Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...RENCONTRE AVEC LES AUTEURS DE MURENA
Invités par les Editions Dargaud et le magazine Histoire, les auteurs de la série Murena, dont le tome 7 vient de paraître, sont venus rencontrer le public blésois et répondre aux questions de F. Vidal, rédacteur du mensuel de BD Casemate.
Ils étaient accompagnés par Claude Aziza, historien, traducteur du 1er tome de la série en latin et coordonnateur d’un hors série intitulé La Rome de Néron avec Murena. Ce fut l’occasion pour ces auteurs de s’expliquer sur leur manière de travailler ensemble pour cette saga.
Agrégé de lettres classiques et maître honoraire de langue et de littérature latines à La Sorbonne, Claude Aziza a déjà écrit et édité bon nombre d’ouvrages et collaboré à beaucoup d’autres. Sa dernière parution étant la traduction en latin Murex et Aurum du premier opus de la série Murena Le pourpre et l’or. C’est en tant que spécialiste de l’Antiquité romaine et ami du scénariste Dufaux qu’il s’est d’abord intéressé à cette saga historique, bien différente des Alix de Jacques Martin, que par ailleurs il révère, le considérant comme l’initiateur de la BD historique dont il vante les vertus. En suivant les époques, les situations politiques et les environnements sociaux, l’histoire -et la façon de l’appréhender- évolue : c’est ainsi qu’aujourd’hui, les spécialistes nous offrent une vision totalement renouvelée de l’Antiquité romaine. Il est donc normal que la BD historique se transforme aussi. « Autre époque, autres valeurs, autres façons de présenter les choses ». Claude Aziza explique alors comment Néron, très longtemps desservi par une propagande politique et religieuse qui lui était défavorable, peut désormais être reconnu comme un grand empereur, ami des arts, mais aussi comme le premier homme de Rome à être vraiment épris de celle qui partageait sa vie, Poppée.
Certes les historiographes romains n’étaient pas des historiens, mais en étudiant et en croisant des textes divers et en y associant des images plus populaires, on a une idée relativement précise des évènements historiques et des mentalités de la période traitée. En cela la série Murena est « révolutionnaire », toujours selon C. Aziza, car « elle fait l’objet d’une approche chronologique très rigoureuse et elle accorde une large place aux personnages historiques ». C’est donc autant par enthousiasme que par souci pédagogique qu’il s’est lancé dans la traduction en latin du premier opus de la série et qu’il a participé à l’édition de La Rome de Néron avec Murena dans le magazine Histoire .
De son côté, Jean Dufaux, d’abord passionné de cinéma, a décidé de se consacrer à la BD en 1983. A ses débuts, il co-scénarise ses albums, mais à partir de 1987, ses plus grands personnages naissent de sa propre imagination. Dès lors il se fait prolifique et entraîne le lecteur dans des univers aussi variés que ses inspirations, tout en conservant un style qui lui est très particulier. C’est en 1997 qu’il scénarise Le pourpre et l’or, premier tome de Murena. « A travers le personnage fictif de Lucius Murena, et en se référant au travail des historiens et aux récits des anciens, il nous raconte l’ascension au pouvoir de Néron à travers les intrigues, les complots, les meurtres et le glissement progressif et inéluctable de l’empereur vers la folie ». Il dit lui-même qu’il « invente une histoire fictive dans une histoire réelle » et qu’il a eu à cœur de « rechercher les côtés sympathiques de Néron ». D’ailleurs il parle de cet homme avec une certaine compassion, insistant sur le destin tragique qui l’a d’abord fragilisé, puis fait basculer vers l’obscurité. On retrouve ici la marque du travail de Dufaux qui donne toujours une vraie épaisseur psychologique à ses personnages. Au demeurant, il les suit avec constance et attention tout au long des albums de Murena, une série qu’il avait d’emblée prévue longue, mais dont la ligne générale a été définie précisément depuis le début. « Pour pouvoir écrire ce très long scénario de façon cohérente et historique, il faut dès le départ savoir ce que sera la dernière vignette de la dernière page. Ensuite on remonte aux origines de l’histoire et on en prévoit le découpage historique suivant le nombre de volumes ». Néanmoins, pour chaque épisode, une part d’incertitude subsiste quant à la modalité des détails et Jean Dufaux de réitérer l’importance du décor proposé par les dessinateur et coloriste, de telle sorte que ses personnages évoluent dans un univers et une ambiance qui l’inspirent.
Sur ce point, le dessinateur belge Philippe Delaby est bien l’homme qui lui convient. Leur passion commune pour le cinéma (notamment les péplums des sixties) les a rapprochés d’emblée et continue d’influencer leur travail. Cet amour du cinéma se traduit par des angles de prise de vue, par des mouvements de caméra, par l’agencement inventif des cases, par l’atmosphère de certaines images imprégnées de références cinématographiques. Ce qui ne les empêche pas de « se montrer très pointus dans leurs recherches documentaires afin de viser au plus juste ». Quand on l’interroge par exemple sur la modernité des femmes dans Murena, Philippe Delaby répond que n’ayant que la seule « statuaire comme référence de l’époque, il s’est effectivement fortement inspiré de personnalités cinématographiques, sans pour autant en faire une copie : c’est ainsi qu’Agrippine a pris les traits de Carole Bouquet et que Poppée, maîtresse puis femme de Néron, emprunte ceux de Sophia Loren ».
Le dessin de Philippe Delaby est fouillé et très réaliste. Il se dit méticuleux et presque maniaque, c’est la raison pour laquelle il travaille sur des feuilles de 51×36,5, un format hybride mais assez grand pour permettre un « dessin précis, même lorsque l’action ou la situation réclame un nombre important d’éléments ». Récemment il a travaillé 5 jours durant sur une même planche : elle regroupait environ 300 personnages ! Il dessine en noir et blanc et ne colorise pas lui-même ses planches. Il rappelle à ce propos l’ « importance des couleurs qui doivent correspondre à l’ensemble et être réalistes, sinon on est gêné ». C’est la raison pour laquelle le 1er opus de Murena, colorisé en 1997 de façon peu satisfaisante pour les deux compères, fut recolorisé en 2001 par Dina Kathelyn, qui sera également présente pour les tomes 2, 3 et 4. Mais l’essentiel de ce travail est du ressort du dernier venu du groupe : par l’intermédiaire de sa femme enseignante -et presque par hasard- Philippe Delaby rencontre un jeune étudiant des Beaux Arts, Jérémy Petiqueux. Très vite ils se comprennent, se complètent, et travaillent en parfaite harmonie. C’est ainsi, qu’à partir de 2005 et depuis l’opus 5 La déesse noire, Jérémy Petiqueux est le maître de la mise en couleurs de Murena, qu’il effectue de manière directe avec des aquarelles
Pour conclure il faut saluer la qualité de l’image et la valeur de la narration historique de cette saga devenue, au fil des années un grand classique de la BD historique. Le 7ème opus Vie des feux, édité à la mi novembre, ne déroge pas à la règle : cet album, autant que les précédents, ne reste pas un ouvrage purement pédagogique, mais il nous plonge de façon irréfutable dans l’ambiance de la Rome antique.
Josy HERMELINE