Aurélien Ducoudray et Bastien Quignon : à propos d’« El Paso »…

L’histoire commence dans un parloir de prison où Russell vient visiter Andy ; à partir de ce moment, Aurélien Ducoudray (scénario) et Bastien Quignon (dessins) nous raconte, tout en flash-back, la destination finale du périple d’Andy et Russell : voyage entre un père et son fils…

Suite au décès de sa mère, Russell est pris en charge par son père. Mais au cours d’une discussion sur un  parking frappé par la pluie, dans le pick-up d’Andy, nous nous rendons compte que ce dernier n’a vraiment pas l’habitude de s’occuper d’un enfant et, qu’en huit ans, il n’a jamais côtoyé son fils.

Andy-la-débrouille devant récupérer de l’argent à El Paso, Russell l’accompagne pour une virée à travers le désert. Ils rencontreront toutes sortes de personnages de l’Amérique d’aujourd’hui dans un motel, un  trailer–park, un parc d’attraction décrépi, une casse et, finalement, en prison
Toutes les ambiances de ces lieux sont superbement rendus par les couleurs de Bastien Quignon qui passe aisément d’une palette de rouge / jaune / ocre pour les ambiances de désert torride et poussiéreux a des gris subtilement rehaussés de quelques couleurs pour les scènes nocturnes ou à l’ombre.
C’est aussi à travers la narration d’Aurélien Ducoudray que nous assistons à la naissance de cette relation père-fils ; elle s’installe tout doucement au fil des souvenirs que les deux protagonistes s’échangent durant le récit. La famille finit par se former autour de la mémoire de celle dont nous ne connaîtrons jamais le nom.
Brigh BARBER

Portrait d'Aurélien Ducoudray par François Ravard (extrait de « Bosanska Slika »).

On peut remarquer, à la lecture de votre album, que l’histoire prend toute la place disponible. Il n’y a pas vos bibliographies comme cela est souvent le cas. Vous pouvez vous présenter ?

Aurélien Ducoudray : Scénariste et photo-reporter (plus scénariste que photo-reporter en ce moment !!!), j’habite au bout de la route goudronnée avant la forêt dans un petit hameau de l’Indre, avec trois chats, Michel, Wendy et Pompidou, ainsi qu’une femme et un petit garçon… J’ai raté mes études de lettres et d’anglais avant de partir en Afrique et dans les pays de l’Est et en revenir photo-reporter… Puis, j’ai été journaliste écrit en PQR (Presse Quotidienne Régionale) puis JRI (Journaliste Reporter d’Images) en télé locale, puis scénariste BD suite a un stage de scénario pour adultes avec Luc Brunschwig …

Portrait de Bastien Quignon réalisé par sa compagne Amélie.

Bastien Quignon : J’ai suivi une formation en bande dessinée, à l’académie royale des Beaux-Arts  de Tournai en Belgique. En sortant, j’ai eu la chance de pouvoir éditer mon projet de fin d’année « Trois jours en été », chez Actes Sud/l’An 2. « El Paso » est mon deuxième livre.

Comment vous êtes vous rencontrés pour ce projet ?

A. D. : J’ai acheté l’album « Trois jours en été » de Bastien. Et j’ai été immédiatement séduit par l’aspect graphique de son travail, et ensuite par la qualité émotionnelle de l’histoire. Bastien raconte des petits riens du tout avec talent, simplement, et c’est passionnant… J’avais aussi, depuis longtemps, envie de raconter des p’tits bouts de choses, de m’affranchir un peu du sacro-saint récit qui doit avancer a tout prix vers un dénouement, selon les étapes obligatoires, etc. Et du coup, je me suis dit que je pourrais partager mes petites choses avec celles de Bastien ! Coup de chance, ça a fonctionné ! J’ai chipé son contact sur son blog, lui ai téléphoné, envoyé la première scène et voilà, c’était parti !!!

B. Q. : Comme tous les matins, j’ai ouvert ma boite mail. Sauf que cette fois là, un certain Aurélien me contactait pour une collaboration. Grosse surprise, et première grosse angoisse ! Au départ, je ne me sentais pas à la hauteur, ne sachant pas comment ça se passerait entre nous. Je craignais ne pas savoir travailler en binôme. Après quelques échanges, je m’y suis totalement retrouvé . Sur le même pied d’égalité.

Comment avez-vous travaillé sur cet album ? Sa conception fut-elle longue ?

