Interview de Jean Depelley

Jean Depelley, en compagnie de Fred Tréglia, redonne la parole aux comics du Golden Age américain dans notre beau pays à travers plusieurs publications tout à fait passionnantes et pour tout dire incontournables, nécessaires. Avec Reed Man, il fait aussi renaître la fameuse et mythique revue française « Strange », renouvelant l’esprit Lug. Rencontre avec un vrai passionné?


Cecil McKinley : Bonjour Jean, est-ce que vous pourriez vous présenter aux internautes qui ne vous connaissent pas ?

Jean Depelley : Je suis scénariste, rédacteur, traducteur, éditeur, touchant à la fois à la BD et au cinéma de genre… J’ai écrit ou coécrit des albums avec Jean-Marie Arnon (« Totems », « Megasauria ») ou Reed Man (« ShieldMaster »). Je collabore à Strange, aux collections « Golden Age » d’Univers Comics, et écris aussi pour l’éditeur américain TwoMorrows Publishing (The Jack Kirby Collector). Naturellement, je suis un amateur de bande dessinée tout azimut ; cela va être aussi bien les grands anciens américains des Sunday pages comme Raymond, Foster, Hogarth ou Caniff que les comic books, l’école Spirou, mais aussi Pif, Tintin, Métal Hurlant : je suis à fond, quoi ! L’ultime, pour moi, c’est Jack Kirby, mais les autres ne sont pas loin, comme Tillieux, Charlier, Druillet ou Jijé que j’adore… J’ai la collection complète de Spirou de 1946 à 86, et j’attends avec impatience la réédition des « Spirou » de Jijé qui nous manquent ! Et sinon je suis également un fondu de cinéma de genre. J’ai coréalisé un doc sur la BD avec Philippe Roure (« Marvel 14 : les super-héros contre la censure ») et suis responsable d’une revue de cinéma de genre appelée Métaluna (dont nous allons sortir le 7e numéro)… Je participe aussi à une société de production montée par Jean-Pierre Putters (le fondateur de Mad Movies) et Fabrice Lambot (un ami metteur en scène avec qui j’avais fait un fanzine appelé Atomovision il y a 15 ans). Fabrice s’est lancé dans la réalisation (on a coécrit ensemble « Le Sang du châtiment » et « Dying God », qu’il a dirigés). Pour moi, le cinéma est un monde complémentaire à la bande dessinée. J’étais à la ComicCon de San Diego cet été, et j’ai bien vu que les licences circulent naturellement d’un support à l’autre : après tout, c’est le même public !

Cecil McKinley : Pouvez-vous nous parler un peu plus de votre rapport aux comics ?

Jean Depelley : J’ai commencé avec les comics en pockets de chez Aredit et les Strange de Lug, au début des années 70… Très jeune, dès 1977, j’achetais mes premiers comics en VO, mes premiers « Conan » de Buscema, que je lisais un dictionnaire sous le coude… Si je devais choisir, d’un point de vue comic book, la meilleure chose jamais sortie serait pour moi les EC Comics. J’ai la collection complète chez Russ Cochran, rééditée chez Gemstone, quand ils ont refait toutes les collections en couleurs. Je pense vraiment que c’est ce qu’il y a eu de meilleur à tous les niveaux pour le comic book américain. Sinon, ce sont bien entendu les Marvel Comics de Kirby et Lee… Mais si on remonte un peu plus loin, j’aime les Fiction House et les Quality. À Quality, il y avait les super dessinateurs du studio Eisner, et c’était vraiment très chouette. Les Timely étaient bien quand Simon et Kirby en étaient les directeurs artistiques, mais après leur départ, ce n’était que de la sous-production. Je ne sais pas si vous avez lu des comics de chez Timely datant de 1946-48, mais à part Everett et quelques autres, c’est vraiment atroce. La production la plus « lissée » de l’époque, c’était DC Comics (enfin, National…), mais comme les droits existent toujours, nous allons plutôt vers les petits éditeurs, en essayant de faire un travail de fouille, d’exhumation de certaines Å“uvres. Bien sûr c’est du travail, mais on n’a aucun mérite, car c’est une montagne d’or. Alors effectivement, il y a des roches qui vont être moins chargées en minerai, mais au milieu de tout ça, il y a toujours des choses formidables à découvrir…

Cecil McKinley : Univers Comics Unlimited, que vous avez créée avec Fred Tréglia, édite depuis quelque temps déjà des trésors rares et méconnus issus des comics du Golden Age américain. Comme je le disais encore récemment ici même, il est tout de même incroyable que ce soient de petites structures éditoriales qui prennent le risque d’éditer ce patrimoine passionnant, qui plus est dans un contexte où l’on sent à nouveau un réel intérêt pour les créations de cette époque… Comment votre projet est-il né ?

Jean Depelley : L’homme derrière Univers Comics Unlimited, c’est Fred Tréglia. C’est lui qui a eu cette idée d’éditer des comics du Golden Age et de faire trois collections : la première, anthologique, se portant sur des thèmes précis (ce sont les « Golden Comics », intitulés Weird … Tales avec un terme placé au milieu correspondant au thème abordé), la deuxième, éditant les aventures de super-héros du Golden Age (« Golden Titans »), et enfin la collection « Golden Legends », consacrée aux héros mythiques qui ont été adaptés en comic books (avec notamment Dracula et Conan). Alors c’est vrai que Fred compulse beaucoup de choses sur Internet, mais il se trouve que par rapport à sa génération, il n’a pas été exposé aux véritables comics du Golden Age. Moi non plus, mais en tant que collectionneur, au début des années 80, je me suis passionné pour cette période, et donc j’ai accumulé beaucoup de choses. C’était une époque où l’on trouvait encore des comics à un prix très raisonnable : je me souviens d’avoir acheté des « Wonder Woman » par H. G. Peter autour de 50 francs, ou un « Exciting Comics » avec une couverture de Schomburg à 100 francs où l’on voyait Black Terror écrasant des Japonais à cheval sur un rouleau compresseur (!). Donc ce n’était vraiment pas très cher et ça n’intéressait que peu de gens. Dans les années 80, nous étions deux (avec Éric Vignolles de Golden Color) à acheter nos « Marvel Mystery Comics », à échanger des informations… Il y avait bien Fred Manzano, de la librairie Déesse, mais on va dire que ça représentait 50 personnes sur toute la France ! (Rire) Aujourd’hui, ça n’intéresse toujours que peu de gens, mais c’est beaucoup plus rare de les trouver, donc… Fred Tréglia m’a proposé ce projet. Habitant Limoges, je le connaissais déjà et avais même écrit quelques articles pour lui. J’ai donc accepté !

Cecil McKinley : Comment travaillez-vous, d’où proviennent vos sources ?

