l’énergie et du temps. Il a fallu rentrer dans ce sujet si particulier.Pour moi en tant que personne il y aura un avant et un après « La Patrouille des invisibles ».

Vous avez beaucoup dessiné pour la jeunesse, « Marie Frisson » (série créée avec Éric Baptizat pour le magazine Tchô !), les deux « Tatoo » ou votre adaptation du « Vaillant Soldat de plomb ». Vous travaillez de la même manière pour vos ouvrages jeunesse ?

Il n’y a eu, jusqu’à maintenant sur mes ouvrages jeunesse, pas de recherches documentaires aussi poussées. Mes précédents albums étaient plus imaginaires que semi-réalistes. En revanche, le plaisir est identique : le plaisir de dessiner, parfois d’écrire et de participer à cette extraordinaire aventure qu’est la réalisation d’un livre. Mais je pense que « La Patrouille des invisibles » est mon projet le plus personnel.

Vous mentionnez plus haut, Tony Emeriau. C’est avec lui que l’an dernier vous avez collaboré sur les collections du musée de Parthenay.

Oui, grâce à l’implication de l’équipe de ce musée, animée par Maria Cavaillès et Maud Clochard, nous avons eu la chance d’avoir une carte blanche pour collaborer avec eux. Une très belle expérience à la fois humaine, pédagogique et artistique. Tony Emeriau est un graphiste, mais aussi un auteur. C’est un excellent technicien et un créatif exigeant. Travailler avec lui entraîne toujours une belle dynamique.

Olivier Supiot a participé l’an dernier à l’exposition « Des images et des mots — 100 planches pour 100 ans de BD européenne » à la collégiale Saint-Martin d’Angers. Il réalisa dans ce cadre une fresque peinte sur bois à l’acrylique. À la fin de l’exposition, cette fresque fut offerte au service pédiatrique du CHU d’Angers. © Vanessa Bataille

Ce n’est pas votre unique collaboration hors des pages de la bande dessinée. Vous travaillez depuis longtemps avec la compagnie Troll ?

Affiches pour la compagnie Troll.

 

Oui, je travaille avec la compagnie Troll depuis longtemps et j’espère encore le faire le plus souvent possible. Richard Petitsigne, fondateur de la Compagnie, est toujours dans la notion de partage et d’invention pour un public d’enfants comme d’adultes.

Olivier Supiot en pleine action.

Le spectacle vivant est aussi un formidable passeur d’histoires. Je connais Richard depuis plus de 20 ans… C’est comme avec Tony Emeriau, j’aime travailler avec une famille de cÅ“ur.

Après « La Patrouille des invisibles », vous préparez un nouvel album ?

Il y a des pistes… Ma prochaine sortie est pour le 6 novembre dans la collection P’tit Glénat : « L’Enfance de Mammame », un livre illustré tiré du spectacle de danse contemporaine du chorégraphe Jean-Claude Gallotta. Ensuite j’ai plusieurs pistes en adulte et en jeunesse, rien de confirmé pour l’instant… J’y travaille.

Brigh BARBER

Mise en pages : Gilles Ratier

Mille mercis poilus à Olivier Supiot pour cet entretien.

Olivier Supiot, Tony Emeriau et la compagnie Troll possèdent chacun leur page Facebook. Soyez amis pour suivre leur actualité.

« La Patrouille des invisibles » par Olivier Supiot

Éditions Glénat (24,90 €) — ISBN : 9 782 723 486 330

Galerie

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