A. D. :  1 an pour finir l’album, ce qui ne m’a pas paru particulièrement long… Et surtout sans stress! Frédéric Lafavre, chez Sarbacane, nous a fait confiance et a signé le projet  en ne connaissant que la première scène !!! Moi même, je ne savais pas ce qui allait se passer ensuite… Je me suis laissé conduire par les personnages et ai pris le temps de mieux les connaître au long du trajet… Quand j’y repense, soit Frédéric est fou, soit particulièrement aventureux !!! Avec Bastien, on a eu une façon un peu spéciale de travailler. J’écrivais scènes par scènes dans mon coin, puis les lui envoyait une par une… Il avait le droit de tout retoucher, s’il le voulait, dans le texte ! De rajouter, enlever, changer le sens, du moment que ça apportait quelque chose à l’histoire de base… Ensuite, il me renvoyais le texte et  on décidait quelles transformations garder… Parfois aucune, parfois un bon tiers de scène !!! On a avancé comme ça, sans ego , tournés tous les deux vers l’histoire… il y a eu de belles idées abandonnées( des nulles aussi !!!), uniquement parce qu’elles ne servaient pas l’histoire… Et ce qui était très agréable, c’est que ni l’un ni l’autre, nous n’avons essayé de tirer la couverture à soi… C’était le risque, mais ce n’est pas arrivé. De toute façon, Russell et son père étaient là pour nous conseiller. Ensuite, je lui laissais libre court pour le storyboard qu’il m’envoyait ; et avant la réalisation finale, j’avais le droit, également, de modifier ce que je voulais… À l’heure d’aujourd’hui, on ne s’est encore pas rencontrer en vrai ; mais j’ai l’impression qu’on se connaît déjà bien, après tous ces kilomètres qu’on a fait ensemble jusqu’à El Paso !!! (Leur  première rencontre a eu lieu lors d’une dédicace à Clermont-Ferrand, le 20 octobre dernier).

B.Q. : Avant de commencer, je me suis baladé à El Paso sur Google street view… Je me suis aussi pas mal imprégné d’ambiance photographique ( Bernard Plossu, essentiellement). Pour ce qui est de la technique, je me suis amusé à mélanger les supports et les outils( un papier moleskine encollé avec une base de pastel, sur laquelle j’appliquais de l’écoline). Une année pour la réalisation, sans se presser et tenter de faire au mieux. Je recevais l’histoire, scène après scène, essentiellement des dialogues, accompagnée à chaque fois d’une petite photo.. C’était  simple et agréable, et une manière, aussi, d’avoir à chaque fois une surprise en découvrant la suite. Je me projetais dans l’ambiance et me questionnais sur ce qui fonctionnait ou pas. En partant de cette base, j’aimais bien apporter des détails visuels et narratifs pour enrichir la scène. Un véritable échange : c’était la clé de cette histoire. Effectivement, nous nous ne sommes pas encore vu, Aurélien et moi. Mais j’attends ce moment de pied ferme pour le remercier de m’avoir fait partager cette expérience.

Pourquoi avez vous choisi le Texas pour cette histoire ?

 A.D. : Tout simplement pour inscrire l’histoire dans le gigantisme des décors américains… On avait une toute petite chose a raconter, la rencontre entre deux personnes, faites de petites choses minuscules et éparses… Il fallait situer ça dans un endroit immense, à même de refléter la solitude des personnages… Je me souviens que, quand j’en avais fait la proposition à Bastien, il n’était pas très enthousiaste ; voir même « que ça faisait un peu cliché« … Mais une fois convaincu, on y a gagné au change : la scène dans le parc de dinosaures, par exemple, on a pas ça en France… Transposé au parc Asterix, ça marche forcément moins bien!!
Vous commencez à avoir des retours sur ce livre ?
B.Q. : Les retours sont plutôt positif du côté de la presse spécialisée et les lecteurs me demandent souvent comment j’ai procédé pour le rendu.
Vous avez un nouveau projet en commun ?   Et en solo ?
A. D. : À peine « El Paso »  terminé j’ai eu envie de recommencer avec Bastien ! La collaboration s’étant tellement bien passée que ça paraissait une évidence. Je lui ai donc proposé un nouveau début d’histoire à développer a quatre mains ; et je viens de recevoir le storyboard de la première scène qui se passe lors du passage du train funéraire de Robert Kennedy, en 1968, où on assiste a un timide premier baiser de deux adolescents… Une histoire d’amour, donc !!!

« Young» par Eddy Vaccaro.

Et, sinon, l’année 2013 verra la sortie de « Bosanska Slika » une « comédie reportage » sur les camps de réfugiés bosniaques avec François Ravard au dessin, « Young» l’histoire d’un boxeur franco juif déporté à Auschwitz avec Eddy Vaccaro, et le tome 2 de « Békame » avec Jeff Pourquié, ces 3 albums chez Futuropolis, les tomes 2 et 3 de « The Grocery » avec Guillaume Singelin chez Ankama et pleins d’autres choses encore !!!

B.Q. : Aurélien m’a envoyé cet été une nouvelle scène d’un nouveau projet, je m’y suis mis sérieusement en septembre. Mais je suis encore au stade de la recherche graphique. J’ai aussi en tête un projet personnel, inspiré des écrits de ma mère à propos de son propre père. Mais je prends mon temps, parce que le sujet est délicat.
Brigh BARBER
« El Paso » par Bastien Quignon et Aurélien Ducoudray
Éditions Sarbacane (17,90 €) – ISBN : 978-2-84865-556-7
Mise en pages : Gilles Ratier

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