Jean Depelley : Toutes les histoires que Fred choisit sont libres de droit, donc il n’y a pas de droits de publication ou d’auteurs à payer, dans la mesure où les Américains ont ratifié la convention de Bern sur les droits d’auteurs à la fin des années 80. Comme ça s’est fait de façon rétroactive, il a fallu que les auteurs et les éditeurs s’inscrivent pour être listés et donc être protégés. Or, beaucoup de ces éditeurs avaient disparu au cours des années 50 (par exemple, au moment où la surproduction a entraîné la disparition de beaucoup de maisons d’édition), ou bien des auteurs n’étaient pas au courant, ou décédés, ce qui fait que beaucoup de gens ne se sont pas déclarés et que leurs Å“uvres sont restées dans le domaine public. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles il y a un revival énorme du Golden Age aux États-Unis, car il y a un hiatus sur les droits, et il y a actuellement des procès entre certaines maisons d’édition pour savoir à qui appartient telle Å“uvre ou tel personnage… Mais pour parler de notre manière de travailler, généralement, Fred me soumet quelques histoires, on en discute pour savoir si on choisit tel auteur ou telle histoire, s’il vaut mieux un auteur connu ou une bonne histoire, ou l’inverse (ou les deux !), mais finalement on tombe toujours d’accord ! Donc on fait nos sommaires comme ça…

Cecil McKinley : Il y aussi du rédactionnel, au sein de vos revues. On y trouve des articles et des dossiers sur les auteurs, les personnages, les éditeurs. Je dois vous féliciter pour ce rédactionnel qui est tout sauf superflu, riche d’informations précises et très intéressantes. Des outils idéaux pour se familiariser avec la production de cette époque ou parfaire ses connaissances !

Jean Depelley : Oui, ça me semble important de proposer cet éditorial, car si le Golden Age américain n’est pas connu en France, c’est pour plusieurs raisons, mais principalement à cause d’une méconnaissance totale des auteurs et de la production. Finalement, c’est une montagne qui est restée inexplorée, et donc on essaye un peu de gratter là-dessus. Aujourd’hui, il faut dire qu’on bénéficie d’une aide extraordinaire avec Internet, et notamment les journaux amis américains (je pense à ceux édités par TwoMorrows Publishing, le Alter Ego de Roy Thomas, par exemple) ou bien les recherches qui sont faites sur Atlas par le docteur Vassallo, ou des gens comme ça… Donc il y a vraiment de l’information qui circule, et l’on arrive bien mieux à se renseigner. Souhaitant proposer des choses qui s’éloignent un peu de ce qu’il y a sur les sites grand public, on essaye donc d’avoir des informations de première main qu’on ne retrouve pas ailleurs. Par exemple, pour l’éditorial du « Crom le Barbare » de la collection « Golden Legends », comme je suis un collectionneur des Weird Tales d’Howard – et de « Conan » en particulier –, j’avais donc accumulé assez d’informations pour aborder cet article que je voulais écrire depuis toujours. Mais il se trouve qu’après avoir fait cet article sont parus trois numéros d’Alter Ego sur l’heroic fantasy. J’ai donc vérifié mes infos a posteriori, constatant qu’Alter Ego possédait des informations de première main qu’on aurait seulement pu obtenir des dessinateurs eux-mêmes et que je ne pouvais donc pas avoir ; mais par contre, on avait des infos qu’ils n’avaient pas non plus. On voit vraiment poindre quelque chose qui se structure entre nos revues, aussi bien américaines que françaises.

Cecil McKinley : Quand on ouvre vos publications, on voit tout de suite qu’il y a des merveilles, des dessinateurs très injustement oubliés qui ont influencé énormément de gens, comme Matt Baker, par exemple !

Jean Depelley : Oui, mais le travail que ça représente, pour redécouvrir ça ! Seule une poignée de gens se penchent là-dessus… Je pense par exemple à des gens comme Greg Theakston avec sa boîte Pure Imagination qui sort des rééditions par un procédé qu’il a inventé dans les années 80-90 (la Theakstonisation !). Cela consiste à acheter des comics dans un état assez mauvais et de faire des bains pour enlever certaines encres des pages, puis faire des tirages pour retrouver le noir et blanc. Il a réédité comme ça tout un tas de choses très intéressantes, comme tous les premiers Kirby qui sont absolument formidables. Là, j’ai commandé celui qui va sortir sur Lou Fine : ce sont vraiment des artistes à redécouvrir ! Effectivement, à l’époque, les comic books étaient les parents pauvres de la bande dessinée, par rapport aux syndicates, aux planches du dimanche de « Flash Gordon », de « Prince Valiant » et compagnie, mais malgré tout il y avait quand même des choses intéressantes, passionnantes… N’oublions pas que Will Eisner a fait ses premiers travaux chez Fiction House ou Quality !

Cecil McKinley : Vous me disiez que vous aviez acheté beaucoup de choses au moment où c’était encore possible. Pour choisir les histoires que vous publiez, comment procédez-vous ? Est-ce un panaché entre vos collections et les recherches Internet de Fred ?

Jean Depelley : C’est exactement cela, il y a un mélange des deux : 2/3 Fred et 1/3 moi. Il n’y a pas longtemps, d’ailleurs, j’ai flingué un de mes comics, le « Out of this World » n°1, pour scanner une histoire de Crom le Barbare. Mais bon, ce n’est pas grave, c’était pour la bonne cause, maintenant il est disponible et tout le monde peut le lire… Ça fait partie des choses que l’on fait. On fait des scans, mais la source Internet est peut-être plus sûre, car alors on est à peu près sûrs que c’est libre de droit. Pour le reste, il va falloir chercher, et ce n’est jamais très facile de savoir si tel ou tel éditeur n’a pas été racheté par DC de façon impromptue, sans qu’on le sache vraiment.

Cecil McKinley : Je vous propose maintenant de nous pencher plus avant sur chacune de vos publications. Quelle a été la première collection qui a vu le jour ?

Jean Depelley : La première, c’était « Golden Comics ». Le premier numéro s’appelait Weird Monster Tales, avec une belle couverture de loup-garou. Après, il y a eu les pin-ups, l’espace, les fantômes. Le prochain, ce sera le polar, mais je ne sais pas quand nous pourrons le sortir, car malheureusement il y a eu quelques soucis de distribution, et la trésorerie n’est pas suffisante pour engager les frais d’impression de plus d’un bouquin à la fois. On va terminer cette série d’une façon ou d’une autre, mais ça peut prendre un peu plus de temps que prévu. De toute façon on veut la finir et on la finira, mais on sait très bien que les publications commencent à rapporter seulement au bout d’un certain nombre de numéros, parce qu’alors il y a une exposition qui s’accumule, les gens commencent à nous connaître, le bouche à oreille fonctionne, et à ce moment-là les gens commandent, de plus en plus… Pour parler un peu de l’aspect éditorial de la collection « Golden Comics », on a aussi fait des articles Internet plus étoffés accompagnant les deux premiers numéros, disponibles sur le blog de Fred. Pour les monstres, on a essayé de trouver d’autres infos, de compléter avec des choses sympas à dire, et pour les pin-ups, j’avais une optique un petit peu folle, celle de parler du good girl art, mais à travers les studios, les sweet shops.qui proposaient du matériel clé en mains aux éditeurs. Ça a été un travail énorme de ma part qui mériterait un jour une édition papier, je pense…

Cecil McKinley : Le choix d’une collection de 7 numéros a-t-il été arrêté en fonction du nombre de thèmes les plus évidents ?

