« Scumbag Loser » T1 par Mikoto Yamaguti

À première vue, « Scumbag Loser » est une histoire dépeignant le pire antihéros que la bande dessinée ait pu créer. Masahiko n’a qu’une peur, être le pire déchet de la terre. Pour éviter d’être en tête de ce classement, il observe ses concitoyens en quête du « paumé ultime ». Mais sa vie va changer du tout au tout, en même temps que le récit basculera de la simple chronique sociale vers la science-fiction angoissante. Une vraie surprise.


Série courte en seulement trois tomes, « Scumbag Loser » ne ressemble à rien de connu. Le postulat de départ est simple : Masahiko est un pleutre, il vit dans la crainte permanente d’être le pire raté de la terre. Néanmoins, il a la consolation de n’être que second sur la liste. En effet, son camarade de classe, Yamada, est encore pire que lui. Tous deux partagent un physique disgracieux et un embonpoint démesuré. Ils sont les souffre-douleurs de leurs camarades sveltes et orgueilleux. Si Masahiko se fait ridiculiser en acceptant de mettre un pied sur sa tête en guise de soumission, Yamada, lui, doit carrément lécher ce pied immonde. Une situation peu enviable qui risque de changer depuis que Yamada a déclaré que « Lui, il a une petite amie ». Du coup, Masahiko est sûr de voir son cauchemar se réaliser en passant en tête de liste de la pire vermine qui soit. La meilleure défense étant l’attaque, à son tour, il annonce avoir une copine en la personne de Haruka : une amie d’enfance censée avoir déménagée, mais étant en réalité décédée dans des circonstances étranges, il y a 5 ans. Bien évidemment, les autres élèves, incrédules, demandent plus de preuves qu’une simple photo sur un téléphone portable. Et c’est là que tout se complique, car Haruka est revenu et, en plus, elle est dans la même classe que Masahiko. Pourtant, elle confirme qu’elle sort bien avec lui et tout semble reprendre son cours normal. Sauf que Haruka ne serait peut-être pas qui elle affirme être.

C’est à ce moment-là que le récit bascule littéralement du sordide vers la fiction pure. Haruka est une prédatrice se délectant des « vrais » humains, mais elle a un semblant de morale et ne mange que les rebuts de l’humanité. Noble choix, mais qui n’en reste pas moins un constat effrayant de la mort qui rôde autour de cet être inhumain.

Les premières pages ne laissaient présager qu’une critique sociale acerbe, offrant un vrai jugement sur la maltraitance en milieux scolaires. Il n’en est rien, c’est une vraie histoire d’horreur qui se joue devant les yeux du lecteur. Les protagonistes sont plongés dans une descente aux enfers bien pire que ce qu’ils pouvaient envisager.

Alors que Masahiko se délectait du statut peu enviable de certains de ses congénères, il se rend compte que c’est une tout autre histoire que de les envoyer à une mort certaine. Surtout lorsque le dévolu d’Haruka se dirigera vers une jeune fille qui lui était indifférente au départ, mais qui n’est finalement qu’un clone féminin de lui même.

Ce manga, clairement destiné à un public averti, est une vraie révélation. Il nous emmène aux tréfonds des jugements sociaux que les humains peuvent avoir les uns envers les autres. Il met en avant des comportements déviants en nous faisant réfléchir sur la condition de ces élèves jugeant leurs camarades, principalement sur leur aspect physique. Peut-on se satisfaire du statut de souffre-douleur si d’autres sont encore plus bas sur l’échelle sociale ? Faut-il tout accepter du moment que la situation de son voisin est pire que la nôtre ? Ce manga n’est pas là pour nous faire la morale, il se sert juste du constat que cette situation peut exister pour construire un récit poignant. L’aventure avance vite : dès le premier tome, on est plongé au coeur de l’action. Il y a peu de temps mort et d’ellipses narratives superflues. L’auteur, Mikoto Yamaguti, maîtrise son récit de bout en bout. Il sait surprendre son lectorat, faire monter la tension, mais sans dévoiler trop rapidement les moments clefs.

Graphiquement, il n’y a rien à redire, les personnages ont le corps que leur condition leur impose. Ils savent être immondes, sans tomber dans le caricatural. C’est un juste dosage de laideur ou de beauté stéréotypé, afin de clairement renforcer notre perception du statut social de chaque élève. Le côté glauque et malsain de certaines situations est magistralement mis en scène. Les décors et l’ambiance sont travaillés, afin de bien renforcer le caractère joyeux ou malsain de la situation. Voilà donc un manga qui arrive parfaitement à jouer sur plusieurs tableaux en même temps.

Personne n’envierait la vie de Masahiko, encore moins depuis qu’il a une petite amie cannibale. Pourtant, c’est toute cette vie de « lose » qui rend ce récit passionnant. « Scumbag Loser » est un seinen cynique, mais tellement prenant qu’il serait dommage de passer à côté. L’adage, comme quoi « le malheur des uns fait le bonheur des autres » prend ici tout son sens.

Gwenaël JACQUET

« Scumbag Loser » T1 par Mikoto Yamaguti
Éditions Ki-oon (7,90€) – ISBN : 978-2-35592-573-3

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