Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Voilà … Ça y est… On y est… Où ? Au bout de la piste, au dernier volume, au dénouement final de « Scalped », l’une des meilleures séries récentes de Vertigo, vous le savez… Après avoir parcouru les quelques 1200 pages de cet âpre polar amérindien, nous devons donc dire adieu à Prairie Rose…
Difficile de parler de cet ultime volume sans faire de spoiler ni rabâcher les multiples qualités de cette série que j’ai déjà longuement encensée ici même. Mais, détail remarquable, Aaron et Guéra ont réussi à clore leur saga sans perdre une once de talent, que ce soit au niveau de l’histoire, de la narration ou du dessin. Le scénariste aurait pu finir son récit en faisant monter la tension de manière exponentielle à grands renforts de violences spectaculaires, ou bien offrir à ses personnages une issue plus paisible, cauchemardesque descente aux enfers ou happy end inattendu ; mais il n’a rien fait de tout cela. Non, Aaron a suivi la piste qui mène chacun des protagonistes à leur seul et unique foutu destin, le seul qu’ils semblent pouvoir vivre, fruit de leurs choix et de leur errance dans leur propre vie. L’intelligence d’Aaron est justement d’avoir décidé de traiter le dénouement de son histoire en ne bifurquant pas vers des événements si inattendus qu’ils extirperaient les personnages de ce qu’ils ont construit ou détruit depuis le début, ce qui aurait dénaturé le ton si juste de la série dans son ensemble, avec ses fulgurances de vies brisées si proches de la réalité. On reste jusqu’au bout dans la même ambiance et dans le même état d’esprit, suivant au plus près ce qui anime chacun des protagonistes presque malgré eux, devant faire face non seulement à leurs responsabilités mais aussi à la folie incontrôlable de l’autre. Ainsi, même si certains pourraient apparemment s’en sortir, personne n’y a gagné quoi que ce soit. « Scalped » est un polar hardboiled désespéré, de la première à la dernière page, à l’image de l’histoire de cette réserve, un enfer nommé Prairie Rose dont on ne sort jamais, quels que soient les choix, les espoirs ou la volonté de ses habitants. Bien sûr, dans ces derniers chapitres la tension et la violence va continuer de s’exprimer, et les vérités de chacun exploser au grand jour, mais tout semble définitivement vain, et Aaron n’en rajoute pas pour « faire le spectacle ». Ça reste dramatiquement humain.
Le grand R. M. Guéra officie jusqu’au bout, lui aussi, avec la même pugnacité et le même talent, ne bâclant rien et nous offrant des images toujours aussi puissantes et vraies. Son découpage efficace et maîtrisé à la perfection donne un rythme acéré à la dramaturgie en action, engendrant souvent de sublimes planches où les ombres jouent un grand rôle, accentuant le tragique. Guéra n’est jamais aussi bon que lorsqu’il fait émerger les corps, les visages et les formes de ces ombres, dans un coin de pièce ou au beau milieu de la nature, dans un crépuscule inquiétant. C’est souvent très beau, poignant, terriblement juste sans aller dans des excès de réalisme (et ça, ça n’est pas donné à tout le monde). On ne peut que complimenter une nouvelle fois la coloriste Giulia Brusco pour son remarquable travail de mise en couleurs, un travail qui apporte énormément à l’ambiance de la série. Sans elle, les dessins de Guéra seraient « seulement » magnifiques ; avec elle ils sont sublimissimes, sachant exprimer les différentes atmosphères de cette Å“uvre avec une grande acuité et une belle sensibilité qui ne lui interdit jamais quelques audaces superbes. Ses qualités de bleus, de violets et d’ocres, notamment, sont admirables, se mariant à l’obscurité et laissant éclater le rouge avec force. Bref, le duo Guéra-Brusco nous offre un spectacle dense et intense, nous plongeant au cÅ“ur des lumières, des odeurs, des matières, de la sueur et de la poussière. Après une belle postface de Jason Aaron, cet ultime volume de « Scalped » vous propose des pages de croquis, de recherches et d’élaborations de planches de Guéra qui raviront les fans. C’est avec un petit pincement au cÅ“ur que l’on referme ce dernier tome de « Scalped », mais cette série est d’une telle richesse qu’on la relira avec un ardent plaisir…
Cecil McKINLEY
« Scalped T10 : Au bout de la piste » par R. M. Guéra et Jason Aaron
Urban Comics (14,00€) – ISBN : 978-2-3657-7384-3