Jean Depelley : C’est Fred qui a donné les thèmes. Pour moi il y aurait pu en avoir encore d’autres. Après, Fred veut faire un numéro sur les Fairy Tales ; moi, je voyais plus les Funny Animals, mais ces derniers seront tout de même présents dans ce numéro, donc… grosso modo, on est toujours tombés d’accord.

Cecil McKinley : Au cas où – et je vous le souhaite, et je nous le souhaite – vous ayez assez de lecteurs et de moyens pour éditer des comics dans de meilleures conditions, serait-il envisageable que cette collection aille plus loin qu’au numéro 7, avec d’autres thèmes, ou bien de volumes supplémentaires aux thèmes déjà traités ?

Jean Depelley : Oui, ça c’est possible, nous envisageons de poursuivre d’autres collections thématiques, de trouver de nouveaux thèmes, ou même de faire carrément autre chose, comme des big books en noir et blanc (ou même en couleurs) avec certains personnages un peu délaissés et tombés dans le domaine public. Parmi nos projets, Fred pense publier un magazine reprenant un titre mythique des éditions Arédit (qui publiaient également du matériel Marvel et DC, ainsi que des séries récurrentes). En fait, ma première exposition aux super-héros américains, ça a été avec Arédit et ses comics Pocket… c’est donc quelque chose qui me parle vraiment… Nous pensons aussi sortir un numéro spécial de temps en temps, mais là on a été un peu échaudés par ces problèmes de distribution, et finalement il serait beaucoup plus facile pour nous d’envisager de faire un gros livre anthologique sans avoir de numérotation ni de périodicité. On va donc sûrement se diriger vers des choses comme ça…

Cecil McKinley : Ce serait génial ! Pour revenir au contenu de vos publications qui nous permettent aussi de découvrir les premiers travaux de futures stars, rappelons qu’il n’est pas pour autant question de faire la chasse aux signatures, ce qui compte c’est bien sûr la qualité intrinsèque des bandes dessinées proposées.

Jean Depelley : Oui, absolument. Et il y a plein de petites bandes dessinées pour lesquelles on cherche, on cherche, et l’on n’arrive pas à savoir qui les a dessinées. Elles sont souvent remarquables, donc c’est parfois extrêmement frustrant ! On va dire « ça ressemble à du Fred Guardineer, du Carmine Infantino », mais on n’en est pas sûrs, et si ça se trouve ce n’est pas du tout ça !

Cecil McKinley : Oui, car il y a ce qu’on pourrait appeler des « petits maîtres », comme on peut le dire de Jean Cézard en France, mais qui sont finalement de très grands artistes.

Jean Depelley : Oui. Je me fie beaucoup à l’opinion des artistes eux-mêmes, savoir qui ils admiraient, et souvent on va trouver pourquoi, et découvrir quelqu’un qui a une patte formidable…

Cecil McKinley : Que les artistes que vous publiez soient connus, pas connus ou inconnus (la nuance est importante), la lecture de vos publications est toujours d’un très grand intérêt : lorsque les dessinateurs ne sont pas connus, on découvre d’un seul coup des pépites, des styles remarquables, étonnants, des artistes passionnants, et lorsque ce sont des dessinateurs connus, on accède alors à des Å“uvres inédites, presque souterraines, nous dévoilant certaines racines secrètes de leur parcours… Ainsi, dès le premier numéro de la collection, on rencontre les noms de Wallace Wood ou d’Alex Toth : magnifique !

Jean Depelley : Oui, Wood et Toth sont des maîtres…

Cecil McKinley : Dans le spécial pin-ups, il y a le fameux premier épisode de « Malu the Slave Girl » (une série dont nous reparlerons tout à l’heure puisque vous allez en proposer une édition plus complète), et dans le troisième numéro consacré à l’espace, on retrouve quand même des noms comme Joe Kubert, Gene Colan ou Steve Ditko !

Jean Depelley : Oui, des artistes qu’on adore… Je suis un fou furieux de Colan ! Kubert, lui, j’ai eu la chance de le rencontrer car il était venu une année à Angoulême ; j’avais fait une interview de lui, et c’était quelqu’un d’une grande gentillesse. Et puis rappelons qu’il n’avait pas 20 ans quand il dessinait ses bandes dessinées chez Avon, c’était encore un gamin, et pourtant son trait était déjà d’une telle assurance ! On a l’impression d’un style déjà très accompli : beaucoup d’artistes vieillissants se contenteraient complètement de ce style qu’il avait déjà à l’époque. C’est un artiste qui me sidère. Quelqu’un comme Kubert, c’est la quintessence de l’abstraction, comme Alex Toth. C’est quelqu’un qui est capable, avec un point au milieu d’une case blanche, de nous faire prendre ce point pour un avion en train de faire un looping. Peu de dessinateurs sont capables de faire ça.

Cecil McKinley : Je suis bien d’accord… Avez-vous quelque chose à rajouter sur cette collection ?

Jean Depelley : J’aimerais que les gens fassent l’effort de la chercher, de la découvrir. Bon, les « Golden Titans » seront peut-être plus évidents pour des lecteurs de comics actuels parce qu’on y parle de personnages plus ou moins repris dans « Terra Obscura » par Alan Moore, comme Black Terror… Mais il serait bien aussi que les curieux aillent voir du côté des « Golden Legends » qui ont demandé beaucoup de travail, de sueur : ce sont des bandes dessinées qui valent vraiment le coup, qui méritent d’être découvertes.

Cecil McKinley : Oui, c’est vrai qu’il y a un nouveau lectorat assez super-héroïque, mais rappelons que le récit de super-héros n’est qu’un genre parmi d’autres, et que les bandes dessinées du Golden Age, fraîchement issues des pulps, allaient dans toutes les directions, tous les genres… se rejoignant néanmoins dans l’esprit et le contexte de l’époque.

Jean Depelley : Oui. Et c’est vrai que les pulps et les comics sont venus de la possibilité d’imprimer de la bande dessinée sur du papier bon marché ; dès lors les éditeurs se sont lancés sur le marché… À San Diego, j’ai rencontré un petit éditeur, Nostalgia Ventures, qui réédite les « Doc Savage » et les « Shadow » à l’identique, et c’est très bien fait. Il y a un petit marché, actuellement, un petit panel d’éditeurs qui fait ça. Il y en un autre qui a réédité quelques pulps de chez Red Circle, une des firmes pulps de Martin Goodman. Et quand on regarde ce qui a été publié, chaque journal, chaque titre avait sa particularité (sur la tolérance face à l’érotisme, par exemple), et c’est vrai que ça s’est tout de suite retrouvé dans les comic books.

Cecil McKinley : On va passer à « Golden Titans » qui s’ouvre sur « Mr Scarlet & Pinky », une série… étonnante ! (sourire)

Jean Depelley : Oui, assez typique de l’époque… Ça peut demander un petit effort de remise dans le contexte qui peut être un peu déstabilisant par rapport aux autres séries qui sont quand même un cran – voire plusieurs – au-dessus. Mais enfin, ce personnage a quand même été inventé par Kirby, et au début il n’y avait pas de sidekick, c’était donc autre chose… Après, ça ressemble un peu à la production de masse qui pouvait être publiée dans les années 45-48… Il faut savoir que « Mr Scarlet » a été publié en France précédemment, dans Junior, je crois. Ce qui est intéressant, c’est que les super-héros du Golden Age ont été édités en France dans les années 40. Il y a eu pas mal de choses, notamment dans la collection « Fantôme », vers 1945.

