Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...Interview d’Hermann (Reprise)
À l’occasion de la sacralisation d’Hermann en tant que Grand Prix du Festival d’Angoulême 2016 (suite aux deux tours d’un vote électronique où la communauté des auteur(e)s professionnel(le)s de bande dessinée lui a accordé la majorité de ses suffrages, couronnant ainsi l’une des œuvres les plus emblématiques de la bande dessinée franco-belge tous publics et l’un des parcours d’auteur les plus prolifiques du 9e art européen), nous ressortons de nos archives « Le Coin du patrimoine » en quatre parties que nous lui avions consacré, en attendant que Philippe Tomblaine (qui prépare une nouvelle monographie consacrée à Hermann, qui sera lancée chez PLG en janvier 2017, et pour laquelle il lance d’ailleurs un appel aux contributions-hommages -dessins, textes, anecdotes…- pour l’enrichir) nous dissèque son dernier album (« Old Pa Anderson » au Lombard) jeudi 11 février. Vous trouverez donc ci-dessous la première partie, et voici les liens pour les trois autres : la suite d’une passionnante interview où Hermann, comme à son habitude, ne pratique pas la langue de bois [voir Interview d'Hermann (2ème partie) et Interview d'Hermann (3ème partie)], ainsi qu’un article de fond sur « Bernard Prince ».
Jean-Michel Lemaire et Yannick Bonnant, le responsable de la petite (mais indispensable) revue On a marché sur la bulle, nous ont autorisé à mettre en ligne une interview d’Hermann que Jean-Michel avait recueilli auprès de l’intéressé, le 1er mai 2008. Cette entrevue fut publiée dans le n°17 (d’octobre 2008) de On a marché sur la bulle : numéro complètement épuisé aujourd’hui !(1)
Particulièrement intéressante, cette interview d’un auteur incontournable, adoré ou décrié mais qui ne laisse personne indifférent, vous sera présentée, vu son exceptionnelle longueur, en plusieurs parties !
Vous y constaterez que cet homme, souvent jugé hâtivement, a su nous toucher par sa gentillesse, sa disponibilité, sa franchise et ses réponses sans détours : la longévité et la qualité de son œuvre forçant évidemment le respect…
JML – J’ai plusieurs séries de questions à vous poser, mais je voudrais que vous nous parliez d’abord de votre site http://www.hermannhuppen.com…
H – C’est mon fils qui l’a repris en mains car le gars qui l’a créé a rencontré la nénette de sa vie et ne nous a plus du tout fait signe.
JML – Il est très bien ce site, entre autres grâce aux fichiers pdf qui sont en lien.
H – Là, vous me parlez petit nègre, je ne le regarde pas, je n’ai pas d’ordinateur chez moi ! C’est mon fils qui gère ! Je lui fais confiance, moi je m’en fous ce n’est pas mon boulot… Ce n’est pas un imbécile, je le laisse faire.
JML – En ce moment, vous êtes en train de finir une histoire de pirates dont on peut voir les premières pages sur votre site…
H – C’est une histoire en deux tomes dans laquelle je me suis très engagé et je ne veux pas qu’il se passe six mois entre la sortie des albums… C’est mon fils qui a voulu ça et comme c’est lui le scénariste (je ne lui impose rien du tout), je suis très obéissant. Je n’aime pas beaucoup quand les dessinateurs se mêlent trop du scénario car ils perturbent tout, ils ajoutent des pages et ils déstructurent l’histoire : ce n’est pas très élégant. Mon fils, son boulot c’est d’être scénariste, le mien c’est d’être dessinateur.
JML – Autrement, c’est irrespectueux ?
H – Oui, c’est comme si le scénariste ne respectait pas mon dessin, s’il estimait que je doive recommencer certaines cases parce qu’elles ne lui plaisaient pas. Avec Yves, on se fait confiance mutuellement.
JML – L’histoire, c’est votre fils qui l’amène ?
H – Oui, ne me demandez rien, je ne sais même pas comment elle s’achève.
JML – Oui, mais l’idée de l’histoire ? C’est lui qui voulait une histoire de pirates ?
H – Oui, même moi, au début, je disais non, parce que les bateaux à voiles, c’est compliqué. D’ailleurs, j’ai dit à Patrice Pellerin : « Je suis heureux que tu aies réalisé six albums sur les bateaux de cette époque-là, ça me sert de documentation ». J’essaie simplement de simplifier parce que les cordages, c’est casse-gueule… Et il n’y a pas qu’un type de bateaux … Quand je suis capable d’utiliser des entourloupes qui passent, je n’hésite pas ; car je ne peux pas consacrer des semaines à rechercher des documents précis : je suis trop impatient. Je suis très travailleur mais je ne supporte pas d’être en rade en attendant qu’un document arrive. Remarquez, pendant un jour, ça peut se faire : les illustrations, je les laisserais sur le côté… Mais je n’aime pas interrompre un récit, je déteste ça… Les scénaristes doivent apporter un maximum de documentation. Je n’avais pas grand-chose lorsque mon fils m’a donné ça et, heureusement, quelqu’un m’a dit : « Mais prends donc les bouquins de Patrice Pellerin ». Et c’est vrai que c’est remarquable. Pellerin est assez prodigieux, il est passionné par les bateaux de ce temps-là. Moi j’aime bien les regarder, j’aime éventuellement les dessiner, mais dans une bande dessinée j’ai peur à chaque case. Heureusement, ça ne se passe pas toujours à bord des bateaux.
