Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...COMIC BOOK HEBDO n°77 (13/06/2009)
Cette semaine : TRANSMETROPOLITAN est de retour !!!
TRANSMETROPOLITAN vol.4 : ÉLOGE FUNÈBRE (Panini Comics, Vertigo Big Book)
Tremblez, tremblez engeances despotiques de toutes sortes : Spider Jerusalem est de retour ! Quatrième volume de l’édition intégrale de cette série iconoclaste et géniale, reprenant les épisodes 37 à 45 (gasp ! plus que 15 épisodes et Spider ne sera « plus » qu’une relecture !). Rétrospectivement, on peut dire sans sourciller qu’après un premier volume complètement déjantée en forme d’ouverture provocante et jouissive, après un deuxième volume plus sage, la suite de Transmetropolitan n’a fait que gagner en profondeur, en révolte, en intelligence, en talent, tout simplement… Les thèmes abordés sont toujours aussi épineux et tabous, et l’envie de justice encore debout, afin de dénoncer les tueries politiques, la prostitution enfantine, l’éducation à la dérive, les combines et les meurtres, la lobotomisation télévisuelle et le mensonge médiatique, les valeurs primordiales qui foutent le camp à tout va. Oui, voilà vraiment une série qui fait mouche et tache et crunch dans le paysage éditorial, même six ans après la publication de son dernier numéro, restant malheureusement d’actualité quant à ce qu’elle stigmatise. On le sait – et c’est notoire – que Warren Ellis fait partie des successeurs de la vague britannique des années 80 (avec Grant Morrison et Garth Ennis, pour ne citer qu’eux) qui ont apporté un souffle, une critique et une audace aussi culottée qu’ancrée dans la réalité de nos dysfonctionnements humains modernes ; une bande d’auteurs embringués jouissivement dans la renaissance trash, sociale et culturelle des années 90 en Grande-Bretagne (rappelez-vous notamment le plus connu mais qui cache la forêt : Trainspotting… tiens tiens, Trainspotting, Transmetropolitan, tout ça sonne comme du chômage sous acide avec beaucoup de techno). Oui, Transmetropolitan fait vraiment partie de ces Å“uvres anglaises, irlandaises et écossaises qui ont ouvert leur gueule et craché leur rage de vivre désespérée et désorientée au sein de ce monde de plus en plus technologique, de plus en plus désincarné, en pleine déroute et sans respect, comme un rappel punk d’Orwell et d’Huxley. On met son couteau sur la table et on regarde la m… droit dans les yeux. Et on écrit, et on hurle dans le micro, et on filme, et on écrit, on écrit, on écrit, et on dessine, aussi. Oui, c’est Warren Ellis qui écrit et Darick Robertson qui dessine. Eh quoi, ça vous pose un problème ? J’espère bien, car sinon il faut changer de crèmerie, et retourner à des lectures moins corrosives. Ici, « sordide » peut être un adjectif normale, pour une assistante. Trois yeux pour un chat aussi. Et ça jure, et ça dit, et ça perce l’abcès de notre quotidien gangrené par l’injustice au pouvoir. Houla, faut que je me calme, moi, je vais avoir des problèmes… Et pourtant, comment parler d’un lion en écrivant sur un chaton ? Par souci de la vérité que défend Spider Jerusalem, chers lecteurs, je resterai intègre et ne faiblirai pas en syllabe, car nous devons passer du monde-vérité au monde-réalité, voilà ce que nous dit Ellis, voilà ce que nous raconte Transmetropolitan, voilà ce que nous offre ce magnifique album. On m’a souvent dit qu’il fallait que j’arrête de lire Nietzsche parce que c’est dangereux. Alors je vous le dis à mon tour, croyez-moi, je vous dis de me croire, mes bien chers frères, mes bien chères sÅ“urs, ne lisez surtout pas Transmetropolitan, c’est crès crès dangereux, n’ouvrez surtout pas les yeux, et continuons tous à subir le sourire l’inacceptable le sourire aux lèvres (houla, faut vraiment que j’arrête, moi, sinon je vais vraiment avoir des problèmes !). Vous savez, je ne peux m’empêcher de penser à Warren, aujourd’hui, là , maintenant, en train de penser à Transmetropolitan. À ce qu’il a mis dedans. À ce cri de révolte que tous ses lecteurs ont reçu sans que le monde change pour autant. À cette bouteille survitaminée lancée avec la force de la dernière rage dans cet océan de merde où tente de subsister une certaine dignité de la vie. Il ne peut que se dire que c’est un échec… Comme Rimbaud, comme Artaud, comme Thoreau et autres révoltés géniaux: ça n’a rien changé. Toujours les mêmes bombes, toujours les mêmes viols, toujours les mêmes meurtres et la même dictature molle du quotidien qui nivelle par le bas et le déplorable. Qui pourra gueuler assez fort si Spider Jerusalem ne le fait pas encore assez, jusqu’à se tuer lui-même pour que la vérité sorte… Qu’est-ce que vous croyez ? Bien sûr qu’Ellis a créé Transmetropolitan pour essayer de bousculer l’inertie des consciences. Bien sûr que Transmetropolitan remue ce qu’il y a de plus dégueulasse en l’être humain et nous met cette médiocrité fascisante en face de nos responsabilités. Bien sûr qu’Ellis est un punk. Bien sûr qu’il dégueule sur ce qui heurte et blesse. Bien sûr qu’il est un enfant blessé par le déluge d’infamie qui nous sert de quotidien. Transmetropolitan est une Å“uvre dérangeante et nécessaire, outrageante et provocatrice, exubérante et cynique, politiquement incorrecte et décadente, rebelle et violente, humaine et pleine d’amour. Eh bien non, finalement, je ne vous aurais pas parlé de l’album et je n’ai même pas fait de paragraphes pour aérer mon texte, j’ai le syndrome Spider Jerusalem, et j’écris au cÅ“ur de la ville, sans m’arrêter, en une logorrhée épileptique et salvatrice, vous parlant à tous sans vous connaître et vous connaissant mieux que vous-mêmes, nous parlant à nous-mêmes de ce que nous savons mais qui ne trouvent jamais de mots assez imprimés pour qu’ils percent définitivement notre cécité, de manière effective et concrète. Lisez Transmetropolitan. C’est dangereux. Mais pas pour ceux qu’on croit.
Cecil McKINLEY