Cecil McKinley : Ensuite, nous avons le bonheur de pouvoir lire une œuvre magnifique : « Phantom Lady » de Matt Baker.

Jean Depelley : Oui, extraordinaire ! C’est une héroïne extrêmement sexy, et on voit que tout l’intérêt de cette bande dessinée est de représenter cette héroïne (ou son alter ego dans la vraie vie) dans une position qui est telle qu’on va voir le bas sous la jupe relevée… Tout est fait dans un contexte de plaisir peut-être phallocrate, mais en tout cas Baker est l’un des meilleurs artistes de good girl art que je connaisse.

Cecil McKinley : Je ne trouve pas que ce soit si phallocrate que ça, parce qu’il y a une telle sensualité, même dans son visage, qu’on croirait parfois lire un comic de romance. Je trouve qu’il y a une vraie grâce, du glamour mais de la tendresse, aussi : on sent que Baker aime vraiment son héroïne.

Jean Depelley : C’est vrai que comparé à la pin-up de good girl art, soumise et souriante, les dessins de Baker avaient toujours une retenue par rapport à l’émotion, comme si l’héroïne n’était pas complètement impliquée dans ce qu’elle vivait, ça donne une distanciation… à ce niveau-là, je vois ce que vous voulez dire.

Cecil McKinley : Oui (soupir), c’est magnifique… Personnellement, je suis un fan et de Matt Baker et de Phantom Lady, donc voilà, j’exige que vous sortiez un gros album de « Phantom Lady » !!!

Jean Depelley : Ah ça, ce serait vraiment bien ! « Phantom Lady » était scénarisé par une femme qui s’appelait Ruth Ann Roche, dont on sent bien que c’était quelqu’un d’assez littéraire, livresque, et les épisodes sont extrêmement chargés en texte. Matt Baker était un homme à femmes, et je pense que lui et sa scénariste ont vécu le parfait amour durant leur collaboration… En tout cas, il semblerait que les textes se raccourcissent assez vite par la suite, comme si les auteurs avaient eu autre chose à faire qu’à travailler ! Hé, hé…

Cecil McKinley : Hi hi ! Ensuite, il y a « Black Terror » !

Jean Depelley : Oui, formidable ! J’ai un scoop par rapport à ça : au ComiCon de San Diego, j’ai revu quelqu’un que j’avais déjà rencontré en France il y a une quinzaine d’années à Angoulême : Jerry Robinson ! J’ai donc ses coordonnées, et j’aimerais faire une petite interview de lui, puisqu’on publie ses fantastiques épisodes de « Black Terror ». Une série où il y a eu à boire et à manger, dont la continuité n’a pas été formidable, mais les épisodes qu’on publie sont vraiment les meilleurs, signés Mort Meskin et Jerry Robinson. On sent le trait racé de Robinson, extrêmement dynamique, et puis l’encrage, l’association de Mort Meskin qui était encore bien influencé par le style qu’il avait dû acquérir quand il bossait chez Simon et Kirby… Ça donne en effet, un espèce de côté « Simon et Kirby » tout en étant autre chose que du Marvel. De plus, je suis sûr que certaines cases ont été ghostées par Steve Ditko – qui était l’élève de Meskin à l’époque. J’ai un peu insisté auprès de Robinson pour lui demander confirmation de cela, mais il m’a juré que non. Mais je ne sais pas vraiment s’il faut le croire ! En tout cas, l’épisode qui va venir dans « Golden Titans » n°3 est digne des précédents, je vous l’assure !

Cecil McKinley : Et puis il y a le fameux « Basil Berold » avec son « The Flame »…

Jean Depelley : Ah oui, Lou Fine ! Quand même l’un des premiers grands maîtres du comic book, l’idole des premiers dessinateurs, que ce soit Jack Kirby ou Eisner, et c’est vrai qu’il a eu une carrière formidable. C’était donc bien qu’on se penche un peu sur cet auteur, on lui a consacré une fiche et c’est tant mieux… Mais il y a encore tellement à découvrir…

Cecil McKinley : Oui, d’ailleurs, rappelons à ceux qui ne s’intéressent qu’à ce qui est connu que « The Flame » est tout de même une « petite » création de Will Eisner et Lou Fine, deux compères qu’on retrouvera ensemble sur beaucoup de projets !

Jean Depelley : Je crois que Fine est celui qui a su faire les plus belles splash pages de comic books de son temps, avec des choses extrêmement dynamiques. Je pense par exemple à « The Black Condor », chez Quality : magnifique ! C’est un auteur à redécouvrir, j’aimerais bien publier d’autres choses de lui. Mais aussi de Paul Gustavson, qui est une sorte de « sous Lou Fine », mais qui est très beau, très élégant. J’ai seulement quelques histoires de lui, ça ne fait pas lourd sur toute une carrière, mais c’est tellement difficile à trouver… Cet artiste-là mérite vraiment aussi d’être redécouvert.

Cecil McKinley : Et l’on finit par la série « Miss Masque ».

Jean Depelley : Oui, une série un peu routinière. Si je peux me permettre une comparaison avec le cinéma, je dirais que beaucoup de comics de l’époque ressemblaient aux serials qui sortaient au cinéma. Il y avait des choses extrêmement convenues, comme les serials faits chez Columbia, ou bien ceux réalisés par Spencer Gordon Bennet, qui n’étaient pas géniaux, et puis à côté de ça il y avait la grande classe avec ceux dirigés par William Witney et John English. Je dirais que « Miss Masque », c’est de la catégorie Bennet.

Cecil McKinley : Oui, mais le personnage est sympa, je trouve.

Jean Depelley : Oui, c’est vrai.

Cecil McKinley : Combien de numéros sont prévus pour « Golden Titans » ?

Jean Depelley : On a prévu 4 numéros. Le troisième est en cours de réalisation. Mais il faut savoir que « Golden Titans » est la seule collection du catalogue pour laquelle nous payons des droits, de manière à nous protéger vis-à-vis de tout problème éventuel quant aux copyrights des personnages (car en ce moment, comme je vous l’ai dit, il y a un hiatus sur les droits de « Black Terror », de « Phantom Lady » : beaucoup de gens se les disputent). Nous avons donc décidé d’acheter les droits de publication à AC Comics, la boîte de Bill Black qui scanne et qui archive des bandes dessinées issues de ses découvertes et de ses collections. Ils ont tout un catalogue à disposition avec pas mal d’histoires de ces personnages. En leur achetant le matériel des sommaires de « Golden Titans », ça nous protège dans la mesure où la source est dite. Mais par contre on obtient les fichiers en noir et blanc, donc ça veut dire que Fred est obligé de refaire toutes les couleurs à la main à partir de ce qu’il retrouve comme document original sur Internet. C’est un travail de titan qu’il réalise pour que les lecteurs aient accès à ces Å“uvres, alors que sur les autres titres, les épisodes sont seulement « nettoyés ».