JML – Les pages du début se passent en Louisiane…
H – Oui, là il n’y a pas de bateau du tout… Pour la première page qui se passe dans un marais, j’avais quelques photos. Mais j’ai changé l’éclairage : je ne copie jamais de photo. J’ai horreur de ça ! Une photo copiée ça se voit et, pour moi, c’est un dessin raté. Mais on peut se servir de documents : par exemple, moi, j’adore les montagnes et les rocheuses, alors je m’en inspire. Quant à l’architecture, j’utilise les pierres…, mais la cathédrale c’est moi qui l’imagine.
JML – Oui, quand on vous lit, c’est l’impression que l’on a, vos bandes dessinées sont très réalistes et en même temps, elles ne le sont pas du tout…
H –Henri Filippini m’a toujours dit « Tu n’es pas un dessinateur si réaliste que ça : il y a de l’abstrait dans ton dessin ». Évidemment, je me sers de classique mais, en même temps, il y a des éléments dans mes traits qui ne sont pas si classiques que ça…
JML – Et puis, il y a une manière de jouer avec la documentation. Il y a la documentation, mais, finalement, c’est l’atmosphère qui est importante ; et, à ce niveau-là, vous êtes souvent très impressionnant parce qu’on ressent le flou…
H – Oui, c’est ça : ça donne l’illusion qu’il y en a, alors qu’en réalité… Et puis même, je pars du principe que, quand il y a trop d’éléments qui partent d’une documentation, on noie le récit. Il ne faut pas que la documentation prenne le pas sur l’histoire. On met un personnage dans un décor, le décor lui, est à côté ou derrière. Ce n’est pas le décor, puis des personnages que je mets dedans. Non, pour moi, c’est un tout, il ne faut pas que l’on soit trop pris par les détails : le rythme de lecture en souffrirait. Comme quand il y a trop de choses sur une table. Vous ne savez plus trop ce que vous allez manger. Il faut que ce soit net, pas pauvre, mais lisible et qu’on avance, qu’on ne reste pas sur place.
JML – On cherche l’efficacité constamment par rapport à l’histoire…
H – Oui, c’est pour ça qu’il ne faut jamais me demander quelle est mon approche du métier ! Je finis par ne plus savoir. Je me base sur des sensations. Enfin, il faut quand même des bases indispensables comme l’anatomie ; mais en dehors de ça, je suis dans une dimension où je ne sais plus très bien moi-même ce que je dois faire. J’obéis à des pulsions et je ressens plein de doutes : c’est beaucoup plus compliqué que ce que l’on s’imagine.
JML – Mais, par rapport à cela, vous avez quand même une production assez sidérante…
H –Oui, je ne supporte pas le vide, je suis mal à l’aise dans le vide, alors il faut que je fasse quelque chose.
JML – Vous avez cette image très classique par rapport à la narration en bande dessinée et pourtant, moi, je garde un souvenir très étonnant d’une histoire ou la structure narrative était beaucoup plus éclatée, c’était l’histoire « La Cage » : un court récit où vous étiez allé, je trouve, beaucoup plus loin… Alors qu’aujourd’hui, dans vos bandes dessinées, vous le faites aussi mais d’une manière plus limitée. On sent qu’avec le découpage en trois bandes, vous vous freinez, vous restez dans une structure très classique pour ne pas déstabiliser le lecteur…
H – Cela a été très spécial pour « La Cage » : je ne sais pas si je pourrais la refaire ; mais, dans le fond, cela aurait dû m’influencer plus, même dans la suite des évènements. Mais, voilà je n’ai pas cru bon de chevaucher toujours le même cheval…
JML – Parce que c’est une des choses qui m’a surpris en feuilletant vos albums, vous avez beaucoup plus évolué qu’on ne le pense. Quand on prend les « Bernard Prince » du début…
H – Oh, ne m’en parlez pas, s’il vous plaît…(2)
JML – Bon, alors, quand on prend les « Comanche » ou même les premiers « Jérémiah », le dessin et la narration ont énormément évolué, même le ton de vos histoires…
H – Oui, mon regard sur le comportement de l’être humain a beaucoup changé également.
(A suivre…)
Propos recueillis par Jean-Michel Lemaire
(1) Par contre, si ce numéro n’est plus disponible (c’est aussi le cas des n°1 à 4, 7 à 9 et 16), les autres sont à commander chez Yannick Bonnant : « Les Petits Sapristains » – La Chênaie Longue, 35500 Saint Aubin-des-landes (mail : yannick.bonnant@aliceadsl.fr).
(2) Et bien si, justement, parlons-en : on vous dit tout sur « Bernard Prince » dans notre dernier « Coin du patrimoine » : bdzoom.com/4214 !