COMIC BOOK HEBDO n°92 (10/10/2009)

Cette semaine, 30 JOURS DE NUIT tome 4 par le génial, le sublime, le grrrrrrrand Bill Sienkiewicz !

30 JOURS DE NUIT tome 4 : AU-DELÀ DE BARROW (éditions Delcourt, collection Contrebande).

Êtes-vous prêts à lire un article tout sauf objectif, écrit par un type qui perd tout sens commun lorsqu’il s’agit de l’artiste dont il est ici question ? Si oui, vous n’êtes pas raisonnables, mais ça tombe bien car cet artiste ne l’est pas non plus. Et tant pis pour ma réputation de critique intransigeant et intègre (qui a rigolé au fond de la salle ?). Oui, nous allons parler cette semaine de Bill Sienkiewicz. Le grand, le génial Bill Sienkiewicz. L’immense Bill Sienkiewicz. Aussi fou que talentueux, aussi inventif qu’inclassable. Un pur génie. Quoi, j’exagère ? Je vous avais prévenu. Et je n’exagère pas, d’abord. Lisez. Lisez et regardez. Lisez et regardez chacun des albums de Sienkiewicz. De sa biographie de Jimi Hendrix (monstrueusement belle, si fantastique qu’on a l’impression d’écouter la musique d’Hendrix en regardant les images et les couleurs) à son chef-d’œuvre absolu qu’est le démentiel Stray Toasters, ses visions incroyables de Daredevil et d’Elektra en compagnie de Frank Miller, sans parler de son adaptation de Moby Dick qu’il serait temps qu’un éditeur français se décide à publier un jour, nom de #&@%*!!! Je n’ai pas envie de vous présenter à nouveau Bill Sienkiewicz aujourd’hui. Allez plutôt chez votre libraire préféré et ouvrez l’un de ses albums. N’importe lequel. Et regardez. La claque. Et commencez à lire. La reclaque. Car chez Sienkiewicz il n’y a pas que le génie des images, il y a aussi le génie des mots, de la narration, de la mise en pages, l’invention à chaque page, à chaque image. Passant de l’encre à la peinture en passant par le collage, parfois hyperréaliste, parfois grotesque, parfois comique, parfois dramatique, souvent exubérant, toujours fascinant. Un vrai. Un grand. Un sublime artiste. Un grand auteur. Voilà déjà un certain nombre d’années que l’homme hante le monde des comics, trois décennies pour être exact… Son traité graphique si particulier, loin des dessins lisses de mise à l’époque, avaient presque fait scandale chez certains lecteurs qui se demandaient bien ce qu’ils avaient sous les yeux… Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, et Bill a même fait école, jusqu’à des David Mack qui – disons-le clairement – ont carrément pompé le maître sans vergogne, sans autre talent que celui de la copie sans âme. Bah oui, que les fans de Mack m’excusent, mais celui-là n’a vraiment rien inventé, et ceux qui s’extasient devant ses dessins devraient se réveiller un peu (un jour, un libraire très spécialisé et fan de Mack a même essayé de me soutenir que c’était Mack qui était génial, pensant que Sienkiewicz n’était qu’un de ses contemporains!!!!!!!!). À la limite du plagiat, oui, le Mack. Le souffle de la folie en moins. Mais je ne devais pas vous parler plutôt de 30 Jours de nuit ? Ah, si… Mais, à ma décharge, et outre l’envie irrépressible d’écrire sur Bill, il y a le fait qu’il est bien difficile de parler de cet album sans en dévoiler la nature et l’intrigue qui doivent restées secrètes afin de préserver tout le sel de sa lecture. So…

