Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...Dieter Lumpen » par Ruben Pellejero et Jorge Zentner
C’est chez Magic-Strip, en 1986, qu’on découvrait l’œuvre de deux auteurs (l’un, espagnol ; l’autre, argentin) et leurs récits en noir et blanc, sous le titre « Le Poignard d’Istanbul », premier titre de la collection « Cargo de nuit », 30 ans déjà, suivi d’autres histoires courtes et de trois longs-métrages à présent réunis dans une superbe intégrale.
Les premiers épisodes, de quelques pages à chaque fois, ont lancé le personnage à Istanbul, Santorin, Haïfa, puis plus loin, en Inde (dans les pas de Ghandi) et à Ceylan (où Lumpen assiste à la célèbre fête de la Perahera). Dieter Lumpen s’y décrit alors comme un voyageur et un touriste. Mais des histoires de plus en plus compliquées l’assaillent. Le temps où il glissait sur des anecdotes exotico-aventurières est terminé, parce que s’y mêlent notamment des histoires de femmes, que ce soit à Paris avec la fantomatique Gertrude ou à Manaos avec la sulfureuse Magda. Le beau gosse, façon Bogart ou Corto Maltese, mais en plus « dilettante », est enfin prêt pour la grande aventure. Comme il le dit à la fin de sa virée amazonienne : « Décidément ce voyage fut tout sauf une promenade », car c’en est fini, effectivement, des promenades.
Les voyages au long cours commencent avec « Ennemis communs », l’histoire d’une drôle de montgolfière en Tunisie qui le mène de Tunis et Sidi Bou Saïd à l’oasis de Nefta, plus au sud, sur fond de terrorisme, un récit très original. Avec « Caraïbes », entre combats de coqs et poules aguicheuses, Dieter Lumpen n’est pas loin de devenir star de cinéma à Hollywood. L’ambiance est chaude, sensuelle ; chacun fait son cinéma, pour de vrai, pour de faux, c’est selon ! Certains dévoilent leur jeu (d’acteur), d’autres cachent le leur… mais pour combien de temps ?
Dernière étape, en tout cas, en 1994, avec « Le prix de Charon ». Dans la version album, Zentner précisait en préface : « Charon, nocher [autrement dit, celui qui dirige une embarcation] des Enfers qui passait les morts dans une barque, sur le Styx, moyennant une obole ». Cette phrase, en exergue du récit, livrait une clé. Dieter Lumpen vient en effet d’être pris en stop par un corbillard dont le chauffeur monnaie le transport en sollicitant des histoires. Dieter s’exécute et raconte, raconte, les femmes, les amours, les villes… ce qui permet d’évoquer la vie intime de Lumpen. Il s’en dégage des effets de rêverie exotique (Venise, Pékin, New York…) qui ne laissent évidemment pas indifférent l’amateur de voyage, fussent-ils dirigés par Charon !
Depuis, la carrière des deux hommes n’a fait qu’enrichir le patrimoine BD mais il est plus que nécessaire de redécouvrir ces aventures exotiques et charmeuses, désenchantées ou chaleureuses selon les moments, celles d’un héros sans attaches et attachant, insaisissable comme il sied à un héros bourlingueur, commentées par Zentner en fin d’album avec quelques pages de croquis et d’études.
Alors bons voyages !
Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur
Dieter Lumpen » par Ruben Pellejero et Jorge Zentner
Éditions Mosquito (30 €) – ISBN : 978-2-3528-3278-2
C’est sur que cela méritait une réédition. Cela risque de devenir le livre le plus lisible de Mosquito. Car il faut le dire ce petit éditeur publie souvent des dessinateurs italiens au trait magnifique, mais parfois ennuyeux à lire.