Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Sherlock Holmes & les voyageurs du temps T1 : La Trame » par Laci, Sylvain Cordurié et Jean-Sébastien Rossbach
Retiré des affaires depuis sa lutte victorieuse contre le professeur Moriarty, Holmes mène en janvier 1894 une vie paisible de libraire au cÅ“ur de Londres. Mais le voici obligé de répondre aux inquiétudes de la Reine Victoria : disparu depuis une vingtaine d’années, le savant fou Aaron McBride vient de réapparaître… en ayant traversé le temps ! Ainsi débute l’inquiétante drôle de « Trame » de ce nouveau diptyque (paru depuis la fin avril 2014), toujours concocté par Sylvain Cordurié et Laci dans la désormais fameuse collection 1800, proposée par les éditions Soleil depuis janvier 2010.
Associé depuis le début de l’aventure au dessinateur yougoslave Laci (pseudonyme de Vladimir Krstić), Sylvain Cordurié aura d’abord été un assidu du jeu de rôle avant de se tourner vers la bande dessinée en 2006. Depuis 2010, sa fascination certaine pour l’univers holmésien a pousser le scénariste à développer plusieurs séries parallèles : « Sherlock Holmes & Les Vampires de Londres » (2 albums avec Laci en 2010), « Sherlock Holmes & le Nécronomicon » (2 albums avec Laci, en 2011 et 2013) et « Sherlock Holmes : Crime Alleys » (2 tomes en 2013 et 2014, dessinés par Alessandro Nespolino). En croisant le fameux héros (créé par Arthur Conan Doyle en 1887 dans « Une étude en rouge ») avec des motifs fantastiques ou science-fictionnels, inspirés par Lovecraft ou H.-G. Wells, l’auteur aura essentiellement réussi à renouveler intelligemment les attentes du lectorat sans le perdre dans les ficelles d’une intrigue par trop policière ou surannée.
Dans « Les Voyageurs du Temps », l’intrigue joue des références coutumières (l’Angleterre victorienne, ambiance londonienne pluvieuse, le brouillard et la nuit volontiers criminels, etc.) pour se mêler à la veine uchronique et aux Untold Stories (toutes ces enquêtes à peine évoquées par Watson mais demeurées inconnues et donc inédites). Concevant ses différents diptyques telles les diverses branches d’un même arbre Sylvain Cordurié (également fan de comics… et de leurs cross-over) tisse un écheveau où les lecteurs pourront aussi retrouver une autre de ses créations : « La Mandragore » (2 albums publiés en 2012 et 2013 ; dessin par Marco Santucci). Côté référence(s), ce n’est bien sûr pas la première fois que des auteurs confrontent Holmes avec le thème du voyage dans le temps, emprunté à Wells mais aussi au « Voyageur imprudent » de René Barjavel (1943) : citons par exemple « Le Détective volé » (1988), nouvelle dans laquelle René Reouven lance Holmes et Watson sur la piste… d’Edgar Allan Poe.
Artefacts littéraires ou motifs scientifiques ? Le doute s’installe au fil des planches chez le lecteur-détective : sur le dessin de la couverture, Å“uvre du graphiste Jean-Sébastien Rossbach (également auteur des premiers plats des diptyques « Vampires de Londres » et « Nécronomicon », ainsi que de celui du tome 1 de « La Mandragore »), Sherlock Holmes semble saisi entre ombres et lumières, réel et fantastique. Dans une certaine continuité visuelle avec la couverture de « Sherlock Holmes et le Nécronomicon T2 : La Nuit sur le Monde » (juin 2013), le détective semble désorienté par une irruption surnaturelle : dans l’espace – à la fois ouvert et clos – d’un bâtiment sous verrière, Holmes semble ici affairé à récolter quelques indices précieux pouvant l’aider à comprendre le double homicide visible en arrière-plan. Cette théorie criminalistique, dédoublée par la présence d’instruments et d’appareils scientifiques ou technologiques est mise à mal par la silhouette noire et logiquement menaçante (yeux rouges, gestes volontiers cabalistiques ou incantatoires) en train de s’avancer vers le héros. De fait, cet intrus a-t-il lui-même tué ou rendu inconscient les deux hommes désormais affalés sur le sol en bois ? Le halo de lumière (plutôt chatoyant) et la déformation du champ visuel qui l’environnent ne doivent-ils pas nous indiquer une autre piste, quelque part entre science et croyance, connaissance et vérité ? A quelle vision du monde réel Holmes est-il concrètement confronté ?
Nul doute que toutes ces légitimes interrogations trouveront leurs réponses dans le futur tome 2, ceci tandis que Sylvain Cordurié poursuit son investigation du champ Sherlockverse avec « Sherlock Holmes – Les Chroniques de Moriarty T1 : Renaissance » (dessin de Andrea Fattori ; à paraître le 20 août 2014)…
Philippe TOMBLAINE
« Sherlock Holmes & les voyageurs du temps T1 : La Trame » par Laci, Sylvain Cordurié et Jean-Sébastien Rossbach
Éditions Soleil (13,95 €) – ISBN : 978-2302037656