Cecil McKinley : Une conclusion sur cette collection ?

Jean Depelley : Comme on l’a dit tout à l’heure, le meilleur côtoie le plus moyen, mais la lecture de « Golden Titans » donne un très bon aperçu, même à son avantage, des comics de l’époque.

Cecil McKinley : Oh oui, je suis d’accord !

Jean Depelley : Parce que quand on achète un comic de cette époque-là, on va peut-être se retrouver avec une série sympa et avec huit autres pas vraiment géniales… Là, il y a plus de choses bonnes que de choses moins bien !

Cecil McKinley : Oui, et puis c’est vrai que quelle que soit la bande dessinée ou l’auteur, c’est toujours terriblement sympathique à lire !

Jean Depelley : Oui, c’est très agréable, mais il faut aussi se mettre dans le contexte d’un jeune lecteur de comics actuel qui va découvrir « Golden Titans », il peut être un peu surpris… J’essaye toujours de me mettre dans cette optique-là, et franchement, je crois qu’il faut privilégier la qualité… et puis de temps en temps mettre un épisode un peu moyen, ce qu’on a d’ailleurs fait dans un numéro de « Golden Comics » où l’on a mis une histoire absolument calamiteuse de vol de cerveaux datant de la fin des années 30 : plus con tu meurs, mais c’est tellement stupide que finalement, ça marche, quoi !

Cecil McKinley : Eh oui, c’est l’effet Ed Wood !

Jean Depelley : Voilà, c’est exactement ça !

Cecil McKinley : On va passer aux « Golden Legends », si vous le voulez bien, avec la première adaptation BD de « Dracula » et « Crom le Barbare », parus chez Avon.

Jean Depelley : Oui, Avon, un éditeur très intéressant qui avait une très bonne politique éditoriale. Déjà, dans leur digest, ils rééditaient des bons auteurs de Weird Tales, et puis quand ils se sont mis à faire des comics, ils ont tout de suite su attirer des gens intéressants comme Gardner Fox, Joe Kubert, Wallace Wood, John Giunta (et dans l’aéropage de John Giunta, il y avait le jeune Frank Frazetta). La production de cette époque est vraiment très très belle… Malheureusement Avon a disparu, mais heureusement pour nous, maintenant nous pouvons puiser dans leur production libre de droit, d’où les « Golden Legends » issus de leurs publications. Le « Dracula », c’est une découverte de Fred, je n’avais pas connaissance de cette adaptation, et c’est vrai que j’ai été saisi par la qualité. Déjà, résumer les 500 pages de Stoker en 20 pages, ça tient du tour de force ! Et puis il y a des moments même assez échevelés, des moments graphiquement très beaux, ça me fait penser un peu à du Tom Sutton parfois… Bref, j’ai trouvé ça très bien ! On a compléter la BD par un gros dossier sur les « Dracula » dans la BD américaine, ce qui nous a demandé pas mal de travail… Par le biais de ces deux premiers volumes, en tant que fan, je voulais vraiment faire le lien avec les deux chocs que j’ai eus dans les années 70 : « Tomb of Dracula » et « Conan the Barbarian ». Pour moi, ce sont les deux grands événements des années 70 pour la bande dessinée américaine mainstream, qui plus est réalisés par des équipes qui n’ont quasiment pas changé : Marv Wolfman et Gene Colan pour la première, et Roy Thomas et John Buscema pour la seconde. Finalement, grâce à la durée de ces séries, quelque chose s’est ancré dans l’esprit du lecteur de ma génération, et c’est vrai que retrouver les prémisses de ça dans le genre, dans le comic book, c’était vraiment quelque chose d’extrêmement exaltant : trouver la première bande dessinée de Conan, la première bande dessinée de Dracula, ça nous a vraiment amusés.

Cecil McKinley : L’anecdote est chouette…

Jean Depelley : « Crom le Barbare », c’est mon ami Éric Vignolles qui me l’avait fait découvrir dans un vieux numéro de « Out of this World » qu’il possédait, et ça m’a rendu complètement fou parce qu’on y parlait du monde hyborien de Conan, Crom était blond, c’était le roi d’un royaume voisin de l’Aquilonie, mais malgré tout il ressemblait quand même beaucoup à Conan, et je me suis dit qu’un jour il faudrait rééditer ça ! En cherchant bien, on a réussi à dénicher les trois histoires qui avaient été publiées dans deux numéros d’« Out of this World » et un numéro de « Strange World », des comics relativement difficiles à trouver aujourd’hui mais que j’avais acquis entre temps. On a donc pu les scanner et les compiler, accompagnées de l’éditorial qu’il fallait pour expliquer d’où ça vient et où ça allait conduire. Howard a été un auteur extrêmement important dans ma vie, je l’ai découvert à la fin des années 70 aux éditions Néo (traduits par l’ami François Truchaud), et je lisais ça avec bonheur avec mon ami Patrice Louinet. Depuis, Patrice est devenu un spécialiste mondial d’Howard : il a édité tout « Conan » chez Wandering Star, puis maintenant chez Bragelonne. Pour finir, le premier épisode de « Crom le Barbare » est un travail collectif sur lequel je pense avoir identifié la patte de Wallace Wood : Woody a encré quelques pages, mais j’ai eu beau chercher dans la checklist qui a été faite chez TwoMorrows, ce n’est pas crédité. Néanmoins, comme il travaillait à l’époque chez cet éditeur (Avon), il est tout à fait probable que si le dessinateur avait été en retard, il ait contribué à encrer partiellement une page ou deux…

Cecil McKinley : Le rédactionnel dans « Crom » permet de revenir aussi sur Gardner Fox, ce qui est très bien !

Jean Depelley : Oui, Gardner Fox est un personnage tellement important ! C’est quand même lui qui a en partie défini ce qui allait devenir le Silver Age… Donc il fallait revenir sur cet homme, sur la logique de sa carrière, parce que c’est quand même quelqu’un qui a commencé en étant fan de pulps, fan d’Howard, qui a travaillé un peu chez DC, chez Avon (où il a fait ce qu’il aimait, c’est-à-dire « Crom »), ensuite il a retravaillé chez DC où on a fini par le remercier gentiment alors qu’il a été l’un des principaux artisans de ce qu’allait devenir l’univers DC tel que nous le connaissons actuellement, et puis il ne s’arrête pas pour autant, il continue, il écrit des romans d’heroic fantasy : il reste toujours dans une logique formidable. Un artiste que j’aurais vraiment aimé rencontrer…

Cecil McKinley : Que pouvez-vous nous dire sur l’avenir proche d’Univers Comics Unlimited ?

Jean Depelley : Il y aura 7 volumes dans la collection « Golden Comics », on va certainement s’arrêter à 3 ou 4 numéros pour « Golden Titans », et nous verrons pour les « Golden Legends », il y a encore un titre à venir qui est le « Dr Jekyll & Mr Hyde » de Wallace Wood…

Cecil McKinley : Génial !

