« Ardalén – Vent de mémoires » par Miguelanxo Prado

Le vent est voyageur. Il n’y a pas plus voyageur que lui, surtout quand il vient de la mer, ce qui est le cas de l’Ardalén qui souffle parait-il sur les côtes de Galice. Certains disent qu’il vient d’Amérique. On le croit volontiers dans ce village perdu d’Espagne où vit le vieux Fidel dont la mémoire est défaillante, incertaine, bref infidèle… comme le vent !

 C’est dans ce village de Galice que se rend  Sabela pour faire le point sur sa vie, sur son passé, plutôt sur le passé de sa famille. Quand on veut se reconstruire, on passe souvent par la case généalogique. Sabela est en fait à la recherche d’un ami de son grand-père qui dans les années trente a dû émigrer outre-Atlantique, Cuba en l’occurrence. Évidemment, le village a la mémoire courte surtout pour une étrangère qui débarque, mais Sabela s’installe et se lie d’amitié avec le seul ancêtre qui pourrait lui en dire plus. A condition que sa mémoire et ses souvenirs soient dignes de confiance ! Or, Fidel semble nostalgique et rêveur, mais s’invente-t-il de beaux souvenirs pour mieux faire passer le présent vieillissant ou régurgite-t-il les souvenirs entendus, ceux des autres ? Difficile pour la jeune femme de se faire une opinion d’autant que les habitants discréditent en se moquant le discours du vieil homme et que certains lui sont carrément hostiles.

Toujours est-il qu’elle s’attache à cet homme, solitaire, marginalisé, vivant à l’orée des bois, mais simple, sincère, et dont les yeux s’ouvrent grand quand il se remémore ce passé dont il n’est pas sûr… il lui semble… c’est probable… sûrement que c’était lui… D’ailleurs, à la réflexion, il a peut-être bien connu son grand-père à Cuba… Alors, quand il est seul, Fidel refait des conversations, parle à ses fantômes, interroge ces femmes qui l’ont marqué et qui semblent habiter là, avec lui, ou discute avec des amis d’antan peut-être pas si clairs que ça, au fond. Prado le magicien fait nager des poissons, des méduses autour du vieil homme, comme si Fidel vivait dans un bocal ou en pleine mer. Réalité, souvenirs, fantasmes : tout se mêle et petite poiscaille ou grosses baleines – comment ne pas se rappeler des « Baleines Publiques » de Frank ? – nagent en eaux troubles, celle d’un bonhomme original qui, à cause de Sabela, enquête sur lui-même, réouvre des portes, fouille dans l’antichambre de son cerveau et commence à régler ses comptes. C’est comme une renaissance sur 256 pages de BD. De bande dessinée ? Pas seulement. L’originalité de l’ouvrage tient aussi à ces intermèdes qui ponctuent l’histoire : documents administratifs, actes officiels, photographies, poèmes, cartes, articles – notamment le très intéressant « Nous sommes ce dont nous nous souvenons » –  et un rapport psychiatrique… qui ne manque pas de sel !

Bref, « Ardalén »  est un livre exceptionnel et une très belle méditation sur la mémoire enluminée par un Prado qui peaufine, portraiture, joue de ses craies grasses et de ses « traits de craie »… en virtuose… comme un poisson dans l’eau !

Alors, bons voyages à la Havane, en Galice et dans les terres « mémorables » des souvenirs perdus… Peut-être.

Et bon vent !

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).

http://bdzoom.com/author/didierqg/

« Ardalén – Vent de mémoires » par Miguelanxo Prado

Éditions Casterman (24 €) – ISBN : 978-2-203-02976-7

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