Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« The Cape » par Zach Howard et Jason Ciamarella
Magie consanguine, Joe Hill est bien le fils de Stephen King, tous deux écrivains d’horreur et de fantastique, Joe étant également scénariste de comics (il est l’auteur de « Locke & Key », édité en France chez Milady). C’est l’une de ses nouvelles que Jason Ciamarella a adaptée en comic, accompagné du dessinateur Zach Howard : « The Cape », une variation sur le thème du super-héros assez juste et très plaisante à lire…
Voilà près de trente ans maintenant (gasp ! déjà  !) que l’on triture de toutes parts le thème du super-héros, avec plus ou moins de pertinence, intelligence ou violence au sein de ces nouveaux âges modernes et noirs. Du plus drôle (« The Boys ») au plus gore (« No Hero »), les comics ne se sont pas contentés de rester sous le choc de « Watchmen » et de « Dark Knight Returns », ne cessant depuis d’explorer la face sombre et réaliste du mythe jadis un peu trop reluisant pour être honnête selon certains… Contrairement à l’accroche de « The Cape », je ne trouve pas que cette Å“uvre « pulvérise le mythe du super-héros » mais qu’elle y porte plutôt un regard assez juste, pragmatique et sans concessions sur non pas la genèse et la nature du super-héros, mais sur la nature humaine, en amont. C’est ce qui la rend justement plus intéressante que si elle n’avait fait « que » pulvériser le mythe, dans l’outrance. Ici, certes la violence est présente, mais il y a aussi de la nuance, dans ce qui ressort en filigrane… Joe Hill puis Jason Ciamarella ne nous parlent pas de pouvoirs, ni même de super-pouvoirs, mais bien de ce qui incarne à la source ce pouvoir, sans angélisme sur cette bonté qui serait inhérente à l’homme. L’homme n’est pas bon, pas que bon, comme le rappellent les phrases en exergue des différents chapitres : « C’est toujours dans l’innocence que le mal véritable prend sa source » (Ernest Hemingway), « Le mal n’est jamais spectaculaire. Il a toujours forme humaine, il partage notre lit et mange à notre table » (W. H. Auden), par exemple…
On pourrait aussi résumer « The Cape » par cette question : qu’arrive-t-il lorsqu’un sale mec acquiert et exerce le pouvoir ? J’ai parlé de nuances, car Joe Hill a évité un écueil de poids : le manichéisme. Non seulement il ne parle pas vraiment de super-héros (plutôt du parcours brisé d’un enfant se rêvant super-héros), mais en plus il ne plaque pas une explication simpliste ou arrêtée sur ce qui arrive. Eric n’est pas né mauvais, il n’a pas non plus perdu toute bonté, il est seulement le fruit malade d’accidents de la vie, de frustrations, d’envies, qui ont fini d’empoisonner son être jusqu’à n’être plus qu’une souffrance. La personnalité qu’il s’est construite ne pouvait en faire un héros ; blasé, opportuniste, fainéant, rancunier, il ressasse sans cesse tout ce qui l’a castré dans la vie, quitte à se tromper de cible, puisqu’il est bien son seul ennemi, finalement. Que va-t-il alors se passer pour lui et ses proches, maintenant que son fantasme enfantin super-héroïque est devenu réalité ? C’est ce que vous saurez en lisant cet album qui est vraiment très très plaisant à lire. Le découpage est classique mais fluide et efficace, on tourne les pages en étant réellement pris par le sujet, parfois touché, d’autres fois horrifié, et le dessin de Zach Howard a ce je ne sais quoi de très très plaisant lui aussi. L’usage régulier mais néanmoins parcimonieux de trames à gros points complète la souplesse du dessin d’Howard avec talent, de même que les belles couleurs de Nelson Daniel.
Bref, voilà un album assez séduisant qui offre autre chose que ce qu’on croyait qu’il donnerait. Non pas un récit musclé d’action gore et de violence complaisante, mais bien une plongée dans la psyché d’un homme devenu déséquilibré, avec tout au long de l’action des ramifications sensibles, psychologiques, de vécu réaliste qui contrebalance grandement la folie fantastique du protagoniste, sans créer de dichotomies. Je ne dis pas qu’il n’y a pas çà et là quelques scènes bien costaudes, mais ce n’est vraiment pas le plus important dans ce comic. Ni œuvre intellectuelle ni mainstream, « The Cape » devrait combler les amateurs de sombre divertissement.
Cecil McKINLEY
« The Cape » par Zach Howard et Jason Ciamarella
Éditions Milady (19,90€) – ISBN : 978-2-8112-1046-5