Jean Depelley : Oui, il a été réédité aux États-Unis, mais dans la réédition il manquait une page ! Heureusement, on a réussi à dénicher la page en question pour notre édition, ce qui est vraiment super ! Et là on va publier à la fin du mois un petit bijou (et c’est là où Fred m’étonne toujours, car il arrive à sortir des petites séries que je ne connaissais pas du tout) : « Malu the Slave Girl » de Howard Larsen. On avait publié le premier épisode dans le spécial pin-ups de « Golden Comics », mais là on édite la série complète, et c’est positivement extraordinaire ! C’est de l’aventure heroic fantasy à forte tonalité bondage, avec un sous-entendu érotique très fort, c’est vraiment très drôle, très distrayant, et c’est vraiment bien dessiné, on dirait du Matt Baker. Le problème du Golden Age vient aussi du fait que les scénarios n’étaient pas toujours intéressants, très développés, c’était souvent la sempiternelle histoire qui se répète indéfiniment, ad nauseum : des héros contre des truands, contre la pègre ou la cinquième colonne… Mais quand on a des histoires qui sont évolutives, comme c’est le cas ici avec « Malu », avec des épisodes qui se terminent ainsi en cliffhanger dès les années 49, je trouve ça étonnant, ça m’a vraiment plu…

Cecil McKinley : J’ai hâte de lire ça !

Jean Depelley : Il part en impression à la fin du mois. Il y a eu quelques problèmes éditoriaux sur cette série, car elle s’est brusquement interrompue au numéro 2, laissant l’héroïne en plein cliffhanger, vraiment incroyable ! Donc j’avais écrit un premier édito en ce sens, et puis après, en fouillant dans nos archives, dans nos collections, on a trouvé un autre épisode de « Malu » qui ne faisait pas suite au cliffhanger du n°2 mais qui était un épisode d’après… Ce qui veut donc dire qu’ils ont travaillé quelques épisodes du numéro 3 qui n’est jamais sorti. On s’est alors posé la question de savoir si l’on devait mettre cet épisode en plus ou non, mais finalement on ne va pas le publier, préférant le mettre en ligne sur Internet. Comme il a fallu le traduire aussi, tout ça a entraîné des retards… Pour remercier les souscripteurs qui ont été patients, ceux-ci recevront un tiré à part réalisé par Jean-Marie Arnon, un grand nom de la bande dessinée dans ce domaine, avec qui j’ai fait « Megasauria » et qui bosse également sur Strange. Pour moi, « Malu » est une petite bombe, pleine d’humour, de sous-entendus : c’est vraiment un ovni dans le paysage de la bande dessinée des années 50. Il semble se passer plein de choses non dites, la pauvre Malu semble subir tout un tas de sévices entre les cases pour ne pas affoler les têtes blondes… En tout cas c’est de la très très bonne bande dessinée, et la suite est à la hauteur du premier épisode paru dans « Golden Comics » n°2 !

Cecil McKinley : Je vous propose maintenant de passer à la section Organic Comix, avec la réapparition de Strange, une revue qui a marqué plusieurs générations de lecteurs en leur faisant découvrir le monde des super-héros Marvel. Une véritable institution ! Comment le projet s’est-il monté ?

Jean Depelley : La personne derrière tout ça, c’est Reed Man, le patron d’Organic Comix que j’ai rencontré grâce au dessinateur Jean-Marie Arnon. On est devenus extrêmement amis, au point que lorsqu’il sortait ses petits Atomics (des fascicules publiant du Mike Allred) à la fin des années 90, je lui faisais ses traductions et un peu d’éditorial : c’est comme ça qu’on a commencé à bosser ensemble. Reed est un homme absolument adorable à côtoyer dans le travail, quelqu’un d’une gentillesse extrême, d’un très grand professionnalisme, et qui arrive à faire travailler les gens d’une manière très ludique ; un talent de rédac’chef que j’espère gagner à son contact. En 2007, nous voulions sortir un titre qui soit un peu différent d’Atomics, et à ce moment-là il y a eu une opportunité de faire Strange. Strange est toujours détenu par le groupe Tournon, et on a eu la possibilité d’utiliser le nom et le logo parce qu’on travaillait avec un diffuseur qui s’appelle Legends et qui était à l’époque dans le giron du groupe Tournon. Depuis ils se sont séparés, mais le contact a été établi avec Tournon, et l’on continue de travailler directement avec eux. Strange, c’est donc une licence qui se paye, par contre, c’est un jouet de gosse avec lequel on est super contents de s’amuser ! Strange, aussi bien pour Reed que pour moi, c’est un véritable rêve, d’autant plus pour lui qui était retoucheur et artiste pour Semic dans les années 90.

Cecil McKinley : Oui, et puis c’est Rémy Bordelet qui l’a formé, donc l’élève de Chott qui lui-même bossait avec Navarro : ce sont des mondes noués, tout ça !

Jean Depelley : Oui, il y a une réelle filiation, et le fait que Reed soit à la tête de Strange aujourd’hui n’est que justice, pour moi c’est une évidence. Et puis Reed a cette vision assez claire de ce qu’il veut faire. On en discute, mais comme avec Fred, on est toujours assez d’accord avec ce qu’on veut faire. Pour nous, Strange, c’est une certaine vision graphique qui se rapproche bien sûr de Marvel de la grande époque. Mais quelle est la « grande époque » ? Ça dépend évidemment de l’âge et de la période à laquelle on a découvert Strange, ce qui fait que beaucoup de gens nous ont reproché d’être trop dans une tendance plutôt que dans une autre ; mais bon, ça c’est parfois le discours un peu stérile des fans. Je dirais qu’avant tout, aussi bien Reed que moi avons une vision privilégiant l’auteur. L’auteur par rapport au système, mais pas forcément contre le système. On va toujours privilégier l’auteur par rapport à l’éditeur ou au personnage. Il se trouve que je suis en rapport depuis une quinzaine d’années avec la «famille» Kirby aux États-Unis. Donc, à partir du moment où l’on a eu la possibilité d’utiliser Strange, on a pu avoir du matériel inédit. Reed, de son côté, connaissait tous les grands dessinateurs de la Lug, notamment Jean-Yves Mitton. Donc on s’est dit qu’il y avait une logique dans tout ça, car Kirby et Mitton, c’est un peu les deux mamelles de Strange, et donc on est partis dans cette direction-là. On a pu accrocher aussi avec Stan Lee en publiant « Alexa », une série sur laquelle Chris Malgrain a dessiné et qui va sortir en album au début de l’année prochaine chez Organic Comix. Voilà en gros comment ça s’est fait.