Ceux qui suivent le travail de Sienkiewicz depuis le début des années 80 peuvent se poser la question de comment peut évoluer l’art si absolu d’un tel auteur, semblant avoir déjà tout défriché dès le départ et ne pouvant plus que réitérer ses inventions, comme un système. Oui, on se demande bien comment un tel artiste peut évoluer réellement… Après quelques périodes de doutes – où néanmoins on ne pouvait qu’être bluffés par tant de maestria et de folie – il faut bien se rendre à l’évidence : oui, Sienkiewicz évolue. Et bien. Certains pourraient être déçus par ce qui pourrait apparaître comme étant une sorte de « relâchement ». Mais il n’en est rien. Ce serait plutôt un apprentissage de la liberté, de la souplesse, d’une certaine désincarceration d’un travail d’orfèvre dans la forme si ciselée. Oui, le style de Sienkiewicz s’est de plus en plus libéré avec le temps, moins formel dans ce qu’il avait de plus précieux, moins ornemental, plus en adéquation avec une force brute, une puissance intrinsèque à son intention. Et c’est tant mieux. Si vous trouvez qu’il dessine « moins bien », que ce n’est plus le Sienkiewicz d’avant, alors tant mieux. Il s’est enfin débarrassé d’un savoir faire qui aurait pu le figer à jamais dans une identité graphique aussi belle que désespérément attendue. Et Sienkiewicz continue de nous surprendre. Oh le joli pied de nez! Il en va ainsi dans cet album. Rarement l’artiste aura lâché prise avec certains de ses magnifiques tics, jamais il n’aura quitté ainsi le dessin pour la peinture brute, abstraite, franche et vive, sans fioritures. Et en y réfléchissant bien, on se dit que le contexte de la série 30 Jours de nuit, c’est-à-dire une ambiance horrifique se perdant dans la nuit et les tempêtes de neige, n’aura été aussi propice au style de l’artiste, propre à le laisser délirer dans les abstractions et les fulgurances graphiques non identifiées. C’est superbe. La nuit. La neige. Le sang. La fulgurance. L’apparition. La célérité et le néant. Autant de taches, de contrastes, de couleurs et d’inconnu qui permettent à Bill de se lâcher complètement, dans des outrances, des raccourcis, des interprétations graphiques hallucinantes et hypnotiques. Lorsque la chair et la neige, la peur et la nuit, les cris et le silence se chevauchent en une même case, une même scène, ou bien se succédant dans des actions où l’on ne comprend pas bien ce qui vient de se passer, la touche du maître excelle et transcende, nous suçant le cerveau en nous laissant aussi terrorisé que les personnages. Du grand art. Et le récit de Steve Niles y est pour beaucoup, reprenant sa mythologie de base pour l’offrir à Sienkiewicz en connaissance de cause. Il y a fort à parier, en effet, que Niles ait écrit ce scénario en pensant à ce que pourrait en faire Sienkiewicz, appuyant l’humour et la frayeur dans des chauds et froids saisissants. Après un premier tome absolument génial, illustré avec brio par le très talentueux Ben Templesmith, il faut avouer que les deux opus suivants sentaient un peu le réchauffé, que Niles n’avait pas réussi à trouver une suite qui ne soit pas qu’une suite. Avec ce quatrième volume – qui reprend le contexte tout en l’ouvrant à de nouvelles possibilités –, Niles réinvente son propre postulat de départ pour le pousser plus loin, lui donnant des ramifications antérieures qui étoffent le thème sans le dénaturer. Ce degré autre est très intéressant, et empêche la série de se mordre la queue. Qui d’autre que Sienkiewicz aurait pu mettre en images cette idée avec assez de force pour la tirer ainsi par le haut ? Désormais, 30 Jours de nuit se découvre un nouveau visage, et peut prendre un essor qui ne soit pas superficiel. Car, sachez-le si vous décidez d’aller passer quelques jours en Alaska, et plus précisément à Barrow, il n’y a pas que les vampires qui profitent de la longue nuit polaire pour avoir tout le temps de croquer de l’humain dans un grand massacre festif, qui soient dangereux. Eux-mêmes ne font pas le poids par rapport à… Mais chut ! Si vous croyiez que l’horreur ultime était là, vous étiez loin du compte… Après cette histoire remarquable et de belles pages de croquis, de recherches et de projets de planches, vous pourrez lire deux courts récits assez décalés qui explorent l’univers mis en place avec pas mal d’humour… noir, dessinés à nouveau par le sublime Ben Templesmith. En conclusion, je ne saurai assez vous recommander de lire cet album superbe qui vous fera dresser les cheveux sur la tête sans pour autant vous faire perdre le sourire. Alors, qu’attendez-vous ? Une morsure dans le cou ?

Cecil McKINLEY

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