Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...Spécial Gaiman/McKean Au Diable Vauvert : « Mes cheveux fous » et « Signal/Bruit »
Les éditions Au Diable Vauvert viennent de sortir « Mes cheveux fous », un album jeunesse qui vient joliment étoffer les genres abordés par Gaiman au sein de leur catalogue : après les romans et les comics, voici donc un conte illustré par Dave McKean pour petits et grands enfants… Et si vous aviez loupé ce chef-d’œuvre, nous reviendrons ensuite sur le dernier comic de Gaiman et McKean édité par le Diable : « Signal/Bruit ».
Gaiman/McKean : un duo devenu légendaire, comme une évidence face aux merveilles que les deux compères ont enfanté jusqu’à présent. Une collaboration de longue date non systématique mais qualitative ; histoire de respiration, de sincérité, d’amitié. Les deux hommes ont comme point commun un goût immodéré pour l’exploration de différents mediums artistiques outre la bande dessinée : le scénariste de comics écrit des romans, crée des espaces sonores où il lit ses textes, et lorgne de temps en temps vers le cinéma, tandis que le dessinateur de comics aime revenir à l’art premier du dessin, se scénarise parfois, et s’est déjà essayé à l’art de la mise en scène pour le grand écran. Pas étonnant, donc, de les retrouver dans le domaine du livre illustré pour enfants, un territoire qui sied à ravir à leur nature poétique et onirique. Tous les six ans, Gaiman et McKean signent un album jeunesse, cycle du hasard et des envies : « Le Jour où j’ai échangé mon père contre deux poissons rouges » en 1997, « Des loups dans les murs » en 2003, et « Mes cheveux fous » en 2009. Dans les deux premiers albums, Gaiman et McKean ont tenté de s’extirper de la narration de la bande dessinée sans en sortir réellement, les grandes illustrations étant parfois relayées par quelques séquences où les cases se remettaient en place, créant un espace hybride où textes et bulles cohabitent au sein d’images changeantes. Une réelle évolution se fait met en place, d’album en album : dans le premier, les bulles sont encore présentes ; dans le deuxième, les phylactères disparaissent pour ne laisser apparaître que leur contenu, textes bruts accolés aux protagonistes ; dans ce troisième album, Gaiman et McKean se détachent encore plus de la bande dessinée pour nous offrir un beau livre illustré, aussi classique qu’original. Certes, quelques semblants de phylactères subsistent çà et là, et une double page revient à une logique de cases, mais l’effet comics y est estompé avec plus de force qu’auparavant. On sent une volonté d’installer avant tout un bel espace où textes et images se répondent sur le fond comme sur la forme.
Les amateurs de Gaiman et McKean retrouveront ici tout ce qu’ils aiment de leur univers : esprit ambivalent de l’un et magnificence des images de l’autre en premier lieu. Le sujet choisi par Gaiman pour écrire ce conte est somme toute assez classique : un univers fantasmatique se niche dans la chevelure du « héros ». La jeune Bonnie va découvrir ce monde caché et merveilleux, dans un petit inventaire qui rappelle les contes que Mervyn Peake dessinait pour ses enfants : pirates, explorateurs, perroquets et fauves se succèdent, sorte d’île au trésor nuancée par quelques manèges et autres danseurs… Et si Bonnie commençait à peigner la chevelure de Monsieur, que se passerait-il ? Le syndrome Alice n’est pas loin, Gaiman étant toujours obsédé par l’idée de « passages » entre les mondes. Il est touchant de constater à quel point Gaiman est resté très sage, dans son texte ; non pas qu’il ait perdu en malice et en invention, non, bien sûr, mais il s’est appliqué à coller au plus près de la logique de la comptine, avec sa ritournelle qui scande musicalement le récit de ses « cheveux fous ». Dave McKean, en orfèvre informatique, s’en est donné à cœur joie dans le fil rouge graphique que constitue la chevelure, structurant d’infinies mèches en chemins capillaires fantastiques. Textures et couleurs se mêlent dans des compositions foisonnantes ou aérées, dans un cheminement où l’étrange n’est jamais loin.
C’est agréable de penser que des enfants vont lire et découvrir cet univers esthétique assez décalé par rapport aux gentilles choses qu’on leur propose majoritairement. Bien sûr, de nombreux albums jeunesse dénotent du consensus par leur originalité et leur intelligence, mais de manière générale on en est toujours au beau et agréable à regarder, au gentil texte. Faut pas trop affoler les gamins. Gaiman et McKean les affolent, eux, mais avec le cœur, avec générosité, sans rien casser. McKean propose d’autres sensations où la beauté se fait plus anguleuse, étrange, dans des visuels suscitant l’ouverture aux différentes formes possibles du rêve et de l’art. Une perche subconsciente tendue aux enfants afin qu’ils puissent s’ouvrir au graphisme, à la sculpture, au collage… et à leur propre imaginaire. Si vous n’êtes plus un enfant, cet album vous parlera quand même, ne serait-ce que pour la beauté des images, comme celle – sublime – qui clôt l’histoire, avec une Bonnie enfouie dans la chevelure, arborant un sourire qui ferait fondre n’importe qui… Espérons que dans quelques semaines les parents éclairés offriront cet album à leurs enfants pour Noël, au lieu des habituels et immondes succès moches vendus au supermarché. Penchons vers le beau et l’intelligent.