Cecil McKinley : Je suppose que la sortie du « nouveau Strange n°1 » a dû être attendue par beaucoup de monde…

Jean Depelley : En 2007, nous avons sorti le numéro 1 au festival d’Angoulême. Il était tout beau tout nouveau ! Le numéro a été complètement pillé : en une ou deux semaines, il n’y avait plus rien (c’était un petit tirage, à 1200 exemplaires), ce qui fait qu’aujourd’hui il est extrêmement recherché, je l’ai vu monter à 250€ sur ebay, des sommes de folie ! Et puis une fois qu’on a sorti le numéro 1, on s’est dit « qu’est-ce qu’on fait ? ». À partir de là, il a fallu envisager quelque chose d’autre qu’un simple one shot avec seulement quelques inédits de Kirby, selon une politique éditoriale continue. On a un peu peiné au début, mais il y a toujours eu cette vision logique des choses. Ensuite, ce qui a semblé jouer en notre défaveur, et qui n’était pas forcément de notre faute, ce furent les changements de formats, des changements qui étaient purement économiques ; on avait un système de distribution qui ne nous permettait plus d’avoir telle pagination ou tel format, et finalement il a fallu alterner les séries parce qu’on n’avait plus assez de pages pour tout publier. Ça peut donc paraître un peu décousu, quand on regarde les sommaires des premiers Strange, mais en y regardant de plus près ça ne l’est pas, dans la mesure où sur les 9 premiers numéros de Strange, on a terminé toutes nos séries. Dans ces séries, il y avait bien sûr « Silver Star » de Kirby qu’on a éditée de façon complète. Toujours de Kirby, il y avait une petite série qui s’appelait « Galaxy Green » sur laquelle il avait fait deux pages et qui était restée inachevée, et donc on a eu l’autorisation de Lisa Kirby, sa fille, et de Mark Evanier et Steve Sherman (les deux coauteurs initiaux avec Jack) de terminer cette histoire : ça a été un grand plaisir pour Reed et moi !

Cecil McKinley : J’imagine !

Jean Depelley : À part ça, nous avons édité pas mal de Jean-Yves Mitton, comme « Le Résistant », ou « L’Archer blanc », un super-héros qui est un peu un Robin des Bois du futur (ces épisodes sont inédits et terminent les deux albums qui ont d’abord été édités chez Soleil, scénario de François Corteggiani). Il y a eu du Arden, un dessinateur de la lignée Organic Comix et qui a fait une série très jolie appelée « Astrodome ». Arnon et moi avons fait la série « Megasauria » qui est sortie en album. Enfin, nous avons publié « 8-Opus », d’un Américain de la veine Kirby, Tom Scioli, le coauteur génial de « Godland » (d’après moi l’une des meilleures série actuelles). À l’issue de ces 9 numéros et quelques (parce que nous avons fait des numéros spéciaux pour faire comme dans le temps : Spéciaux origines, etc.), eh bien nous avons ressorti la série en kiosque pour le n°10 : c’est pour ça qu’il est aussi numéroté n°1 Extra, de manière à…

Cecil McKinley : Mais aussi n°345 !

Jean Depelley : Voilà ! De manière à ce qu’il y ait la triple numérotation : la numérotation originale, la numérotation Organic initiale, et puis la numérotation kiosque.

Cecil McKinley : Oui mais là, les gars, il va falloir vous calmer, parce que quand on va arriver à 5 niveaux de numérotations, ça ne va plus aller, là, hein !

(Rires)

Jean Depelley : Oui oui, on va s’arrêter là ! Heureusement, nous avons Rhom, notre responsable communication, qui s’escrime sur les sites à expliquer ces finesses aux internautes ! Disons que le numéro principal, c’est le numéro kiosque, et après c’est du plaisir coupable de fan. On est donc sortis en kiosque (ça a été tiré à 15 000 exemplaires, je crois), et on a pu couvrir toute la France, plus les Dom Tom, la Suisse, la Belgique… Je dois dire que Strange a été assez bien reçu, mais peut-être pas suffisamment – à cause de la grande crise de la presse BD – pour soutenir nos efforts, ce qui fait qu’à partir du n°4 (qui est bouclé et qui part bientôt chez l’imprimeur), on va retrouver un système de distribution en librairies spécialisées comme on l’avait sur notre première série. Sur la deuxième série de Strange, on reste fidèles à nos amis, avec par exemple « Godland » de Joe Casey et Tom Scioli. Pour moi, c’est une série extraordinaire, un mélange des Quatre Fantastiques, de Doc Savage, avec une sauce culture alternative, psychédélique, années 70, énormément d’humour, de second degré, et c’est dessiné dans un style Kirby/Royer des plus agréables. Peut-être un peu outrancier parfois, mais…

Cecil McKinley : Oui, mais même cette outrance est un magnifique hommage à Kirby, je trouve. J’aime beaucoup aussi…

Jean Depelley : Et puis surtout c’est bien à lire ! Parce qu’on peut lire de beaux hommages sans que l’histoire vaille quelque chose, mais là le scénario est franchement formidable, c’est vraiment la série la plus réjouissante que j’ai lue ces dernières années. Il y a aussi « Lorelei », les aventures d’une succube sexy qui est un personnage de Steve Roman, un scénariste de chez Marvel ayant monté sa structure pour faire ses propres créations. Cette création m’a un peu rappelé – et c’est pourquoi j’ai été assez enthousiaste – les magazines en noir et blanc de Marvel dans les années 70, ou les magazines de chez Warren, les Vampirella de l’époque, par son côté adulte, érotique, bien écrit. C’est une série digne d’intérêt. Et la troisième c’est la « Fantask Force » de Reed Man, une série française, donc ; on tenait à ce qu’il y ait une création française dans Strange, démontrant qu’il y a aussi bel et bien une création nationale. De plus, les héros de « Fantask Force » appartiennent au bestiaire de Semic…

Cecil McKinley : N’oublions pas de parler de la présence du « Jack Kirby Museum », aussi…

