Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Billy Brouillard » T3 (« Le Chant des sirènes ») par Guillaume Bianco
Si Tim Burton avait fait de la bande dessinée, peut-être aurait-il créé Billy Brouillard.
Si Guillaume Bianco avait fait du cinéma, peut-être aurait-il réalisé « Les Noces funèbres » ou « Frankenweenie » …
Toujours est-il que, lorsque l’on ouvre un album de « Billy Brouillard », l’on ne peut s’empêcher de rapprocher ces deux artistes qui, dans un domaine artistique différent, sont deux créateurs géniaux. Ils savent d’emblée happer les lecteurs et les emmener dans un monde fantasmagorique extraordinaire, où les êtres savent garder en eux leur part d’enfance.
Billy Brouillard, que l’on a découvert en 2008 dans un premier album, « Le Don de trouble vue », est un jeune garçon différent, plus à son aise la nuit que le jour, préférant la pluie au soleil, et qui possède l’étrange capacité de voir les fantômes et autres êtres mystérieux lorsqu’il enlève ses lunettes.
« Je m’appelle Billy Brouillard.
J’aime la solitude et la nuit, la pluie et la mélancolie.
Mais la mort me fait peur. »
Par contre, lorsque Billy porte les dites lunettes, il est –presque- un garçon comme les autres, adorant faire enrager sa sœur Jeanne, capable de vivre dans le présent sans se soucier du lendemain. Mais Billy porte en lui une intime conviction : jamais il ne grandira, jamais il ne se transformera « en ces monstres que l’on nomme adultes » !
Dans cette troisième aventure, « Le Chant des sirènes », Billy semble plein de – bonnes ?- résolutions. Il a compris entre temps que l’on ne pouvait pas faite revenir un chat d’entre les morts et que le Père Noël n’existait pas. Il a décidé de ne plus enlever ses lunettes et s’apprête à subir l’été et la chaleur qui va avec. Cet été, pourtant, sera un moment singulier. C’est ce qu’il nous raconte dans son journal intime, le soir à la chandelle, coiffé de son bonnet de nuit.
Billy passe ses vacances chez Mémé Sardine avec sa sœur Jeanne. Alors qu’il ramasse tranquillement quelques crabes amorphes au fond d’une mare, il est apostrophé par une fille qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui lui ordonne de laisser les crabes tranquilles. C’est Prune, qui déclare tout de go à Billy qu’elle est une sirène veillant sur ses sujets marins.
Cette première rencontre explosive laisse Billy perplexe. Pour lui, les filles, « c’est vraiment une espèce bizarre ». Mais Billy retrouve Prune chaque jour et tombe sous son charme, même si la sirène l’appelle « pattes de singe ». Ils jouent ensemble, interrogent la statue de la vérité, échappent de peu à l’assaut d’un Cerbère, explorent la Bouche du Diable, se disputent, font du camping, échangent leur premier baiser.  Malgré cette félicité estivale, Billy ne peut s’empêcher d’éprouver un sombre pressentiment. Mais il prêt à descendre jusqu’en enfer pour sauver sa sirène et affronter les sombres abysses …
Guillaume Bianco nous propose, une fois de plus, une belle réflexion sur l’enfance et sur ce moment délicat où l’on se sent différent, où l’on va basculer vers autre chose. C’est ce que vit Billy, qui est ici face à quelque chose de plus mystérieux que tous les fantômes qu’il a côtoyés, l’amour. Bianco signe un troisième album d’une grande richesse graphique en utilisant plusieurs formes de récits.
La trame principale est entrecoupée de pages de journaux composés à l’ancienne, extraites de  La Gazette du Bizarre. Ces pages, signées Harry Price, nous informent sur les nymphes des eaux ou sur les monstres des abysses. D’autres planches, qui semblent sorties tout droit d’un cabinet de curiosité, nous éclairent sur les phyltres et sortilèges de la magie amoureuse, la chiromancie ou … les filles. La narration en bande dessinée s’efface parfois pour se poursuivre sous la forme de textes illustrés. Le noir profond succède au blanc, dans des ambiances plus oniriques. Enfin, Bianco convoque les poètes qui disent l’amour, la mer et les enfers.
Notre Billy Brouillard, malgré ses fermes résolutions, va refermer son journal, car le temps des vacances, de l’insouciance et de l’enfance se termine. Est-ce une bonne nouvelle ? Pas sûr … Et nous, lecteurs, fermons aussi cet album avec, au cœur, une pointe de tristesse que cela soit fini.
Catherine GENTILE
« Billy Brouillard » T3 (« Le Chant des sirènes ») par Guillaume Bianco
Éditions Soleil (22,95 €) – ISBN 978 2 302 02450 2
 À découvrir ou à relire :
Tome 1 : « Le Don de trouble vue », 2008
Tome 2 : « Le Petit garçon qui ne croyait plus au Père Noël», 2010