En complément de cette chronique sur « Mes cheveux fous », je vous propose donc de revenir sur le dernier comic en date de Gaiman et McKean paru au Diable Vauvert : « Signal/Bruit ». Un chef-d’œuvre qui était resté inédit en France, qu’on attendait avec impatience… et une certaine résignation. J’ai déjà parlé ici même de ma déception par rapport aux grands éditeurs français qui n’ont jamais édité de Gaiman que les choses les plus évidentes, n’arrivant même pas dans ce contexte de la facilité à éditer « Sandman » intégralement (Urban Comics entreprend néanmoins de le faire, avec un premier volume qui paraît à la fin du mois, je vous en reparlerai, évidemment). Après avoir réédité « Violent Cases » il y a quelque temps (le premier album du duo Gaiman/McKean), Au Diable Vauvert a donc édité la version augmentée de cette œuvre si spéciale que j’avais découverte en VO en 1992 : depuis cette époque, je n’ai eu de cesse d’espérer qu’un jour un éditeur français oserait publier ce bijou, craignant que cela ne se fasse jamais à cause de la nature si particulière de ce comic. Pour moi, l’un des meilleurs jamais créés par le duo magique. « Signal/Bruit » est une œuvre complexe, noire, terrible, difficile et fascinante. Gaiman y est étonnamment sombre, exprimant une grande désillusion, et McKean y brille par ses inventions visuelles et narratives, nous offrant des images d’une immense puissance d’évocation. Une œuvre de contraste, mais aussi un laboratoire d’expérimentation graphique et sémantique. Passionnant.
Comme le dit Jonathan Carroll dans son introduction, « Signal/Bruit » est plus qu’un comic, plus qu’un roman graphique : c’est autre chose qui « gratte, provoque, effraie » et auquel il faudrait trouver un autre nom. C’est une expérience du sens et de la forme, du cheminement entre le signal et le bruit, la nature des choses et leur accomplissement… ou non. Nous sommes dans la bande dessinée, mais aussi dans le texte pur, dans la peinture, le signe, l’erratique et le surgissement. Il y a la narration de la bande dessinée qui constitue le fil du récit, bien sûr, mais « Signal/Bruit » c’est aussi des doubles pages purement graphiques, éthérées, macroscopiques, menant à d’autres espaces cognitifs par la présence de textes générés aléatoirement par ordinateur, sortes de poèmes issus d’une mémoire humaine sauvegardée informatiquement, cadavres exquis de notre pensée collective réorganisée par la probabilité, le hasard. Un chaos calculé. Gaiman et McKean nous obligent à plonger au plus profond de nous-mêmes, en territoire inconnu.
« Signal/Bruit », c’est l’histoire d’un réalisateur qui découvre qu’il a un cancer, et plus que quelques mois à vivre. Mais, alors qu’il se sait condamné, il ne peut s’empêcher d’écrire le script d’un film qu’il ne pourra pourtant pas tourner. À quoi bon créer quelque chose qu’on ne finalisera pas, qu’on ne pourra pas enfanter ? Les auteurs ne nous donnent pas de réponses, préférant suivre la psyché du personnage au plus près, de manière intimiste et directe. Doutes, silences, repères, création, abandon… Les facettes de nos vies sont à la fois présentes et absentes, comme enfouies mais constamment en résonnance avec le monde. Les signaux que nous donnons de notre nature toute personnelle et l’écho souvent inaudible qu’on en reçoit via le monde extérieur sont autant de paramètres que nous articulons mais qui nous échappent ; trop de bruit. « Signal/Bruit » est un essai de décryptage des choses qui assume l’impossibilité de déchiffrer et de définir ce qui nous meut intérieurement pour continuer à vivre, n’ayant pas la prétention d’expliquer mais plutôt d’explorer ce que nous ne sommes pas capables d’articuler dans nos vies, ainsi que nos tentatives vaines pour retrouver une position audible, intelligible. À travers les derniers mois de vie de ce réalisateur qui n’arrive pas à s’arrêter de créer malgré une échéance fatidique et proche, Gaiman nous incite à nous questionner de manière plus fondamentale en empruntant d’autres chemins que ceux attendus. Il y a une terrible noirceur dans son propos, son ton, son intention à la fois résignée et désespérément vivante. « Signal/Bruit » est un délire où le noyau de l’âme humaine est au centre de tout, dans un infini respect, une attention bienveillante qui n’exclut pas la cruauté de ce qui est. Bref, « Signal/Bruit » est une œuvre rare, forte, unique, complexe mais lumineuse malgré le thème de la fin du monde qui hante l’ouvrage en son entier. La fin du monde, ou d’un monde, celui qui n’appartient qu’à chacun ? Cette édition propose en plus de l’œuvre reconstituée par miracle (les films originaux ayant été perdus) des appendices et autres récits annexes à cette création qui parachèvent avec beauté ce comic conceptuel et atypique. Une expérience que je vous invite à tenter si vous n’avez pas peur d’une saine déstabilisation. Bravo, cher Diable Vauvert. Un acte éditorial courageux et incontestablement nécessaire.
Cecil McKINLEY
« Mes cheveux fous » par Dave McKean et Neil Gaiman Éditions Au Diable Vauvert (18,00€) – ISBN : 978-2-84626-388-7
« Signal/Bruit » par Dave McKean et Neil Gaiman Éditions Au Diable Vauvert (17,00€) – ISBN : 978-2-84626-389-4