Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...Spécial « DMZ » : the end…
Depuis le 1er janvier, pas de publications assez intéressantes pour mériter une chronique, mais votre rubrique « comics » est enfin de retour après cette petite trêve hivernale… Au programme, les deux derniers volumes de « DMZ », l’un des meilleurs comics de ce nouveau millénaire… Embarquement final.
Lorsqu’on suit une série depuis le début en en parlant régulièrement, écrire quelque chose sur son dénouement n’est jamais simple… Si vous suivez cette rubrique, vous savez donc tout le bien que je pense de « DMZ », en long en large et en travers. Une œuvre d’une rare puissance qui – avec « Ex Machina » – est l’une des plus culottées, courageuses et intelligentes qui se soient penchées sur le visage de la société américaine post-Nine Eleven. Et réfléchir sur ce visage aide à mieux discerner le monde dans lequel on vit. C’est ce que dit – bien mieux que moi – Justin Giampaoli dans sa préface du T12, exposant sur deux pages l’essence même de ce qu’il y aurait à dire de « DMZ ». Grâce à ses qualités et à sa nature très particulière, cette série a bénéficié de nombreuses et belles préfaces signées par des auteurs de comics, des personnalités médiatiques, et même des militaires : tous ont dit à quel point « DMZ » avait été pour eux une révélation, un choc, encensant Brian Wood pour son talent extralucide. La préface de Giampaoli ne fait pas exception, exprimant avec une rare pertinence ce qu’est et ce qu’engendre « DMZ ». Il faut dire que l’homme connaît ce comic sur le bout des doigts, étant aux manettes du seul site officiel qui lui soit consacré (Live from the DMZ). Je vous conseille d’ailleurs fortement ce site qui contient de nombreuses interviews des créateurs de « DMZ » (http://dmzthecomic.com/).
Avec ces volumes 11 et 12, nous pouvons donc enfin lire les 12 derniers épisodes de « DMZ »… La « Bataille pour Manhattan » bat son plein, l’armée des États-Unis d’Amérique reprend petit à petit le contrôle géographique de la DMZ après l’avoir amplement bombardée ; mais quant au contrôle politique… c’est bien évidemment une autre affaire, qui ne pourra pas passer par la voix des bombes. Je resterai laconique et ne vous en dirai pas plus pour ne rien éventer, surtout que Wood a su mener son œuvre jusqu’au bout avec la même intelligence, ne finissant pas son épopée par un final spectaculaire ou une surenchère d’images de destruction. Contrairement à d’autres, il ne profite pas du contexte guerrier de son œuvre pour y glisser du sensationnel gratuit, ni aller vers une facilité qui dégraderait la teneur de son propos. Non, jusqu’à la fin nous suivons Matty Roth et les autres protagonistes de la série, et découvrons combien les destins de chacun et les événements déclencheurs au sein d’un conflit restent complexes et contrastés. Il y a un questionnement fondamental sur l’identité (des gens, de la ville), comme le souligne aussi Giampaoli, mais il y a de manière plus globale une réflexion profonde sur la nature de la vérité et du mensonge dans notre société, et ce que cela engendre dans le fonctionnement premier de notre civilisation moderne. Ce sont ces paramètres qui se dégagent en exergue, et non un jeu de massacre qui serait légitimé par le sujet. Ainsi, nous allons découvrir ce qu’il advient de Matty après toutes ces années passées dans la DMZ, et comment il peut – ou non – supporter tout ce qu’il a vu, entendu… mais aussi tout ce qu’il a fait – ou pas. Une conclusion d’une grande justesse, pétrie par le même souci de pragmatisme réaliste dont l’auteur fait preuve depuis les premières pages de cette série.
« DMZ » est une œuvre qui se relit, indubitablement, afin d’en cerner toutes les nuances et de mieux comprendre le cheminement intellectuel de Wood. La première lecture est si riche, si surprenante, que même si nous comprenons exactement ce qui est en train de se jouer, les méandres et les ramifications inhérents à l’action ne se dévoilent pas instantanément pour autant, révélateurs de plusieurs strates de pensées, qu’elles soient politiques ou tout simplement humaines. Même si avec la sortie de l’ultime volume de « DMZ » nous devons dire au revoir à Matty, Zee, Wilson, Parco, Soames, Decade Later et tous les autres personnages de la série, ce n’est qu’un au revoir, car une prochaine lecture est à envisager sérieusement. Aujourd’hui, donc, « DMZ » est enfin disponible en intégralité. Une excellente nouvelle pour ceux qui connaissent et aiment cette œuvre, bien sûr, mais aussi pour ceux qui ne la connaîtraient pas et qui vont avoir la chance de pouvoir la découvrir goulûment, sans attendre des années comme ça avait été le cas pour le début d’édition précédente… Une page se tourne, certes, mais l’écho est là ; il se perpétue, quoi qu’il arrive, car ce qu’a provoqué « DMZ » dans nos cœurs et nos esprits n’a pas fini de résonner en chacun de nous. Espérons que cela se propage…
Cecil McKINLEY
« DMZ T11 : Le Soulèvement des États Libres » par Riccardo Burchielli, Shawn Martinbrough et Brian Wood
Éditions Urban Comics (15,00€) – ISBN : 978-2-3657-7377-5
« DMZ T12 : Les Cinq Nations de New York » par Riccardo Burchielli et Brian Wood
Éditions Urban Comics (15,00€) – ISBN : 978-2-3657-7378-2