Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Niourk » T1 (« L’Enfant noir ») par Olivier Vatine
Les éditions Ankama ont lancé en octobre dernier une nouvelle collection (Les Univers de Stefan Wul) qui, comme son nom l’indique, est consacrée à cet écrivain majeur de la science-fiction française. Elle est inaugurée avec le premier tome de « Niourk », signé Olivier Vatine, une histoire qui sera développée sur trois volumes, et avec « Oms en série », de Mike Hawthorne et Jean-David Morvan, récit prévu en deux tomes.
Dans la postface des deux premiers albums, l’écrivain Laurent Genefort, auteur de nombreux romans de SF, nous donne quelques précisions sur l’importance de Stefan Wul dans les littératures de l’imaginaire.
Sous ce pseudonyme, Pierre Pairault (1922 – 2003) a publié onze romans dans la mythique collection Anticipation du Fleuve Noir, qui ont été depuis maintes fois réédités. Les univers de ce romancier, à la fois baroques et poétiques, ont largement influencé réalisateurs de cinéma et dessinateurs de bande dessinée. Deux de ses romans sont devenus des films d’animation incontournables signés René Laloux. Il s’agit de « Oms en série », dessiné par Topor, qui devient « La Planète sauvage » et de « L’Orphelin de Perdide », mis en images par Moebius dans « Les Maîtres du temps ».
Laurent Genefort conclut sa présentation ainsi : « En BD, l’influence de Stefan Wul commence dans les années 1970 pour se poursuivre jusqu’à nos jours. Des « grands anciens » comme Moebius, Mézières ou Druillet aux plus récents, tous se réclament du maître. Druillet lui a emprunté quelques scènes, Mézières ses décors les plus flamboyants, Moebius la liberté d’invention ; tous lui ont rendu hommage, à un moment ou un autre. »
 Stefan Wul publie son deuxième roman, « Niourk », en 1957. Le texte, très accessible, a été réédité ensuite dans différentes collections adultes : Présence du futur, chez Denoël, Folio SF, chez Gallimard, et également dans des collections destinées à la jeunesse, comme Folio junior, chez Gallimard jeunesse.
Wul situe l’action de son roman sur une terre exsangue, ravagée par une catastrophe écologique majeure. Les océans ont disparu, laissant apparaître les fûts hautement radioactifs qui y avaient été déversés par des militaires cyniques cinq cents ans auparavant. Ces matières toxiques ont provoqué la mutation des espèces marines, notamment des fameux poulpes géants ainsi présentés : « Il voyait maintenant deux puis trois masses semblables avancer lentement vers la forêt. Bientôt, il distingua deux gros yeux jaunes et luminescents. […] Un poulpe s’était avancé dans l’eau, à mi-distance de la presqu’île. Mais son attaque était entravée par la vase où son poids le faisait enfoncer. Il ne pouvait ni nager dans l’eau maigre de l’étang, ni courir sur le fond trop visqueux. Il brandissait une javeline quand la lance de Thôz siffla et l’atteignit à l’œil. Le monstre se dressa de toute sa hauteur en soufflant une fumée noire qui se répandit en un instant sur tout l’étang, provoquant chez les hommes une toux violente. »
Les rares humains qui ont survécu vivent en petits clans primitifs dans un monde à la géographie modifiée. Au début du roman, on peut penser que celui-ci nous entraîne pendant la préhistoire. Dans la tribu de Thôz, le chef incontesté, les guerriers chasseurs dominent les autres membres du clan, les femmes et les enfants obéissent. Seul le sorcier, que tout le monde appelle le Vieux, Celui-qui-sait-tout- possède la connaissance des temps anciens et se rend régulièrement dans ce qu’il nomme la ville des Dieux, Santiag de Cuba.
Dans cette tribu, essaie de vivre un enfant noir de onze ou douze ans, considéré comme un intrus et un ennemi. Au retour du Vieux, il sera mis à mort. L’enfant ignore pourquoi. Mais le Vieux ne revient pas et l’enfant décide de partir à sa recherche.
C’est progressivement que l’on apprend, au fil des pérégrinations de l’enfant noir, ce que la terre a subi. En errant dans Santiag de Cuba, le garçon découvre les ruines de l’ancienne civilisation humaine, les vestiges d’un centre commercial et les messages publicitaires sous forme d’hologrammes qu’il prend pour des messages divins. Il trouve aussi une arme, « un bâton brillant dur », qui lui permet, sur le chemin du retour, de tuer un jaguar et de se sentir fort pour la première fois de sa courte vie. Il soigne aussi un ours et rencontre les poulpes géants qui menacent le clan.
Le premier tome de l’adaptation que nous propose Olivier Vatine s’arrête là .
L’adaptation de Vatine est intéressante, fidèle à l’esprit du roman de Wul, et réussie sur les plans graphique et narratif.
L’album s’ouvre sur un prologue, qui constitue la genèse du récit. L’on y voit des militaires exécutant des ordres sans état d’âme : « On discutera éthique scientifique et environnement une fois à terre. » Ils jettent à la mer des fûts toxiques, signant ainsi la mise à mort de la planète. Ce prologue ne figure pas dans le roman, mais son contenu nous est révélé au fur et à mesure des découvertes de l’enfant noir.
La richesse du roman permet ensuite à Vatine de dessiner toutes sortes d’univers, que ce soit celui de la tribu primitive, rude et aride ou celui de la ville en ruines, figé dans la neige, ou agité par quelques appareils qui fonctionnent encore et qui résonnent étrangement. Il ponctue son récit de vignettes pleine page saisissantes, marquant les étapes du premier voyage du héros. Il choisit enfin une narration à la première personne, qui permet aux lecteurs de suivre de manière très intime le cheminement de cet enfant luttant avec intelligence pour sa reconnaissance, et découvrant, peu à peu, les pans enfouis de l’histoire humaine.
Voici l’occasion rêvée, pour celles et ceux qui ne le connaissent pas encore, de découvrir, via la bande dessinée, cet excellent roman de Wul, dont Vatine montre bien toute la force, la richesse et l’intérêt. Et de lire le roman, en attendant la parution des deux prochains tomes.
Catherine GENTILE
« Niourk » T1 (« L’Enfant noir ») par Olivier Vatine
Éditions Ankama (13,90 €) – ISBN 978 2 35910 315 1