« Space Brothers » T1 & 2 de Chuya Koyama

La conquête de l’espace n’est plus un sujet qui passionne la jeunesse d’aujourd’hui. Pourtant, les plus grands récits de science-fiction ont fait les beaux jours des  années 70-80. Robots géants, aventures spatiales, invasion extraterrestre, etc., tout y est passé. Rares étaient les histoires traitant ce sujet de manière réaliste. C’est pourtant le parti pris qu’a choisi Chuya Koyama pour son manga « Space Brother » : l’histoire de deux frères qui ont la tête dans les étoiles depuis leur plus tendre enfance.

Ce manga débute par quelques anecdotes sportives, notamment le fameux « coup d’boule » de Zidane lors de la coupe du monde de 2006. Exemple pitoyable de règlement de compte que Mutta, ingénieur automobile, s’empressera de copier lors d’un désaccord avec son chef. La sanction est immédiate : licenciement pour faute grave. À l’autre bout du monde, Hibito, de trois ans son cadet, s’apprête à partir pour la Lune. Engagé comme astronaute par la NASA, il ne fait que suivre son rêve d’enfance. Rêve que partageaient les deux frères après avoir aperçu un OVNI alors que gamins, ils enregistraient des cris d’animaux sauvages un soir d’été. Leur carrière était tracée. Passionnés par l’exploration spatiale, l’observation des étoiles était leur passe-temps favoris. Au grand dam de Mutta, qui se voyait comme le grand frère protecteur, c’est son cadet qui réussit là où il aurait dû montrer l’exemple. Mais comme il n’est jamais trop tard pour réaliser ses rêves, une fois au chomage, il se décide à passer les tests de la JAXA (Agence d’exploration aérospatiale japonaise)…

Avec 22 volumes déjà parus au Japon, ce manga est aujourd’hui un succès incontestable.
En France, nous ne connaissions que l’adaptation en série d’animation diffusée en streaming sur Anime Digital Network, ainsi que sur la chaîne J.One. À part les inconditionnels d’animation japonaise, la popularité de la série restait donc confidentielle dans notre pays.

Pourtant, ce manga est une des perles que le Japon sait encore produire. Il restait étrangement absent des linéaires Français. Grâce à Pika, cette injustice est maintenant réparée. Il est vrai que cette Å“uvre ne paye pas de mine au premier abord : dessin pas toujours flatteur, héros sans charisme et absence flagrante de décors. C’est surtout sa construction narrative et son humour subtil qui font mouche. Pour son récit, Chuya Koyama a choisi de se concentrer sur le « loser  »  de la famille. Mutta est né le jour d’une défaite sportive : la fameuse tragédie de Doha où, en 1994, le Japon a perdu d’un point les éliminatoires de la coupe du monde de football. Le garçon va traîner ce fardeau toute sa vie, alors que son frère cadet naîtra pour sa part sous une bonne étoile : le jour même de sa naissance, le baseballeur Hidéo Nono réussit l’exploit de n’offrir aucun point aux adversaires du Japon. Si les premières pages s’attardent sur ces références sportives, il n’y en aura presque plus par la suite. C’est l’espace et son immensité qui occupent la majeure partie de l’aventure. On passe rapidement sur la jeunesse des deux frères, de leur étonnante observation d’un OVNI survolant le Japon à leurs emplois respectifs (le chômage et les petits boulots ingrats de l’aîné, avant qu’il ne postule finalement à la JAXA pour rejoindre son cadet). Les personnages sont extrêmement typés. Le dessin les présente tels qu’ils sont, sans chercher à enjoliver la réalité. La professeure de musique semble austère, les Américains ressemblent réellement à des Occidentaux et la rivale de Mutta est jolie, sans tomber dans le stéréotype de la Bimbo. Une galerie hétéroclite de personnages comme on aimerait plus souvent en rencontrer, collant à la réalité humaine.

L’histoire traitée avec humour ne fait pas de « Space Brothers » un manga humoristique. Les situations cocasses pourraient arriver dans la vraie vie. Mutta est gaffeur mais reste extrêmement cartésien. Hibito prend les choses plus à la légère, et cela lui réussit bien. Ils sont de tempéraments très différents, ce qui amène de nombreuses anecdotes sarcastiques. Du coup, la lecture n’en devient que plus agréable. Une fois passées les premières pages, on s’accoutume au graphisme adulte de ce manga et on dévore « Space Brothers  » .

L’auteur Chûya Koyama a commencé sa carrière de dessinateur de bande dessinée assez tard. À 26 ans, il occupait un poste de designer lorsque son manga « GGG » (prononcer : Jijijii) remportait le prix Seizô Watase du 14ème concours « Manga Open » de Kodansha. Puis, à 27 ans, c’est « Gekidan Jets » primé lors du même concours. Il poursuit dans la veine adulte avec des histoires plutôt tournées vers le sport de glisse («  Harujan  »), alors qu’il assiste Ryô Koshino sur « N’s Aoi  ». « Space Brothers » sort en 2008 et remporte coup sur coup les prix du meilleur manga aux 56e Shogakukan Manga Awards et aux Kodansha Manga Awards de 2011. Koyama est à ce jour le seul artiste à avoir reçu ces deux prestigieux prix la même année. Aujourd’hui, avec 22 tomes, « Space Brothers » a dépassé les 11 millions d’exemplaires vendus. Il a été adapté en série d’animation, avec plus de 70 épisodes diffusés dans vingt pays. Un film live est sorti simultanément et c’est le célèbre groupe Coldplay qui a composé la chanson thème, « Every Teardrop Is a Waterfall  ».

Publié avec la caution du CNES (Centre National des Études Spatiales), « Space Brothers  »  fait plonger son lectorat dans les méandres de la conquête de l’espace. Avec ses termes techniques, le récit s’appuie sur des faits tangibles. Dans les deux premiers volumes, le lecteur suit le cabotin Mutta lors de son concours d’admission à la NASA.
Une série prenante, qui devrait combler les amateurs d’exploration spatiale et de science-fiction pure.

Gwenaël JACQUET

« Space Brothers » T1 & 2 de Chuya Koyama
Éditions Pika (8,05 €) – ISBN T1 : 978-2-8116-1261-0 – ISBN T2 : 978-2-8116-1262-7

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