Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Le Petit Prince » T14 (« La Planète de Grand Bouffon ») par Audrey Bussi, Didier Poli, Élyum Studio, Clotilde Bruneau et Clara Karunakara-Chardavoine
Il est des créateurs qui ne souhaitent pas qu’après leur mort, leur œuvre soit prolongée par d’autres. Il en est au contraire qui, de leur vivant, préparent l’après, passent la main et forment ceux qui lui succèderont. Il y en a enfin qui ne disent rien parce qu’ils disparaissent trop tôt ou dans des circonstances tragiques.
Saint-Exupéry est de ceux-là lorsque son avion disparaît en 1944 en Méditerranée dans des circonstances encore non élucidées. S’il laisse derrière lui une œuvre majeure et un texte particulièrement important, « Le Petit Prince », en revanche il n’a pas écrit de testament.
Saint-Ex, le postier volant, le poète du désert, ne se doutait pas alors que son Petit Prince deviendrait l’un des livres le plus lu, le plus traduit, le plus adapté et le plus aimé de la littérature mondiale. Il publie ce texte à New York en 1943, en anglais et en français, et ce n’est que deux ans après sa mort, en 1946, que Gallimard l’édite en France.
Tout le monde connaît ce bref dialogue entre le narrateur, un aviateur immobilisé dans le désert du Sahara, et un « petit bonhomme » surgi de nulle part, ce Petit Prince tombé de l’astéroïde B612 :
« – S’il vous plaît… dessine-moi un mouton !
– Hein !
– Dessine-moi un mouton … »
Ou cet autre-là , lorsque le Petit Prince rencontre le renard avisé qui lui dit :
« Bien sûr, dit le renard. Tu n’es encore pour moi qu’un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n’ai pas besoin de toi. Et tu n’as pas besoin de moi non plus. Je ne
suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde … »
Le Petit Prince, l’enfant solitaire et souvent mélancolique, porte sur le monde des adultes et regard étonné. Il ne comprend pas l’absurdité qui le régit. Les mots de Saint-Ex, tout au long du récit, simples et dépouillés, touchent pourtant chaque lecteur au plus profond de lui-même et l’emportent vers des territoires intimes qu’il reconnaît comme siens. Et cela « Le Petit Prince » a une valeur universelle et intemporelle.
Depuis sept décennies, l’œuvre a fait du chemin, sans son créateur qui s’est arrêté en route.
Des comédiens célèbres ont enregistré le texte ; « Le Petit prince » a été chanté dans des opéras et des comédies musicales ; Joan Sfar l’a adapté en bande dessinée en 2008 (Gallimard) et le livre a continué à se vendre à des millions d’exemplaires à travers le monde.
Puis, récemment, les ayant droits de Saint-Exupéry ont souhaité faire vivre au Petit Prince de nouvelles aventures.
Cela commence avec une série d’animation française de 24 aventures divisées en 52 épisodes de 26 minutes, produite par Method Animation entre 2010 et 2013 et diffusée sur plusieurs chaînes.
Cela continue à présent avec une série de bande dessinée -24 albums sont prévus au total-  dérivés de la série animée et publiés chez Glénat depuis septembre 2011.
Pour ce faire, une équipe de scénaristes, de dessinateurs et de coloristes s’est mobilisée sous la direction artistique de Didier Poli et du scénariste Guillaume Dorison. Cela permet une parution rapide des albums (14 déjà depuis septembre 2011).
La trame générale de la série, invitation au voyage, est simple : le Petit Prince doit empêcher le mal de se répandre dans la galaxie et sauver les étoiles qui se meurent après le passage du Serpent. Commence pour le héros et son compagnon, Renard, un très long voyage qui les éloignent de leur astéroïde et de la Rose, si chère au cœur du garçon,  au cours duquel ils visiteront 24 planètes aux univers différents, régis par des lois loufoques, poétiques ou absurdes.
Chaque album est dédié à l’une de ces 24 planètes et raconte comment Le Petit Prince et Renard parviennent à repousser le Serpent et les Idées Noires, ces entités maléfiques nées de la morsure du Serpent.
Avec « La Planète du Grand Bouffon », nos héros débarquent dans un monde dédié au théâtre et au rire. D’ailleurs, l’entrée en lice du Petit Prince est une entrée de théâtre puisqu’il apparaît en tirant un grand rideau rouge avant de partir à la découverte de ce nouveau monde.
Le Grand Bouffon, personnage débonnaire et pacifique, a érigé la comédie en principe de gouvernement. Si ses sujets rient, le monde va bien. Mais le Grand Bouffon est atteint d’une déprime sévère qui le plonge dans une sorte d’hébétude inquiétante. La place est donc libre pour Escroquin, son premier ministre, qui ne voit que par la tragédie et qui interdit au peuple de rire en emprisonnant arbitrairement les rebelles et les rigolos. L’heure est donc grave sur cette planète sinistrée. Aidés par le comédien Muche-Muche et la princesse Tulipe, le Petit Prince et Renard –qui décidément se sent une âme d’artiste, vont, encore une fois, remettre les choses à leur juste place et chasser ce serpent qui siffle sur leurs têtes …
Cette quatorzième « nouvelle » aventure se lit agréablement. Les décors souvent spectaculaires, sont soignés ;  l’univers mis en scène ici,  chatoyant et fantaisiste, est riche d’arlequins, de comédiens et troubadours, inspirés de la Commedia del Arte, aux costumes colorés. Le récit devrait plaire au jeune public auquel il est destiné. Cependant, ce nouveau Petit Prince, qui sort son épée quand les temps sont bien sombres, reste fade et bien éloigné de l’original qui est plus porté sur la réflexion que sur l’action. Il lui manque ce petit supplément d’âme qui a fait du petit garçon qui voulait un mouton l’un des plus beaux personnages de la littérature.
Les albums déjà publiés depuis septembre 2011 :
Tome 1 : « La Planète des Éoliens » – Tome 2 : « La Planète de l’Oiseau de feu » – Tome 3 : « La Planète de la musique » – Tome 4 : « La Planète de Jade » – Tome 5 : « La Planète de l’Astronome » – Tome 6 : « La Planète des Globus » – Tome 7 : « La Planète des Amicopes » – Tome 8 : « La Planète des Caropodes » – Tome 9 : « La Planète des Géants » – Tome 10 : » La Planète des Wagonautes » – Tome 11 : « La Planète des Libris » – Tome 12 : « La Planète des Ludokaa » – Tome 13 : « La Planète des Lacrimavoras ».
Ā paraître en mai prochain, le tome 15 : « La Planète du Gargand ».
Parallèlement à la série de bande dessinée que publie Glénat, les éditions Gallimard jeunesse ont confié à Fabrice Colin, l’écrivain aux multiples facettes,  l’adaptation romancée des nouvelles aventures du Petit Prince. Elles sont publiées dans la collection Folio Cadet, illustrées par des images extraites de la série télévisée et s’adressent aux enfants de 8 à 10 ans. Treize volumes sont disponibles, dont le tome 13 qui vient tout juste de sortir : « La Planète de Coppélius ».
Catherine GENTILE
« Le Petit Prince » T14 (« La Planète de Grand Bouffon ») par Audrey Bussi, Didier Poli, Élyum Studio, Clotilde Bruneau et Clara Karunakara-Chardavoine
Éditions Glénat (11,50 €) – ISBN 978 2 7234 9417 5