Jean Depelley : Avec tous les contacts qu’on peut avoir dans le milieu de cette bande dessinée-là, il était facile d’avoir Mitton, Tota, ou les Simon, vu qu’on collabore sur des projets avec eux en ce moment (avec Joe Simon, toujours vivant à 97 ans, et son fils Jim !). On a aussi des contacts avec Mark Evanier aux États-Unis, qui m’a aidé à écrire un article sur une période un peu méconnue de Kirby lorsqu’il a fait la ligne Kirby Comics (c’est dans le N°3). On essaye toujours de faire de l’éditorial en rapport avec le contenu du journal. J’en profite pour dire que le choc de ma vie sur les comics, ça a été véritablement Jack Kirby, quand j’ai découvert les albums des Fantastiques chez Lug dans les années 70. Je n’ai pas compris exactement ce qui m’arrivait, au début. Je suis devenu un Marvel geek, comme beaucoup de jeunes de ma génération, à lire tout Strange, Nova, Special Strange, etc. Et puis au bout d’un moment, j’ai commencé à me lasser, parce que c’étaient des dessinateurs de moindre importance, comme Jim Mooney, Sal Buscema, des gens que j’aimais moins… Et c’est en lisant le « Captain Victory » de Kirby que d’un seul coup je me suis dit : « Mais ce n’est pas du tout Marvel ou tel personnage qui m’intéresse, c’est Kirby, c’est Gene Colan, Gil Kane, Joe Kubert, c’est ça qu’il faut suivre, ce n’est pas le personnage ni l’éditeur, on s’en moque ! » Je crois qu’aujourd’hui il y a un certain nombre de gens qui raisonnent comme ça, sur l’auteur, mais on n’est pas encore suffisamment nombreux. D’autant plus aujourd’hui que le marché de l’art se met à lorgner fort du côté de la BD depuis une petite dizaine d’années, et franchement, quand on voit une planche de Kirby, c’est de l’art ! Il y a vraiment toute une idiosyncrasie qui lui est propre, il y a du mouvement, une composition, il y a une patte, de l’abstraction, c’est totalement pop art, et c’est absolument génial ! Je crois qu’aujourd’hui on est en train de prendre conscience de l’importance de cet artiste, et pas seulement d’un point de vue graphique, mais aussi narratif, en tant qu’auteur… Kirby n’a pas seulement été le coauteur (voir plus) de l’univers Marvel, la plus grande mythologie du 20e siècle, il a aussi crée la grammaire avec laquelle on raconte dorénavant les histoires (avec un rythme et des cases très intenses…). Alors c’est vrai que Strange reste un peu sur un brelans d’auteurs, une tendance ou des continuateurs ; on a eu des critiques là-dessus, mais je pense que si on s’intéresse au rock, on s’intéresse aux Rolling Stones qui eux-mêmes ont repris du Chuck Berry : c’est une tradition qui d’une certaine façon est noble… Quand je lis aujourd’hui Le journal de Spirou, il ne se passe pas trois numéros sans qu’il y ait une réédition soit de Morris, soit de Franquin, soit de Tillieux, d’un quelconque grand ancien, parce que ça fait partie du patrimoine. Pour Kirby, je crois qu’en France il y a eu une méconnaissance de cet auteur car il a été édité avec 10 ans de retard, ici, au même moment où les John Buscema, Gene Colan ou Gil Kane révolutionnaient le mouvement, constituant la deuxième génération qui reprenait déjà le flambeau. Et c’est vrai que lorsqu’on regarde les Fantask avec les premiers Quatre Fantastiques et qu’on les compare au Surfer d’Argent de Buscema, il n’y a pas photo : le Surfer paraît extraordinairement moderne, formidable, les autres paraissent un peu vieillot. Mais si on replace le tout dans le contexte de l’époque (ou si l’on regarde du Kirby de la même époque chez DC), c’est différent… Je crois qu’un jour Kirby obtiendra ce statut d’artiste au superlatif qu’il mérite vraiment !

Cecil McKinley : Avez-vous d’autres projets afin de mieux faire connaître l’art de cet artiste primordial ? On vous sent très impliqué dans cette passion kirbyenne…

Jean Depelley : Eh bien j’ai un projet qui me tient à cÅ“ur depuis longtemps : je me bats depuis des années et des années pour essayer de monter une exposition Kirby au CNBDI à Angoulême, d’autant plus maintenant que je connais des gens. J’ai tout clé en mains : il se trouve que je fais partie du Kirby Museum, et que je connais bien Randy Hoppe qui s’occupe de ça… En fait, ce qui pose problème dans les organisations d’exposition, c’est la circulation des originaux : ils sont considérés comme des Å“uvres d’art, et il faut payer des droits de douane pour faire rentrer ces Å“uvres (après, ces droits sont restitués, mais en tout cas il faut faire l’avance), mais ce qu’il faut savoir, c’est qu’un travail extraordinaire a été fait aux États-Unis : tout a été numérisé ! C’est-à-dire que tous les crayonnés de Kirby existent, vu qu’il faisait des tirages de ses crayonnés avant de les envoyer à l’éditeur qui lui-même les donnait à l’encreur. Donc toute sa production existe depuis à peu près 1965-66, et tout a été scanné depuis : des milliers et des milliers de scans ont été faits, donc tout existe en numérique ! Ce que je veux dire, c’est que présenter une exposition sur Kirby à Angoulême ne serait que justice, d’abord parce que Marvel a donné une collection complète de leur catalogue depuis 59…

Cecil McKinley : Je ne sais pas quoi vous dire, là-dessus… Ça me désespère… je pense qu’ils ne savent pas quoi en faire…

Jean Depelley : Oui… Toujours est-il que Marvel leur a fait ce lègue, qu’ils ont fait la fine bouche en n’acceptant que les premières années, jusqu’aux années 80. Bon, ok. Mais ils ont de quoi faire une exposition extraordinaire, il y a tout ce qu’il faut ! Ensuite il y a la collection Étienne Robial, qui possède de nombreuses planches de Kirby. Ensuite je connais de gros collectionneurs. Il y a également le Kirby Museum qui pourrait fournir tous les scans sous fichiers numériques, et ça ne coûtera rien. Pour l’aspect éditorial, tout est possible : il y a le Jack Kirby Collector, il y a Mark Evanier, et ça ne coûterait pas grand-chose non plus… Mais enfin, bon, je ne pense pas que ça soit considéré comme l’un des combats actuels de la bande dessinée… D’ailleurs, on a fait un film avec Philippe Roure qui s’appelle « Marvel 14 », diffusé l’année dernière à Angoulême puis sur SyFy, et qui va sortir en DVD… Ce film montrait jusqu’où peut aller la passion pour certaines créations, dont évidemment celle de Kirby. C’est donc mon combat depuis 20 ans de montrer que Mario Bava, Tillieux ou Kirby, c’est de l’art. Une personne comme Dionnet illustre bien cette idée, d’autant plus qu’il adore Kirby : il fait le lien entre culture classique et moderne, mais une culture moderne résolument populaire, donc pas forcément celle en place… et c’est cela que je trouve noble.

Cecil McKinley : Je suis bien d’accord… Pour finir cette déjà longue interview, pourriez-vous me dire quelques mots sur le dernier-né de la famille Organic, Reptile ?

Jean Depelley : Avec Reptile comme pour Strange, on est retournés à une diffusion dans les librairies spécialisées. Dans Reptile, il y a « Fantax » de Bordelet et Chott, « Je suis une Sorcière» d’Arnon (des épisodes inédits qui sont magnifiques), et aussi Tom Scioli avec son « American Barbarian », une BD passionnante et inédite aux États-Unis. C’est vrai que c’est un peu bizarre de voir un magazine aussi beau, éclectique et rock n’roll, ne sortir qu’à 1000 exemplaires… Je ne comprends pas… Mais il y a aussi le problème de la mise en place des illustrés dont les marges sont bien moindres pour le libraire par rapport à d’autres ouvrages plus « chers »… C’est un peu le problème qui touche la presse de bande dessinée.

Cecil McKinley : Oui… Mais je suis sûr qu’Univers Comics Unlimited et Organic Comix n’ont pas dit leur dernier mot ! En tout cas, je vous remercie de votre passion et de votre gentillesse. Et donnez-nous encore plein de comics inconnus et croustillants !

Jean Depelley : Merci, au revoir !

PS : Quelques liens utiles si vous voulez en savoir plus sur le travail de nos amis, acheter leurs publications et les soutenir dans leurs belles intentions éditoriales :

Organic Comix : http://www.organic-comix.fr

Univers Comics : http://fredcomics.over-blog.com

Cecil McKINLEY

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Une réponse à Interview de Jean Depelley

  1. François Bisch dit :

    Au travers de ce passionnant interview, Jean Depelley nous démontre, s’il en est besoin, l’extrordinaire travail qu’il réalise avec tous ses collègues. Les fans – dont je suis – lui en sont extremement reconnaissants.

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