« DMZ » T5 (« La Guerre cachée ») et T6 (« Un jeu sanglant ») par Riccardo Burchielli, Danijel Zezelj, Nathan Fox et Brian Wood

Autant vous le dire tout de suite, contrairement à d’autres séries dont je ne critiquerai que les meilleurs volumes, je chroniquerai chaque tome de « DMZ » jusqu’au dernier, tant cette Å“uvre est pour moi l’une des plus brillantes et courageuses qui soient. Une subjectivité pas trop scandaleuse quand je vois combien elle est rejointe par de nombreuses objectivités de part et d’autre de l’Atlantique, décrivant ce comic comme un chef-d’œuvre unique…

« DMZ » T5 (« La Guerre cachée ») par Riccardo Burchielli, Danijel Zezelj, Nathan Fox et Brian Wood

« La Guerre cachée ». Ce titre exprime à lui seul l’esprit de la série et l’intention de l’auteur, à savoir non pas une bande dessinée politique et guerrière de plus, mais bien une Å“uvre qui – au-delà du postulat culotté et génial de Wood – se penche sur l’humanité et ses dysfonctionnements comme peu d’autres comics l’ont fait jusqu’à présent. La guerre cachée ? Oui, car s’il est bien question ici de politique, de guerre, de médias et de magouilles meurtrières, il y a aussi, bien sûr, toujours au centre de l’œuvre, le peuple qui vit et subit la guerre au sein de sa ville défigurée. D’autres guerres dans la guerre. Des êtres vivants coincés sous les bombes, subissant ce qui vient « d’en haut ». Mais aussi des tractations entre puissants. Je l’ai déjà dit et redit ici, mais « DMZ » est un incroyable miroir de notre société actuelle, de la politique américaine bushiste de ce début de 21ème siècle, ne se perdant pas dans les allégories et la violence gratuite mais s’attardant avec crudité sur le quotidien de personnes vivant en état de siège, dans une insécurité constante où tout semble pouvoir déraper… dramatiquement. Au-delà de la force du propos, c’est bien l’acuité avec laquelle Wood dépeint ce quotidien – et comment il triture les dysfonctionnements à peine cachés de nos politiques actuelles – qui rend cette Å“uvre unique en son genre. Il y a là de quoi nous troubler profondément. Ce volume 5 de « DMZ » est une sorte de pause dans l’action en cours, nous proposant six épisodes qui dressent le portrait de six personnages de la série : Decade Later, Amina, Wilson, Kelly, Random Fire et Soames.

 

Ces épisodes ne sont pas dessinés que par Riccardo Burchielli, puisque celui consacré à Random Fire a été réalisé par Nathan Fox, et celui de Wilson par l’excellentissime Danijel Zezelj. Même si l’on adore Burchielli, on ne peut qu’admirer le travail fourni par ces deux artistes au sein de la série, insufflant une autre force graphique, nous proposant d’autres facettes visuelles de l’histoire, sans jamais tricher ; belle complémentarité avec le dessinateur régulier. Chaque épisode se penche sur le destin de chacun de ces personnages, revenant parfois sur leur passé ou bien dévoilant des faits « annexes » qui complètent ce que nous savions d’eux. Selon la personnalité de chacun, le récit se fait plus ou moins intime, violent, désespéré, ou au contraire lumineux (si l’on peut utiliser ce terme en pareilles circonstances, le vécu dans la DMZ étant si souvent traversé par la mort, et les espoirs déchirés par la guerre civile). Ainsi, l’épisode consacré à Amina est particulièrement touchant, bouleversant, Wood exprimant là le destin d’une personne trop embourbée dans la misère pour réussir à faire des choix qui ne l’entraînent pas toujours plus bas… À l’opposé, l’histoire de Decade Later, l’artiste urbain qui envisage le tag comme une arme artistique contre la guerre, démontre combien certains arrivent malgré l’horreur à distiller un message, un espoir, un symbole pour que les autres aient encore le courage d’avancer et de se battre contre l’ignominie. Brian Wood sait véritablement rendre les situations et les caractères crédibles, faisant alors vibrer des choses très profondes en chacun de nous. On ne peut rester insensible face à ces destinées terriblement humaines et difficiles, et ne pas en tirer une révolte légitime et humaniste…

« DMZ » T6 (« Un jeu sanglant ») par Riccardo Burchielli et Brian Wood

Ce 6ème volume est particulièrement intéressant (comme chaque volume, mais bon !), car il se penche sur un aspect fondamental : celui d’une reconstruction et d’une sortie de guerre par des négociations et un cessez-le-feu censés déboucher sur des élections et la constitution d’un gouvernement provisoire pour Manhattan. Les deux camps principaux (États-Unis d’Amérique et États Libres) croient qu’ils vont pouvoir batailler seuls, mais c’était sans compter le peuple et des voix qui émergent, comme celle d’un certain Parco Delgado. Un homme charismatique à la réputation trouble, mais appuyé par une population en majorité plus encline à voter pour lui – qui vit et connaît la DMZ – plutôt que pour des sbires qui y sont pour beaucoup dans la tragédie qu’ils subissent. La situation est donc bien plus complexe que certains le voudraient, et notre cher Matty Roth, en soutenant Delgado, se retrouve coincé entre Liberty News (son employeur, média lié au gouvernement), son père, les représentants des États Libres, et même… sa mère ! Mais le vrai drame, c’est la violence qui déferle pour rendre ces élections caduques, et beaucoup mourront sous les balles et les coups en allant mettre leur « petit bulletin dans l’urne ». Mourir pour ses idées ? Un prix cher à payer, mais une réalité que certains démagos voudraient nous faire croire fantasmatique et éculée, ne voulant pas se faire prendre en otage par une réalité qui leur exploserait à la gueule. Mais encore aujourd’hui, ce n’est pas un cliché ; des femmes et des hommes se font déchiqueter par les armes en tentant d’aller voter… Il serait bon d’y penser, parfois, certains dimanches en France… Wood et Burchielli sont là pour le rappeler à quiconque veut bien l’entendre.

 

C’est toujours aussi passionnant, toujours aussi bien écrit, le rythme est soutenu par un découpage dynamique et inventif. Les idées exprimées sont intéressantes et engendrent une vraie réflexion, articulant des paramètres incontournables pour bien comprendre ce qu’implique un conflit armé vécu de l’intérieur. On sent que Brian Wood a beaucoup de choses à dire, et il prend le temps de faire évoluer son propos dans des facettes successives qui constituent petit à petit un visage tout en nuances mais sans concessions de son sujet. Un sujet casse-gueule. Ça fait mal. Et puis cette histoire d’élections, de « normalisation » de la situation, de cessez-le-feu, donne à Wood l’occasion d’approfondir encore son propos en le rendant toujours plus crédible. Le dessin de Burchielli, quant à lui, est de plus en plus souple et vigoureux, donnant une réelle identité à la série. « DMZ » est décidément l’un des comics les plus intelligents et passionnants de ces dernières années. Une métaphore, une réflexion, un regard sans équivoque sur les rouages de notre monde contemporain et de ses violences aussi absurdes que concrètes. L’histoire politique récente des USA n’a pas fini de faire couler de l’encre, plus qu’elle n’a fait couler de sang, espérons-le. On attend donc les prochains volumes avec impatience, cela va sans dire…

 

Cecil McKINLEY

« DMZ » T5 (« La Guerre cachée ») par Riccardo Burchielli, Danijel Zezelj, Nathan Fox et Brian Wood Éditions Urban Comics (15,00€) – ISBN : 978-2-3657-7183-2

« DMZ » T6 (« Un jeu sanglant ») par Riccardo Burchielli et Brian Wood Éditions Urban Comics (15,00€) – ISBN : 978-2-3657-7221-1

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