Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...« Léonard » T43 (« Super-génie») par Turk et De Groot
Du génie – et surtout des idées (Eurêka !) – il en faut quotidiennement aux auteurs de bande dessinée pour imaginer, parfois pendant plusieurs décennies, les aventures, péripéties, gags et autres chutes propres à leurs héros et univers. Turk et Bob de Groot sont assurément de cette trempe puisque, depuis 1977 et au fil de 43 albums (le nouvel opus, « Super génie », parait en octobre 2012 ; 6 hors-séries complétant la collection), ils ont littéralement « réinventé » la longue tradition de l’inventeur de fiction.
Décliné sur une tonalité mêlant humour de situation, anachronismes volontaires, calembours (également volontaires !) et aspect documentaire, la série « Léonard » fait mouche, ce succès étant décliné depuis 2009 via une série d’animation télévisuelle riche de 78 épisodes. L’occasion de dévoiler ici une part du génie qui s’étale une nouvelle fois effrontément en couverture…
« Léonard », parodie burlesque du véritable Léonard de Vinci (1452 – 1519) est donc, comme son célèbre modèle, un inventeur – de génie – vivant dans la petite ville italienne de Vinci au XVème siècle. On se souviendra que ce personnage est né par accident : Bob de Groot, voulant ajouter un personnage dans la série « Robin Dubois » (parodie de Robin des Bois imaginée en 1974 aux éditions du Lombard), imagina en effet un inventeur nommé Mathusalem, dont la première création est… un parcmètre. Rapidement adoptée par l’auteur Greg pour le mensuel Achille Talon Magazine, l’idée se transmua un en personnage principal assez vite rebaptisé Léonard. Ce dernier s’installera d’abord dans deux magazines hollandais (Pep et Eppo) avant d’être repris en France dans Pif-Gadget puis en albums, successivement aux éditions Dargaud, Appro (label créé par les auteurs eux-mêmes en 1990) et enfin au Lombard depuis 1999. Après plusieurs récits réalisés à quatre mains, Turk abandonnera progressivement le scénario à Bob de Groot (celui-ci continuant à story-boarder ses histoires) adoptant un graphisme de plus en plus clair et lisible pour le plus grand nombre de lecteurs.
Léonard passe son temps à inventer, créer, innover et faire progresser la science, tout ceci aux dépends du voisinage et surtout de son disciple prénommé Basile Landouye. Extrêmement dévoué mais sempiternel premier cobaye et première victime des expériences de son maitre, Basile peut aussi se révéler à son tour très créatif, parfois à sa propre grande surprise. Depuis le premier album, le disciple a théoriquement une devise : « Je sers la science et c’est ma joie » ; mais en pratique, comme l’attestent d’innombrables brulures, blessures, explosions, électrocutions et autres écrasements (séquelles illustrées sur un mode cartoon digne de Tex Avery), moins il la sert, mieux il se porte…
Dans la série « Léonard », les auteurs déclinent l’antithèse de l’archétype littéraire et filmographique du savant fou, génie du mal potentiellement aussi dangereux pour lui-même (cf. Frankenstein) que pour la globalité de l’humanité (le « Docteur Folamour » selon Stanley Kubrick en 1964). Léonard n’est ni Fantômas, ni Mabuse, ni – en bande dessinée – le docteur Octopus ou Zorglub. Il serait comparativement plus proche d’un professeur Tournesol selon Hergé ou du comte de Champignac dessiné par Franquin, et c’est aussi en ce sens que nous décrypterons donc quelques unes des couvertures de la série.
Le titre de la série « Léonard » permet graphiquement d’insister sur la rondeur (symbole d’humour mais aussi de bulle de bd) de la lettre « o », qui renvoie à l’idée première d’un monde en gestation, d’une idée en train de naitre (une forme d’ampoule pour signifier l’irruption dans la case de l’idée lumineuse) mais aussi du chiffre zéro (ce « o » comporte du reste la tomaison de l’album concerné). Dans les albums plus récents parus aux éditions du Lombard (à partir du tome 40, « Un trésor de génie », 2010) ce « o » s’est par ailleurs transformé en un engrenage insistant sur la thématique technique et scientifique de la série. En 4ème de couverture, les lecteurs auront pu voir initialement (jusqu’au tome 11 en 1984) le disciple ouvrant une boite contenant un diable à ressort, décliné à la fois à la sauce léonardesque et sur le principe de mise en abime des poupées russes (Léonard remplace le diable et tient lui-même une boite à ressort d’où va surgir un autre Léonard…). Puis, de 1990 à 1998 (tomes 19 à 28), un Léonard réparant tant bien que mal le crane d’un disciple robotique, dont il change l’ampoule (l’idée étant reprise du visuel du tome 19 (« Flagrant génie ») paru en 1990 ; voir aussi « l’idée » de l’ampoule pour les pages de garde de la série). De 1999 à 2012, c’est désormais le chat rayé Raoul Chatigré, autre protagoniste notable de la série aux cotés de la souris grise Bernadette, qui déclame par le biais d’un porte-voix la longue liste de tous les albums parus…
Initialement présentés (jusqu’au tome 13, « Génie en herbe », en 1986) sur un fond noir et sous un titre vivement coloré, les personnages composant l’univers de « Léonard » sont placés en couverture dans une situation relevant du dessin de presse et d’humour. Notons qu’un second dessin, situé en page de titre, complète habituellement le visuel de couverture et entraine donc déjà le lecteur dans un système narratif qui est bien celui de la bande dessinée. La titraille de l’ensemble de la série use abondamment du mot « génie », soit en l’incluant dans une expression clé (« Coup de génie », « Génie en herbe »), soit en utilisant un calembour (« Hi-fi génie »), soit, encore, en employant le terme à la place d’un autre (« Génie or not génie ? », « Le génie des grandeurs »).
La grande majorité des couvertures présente uniquement le duo fondateur maitre/disciple, ce dernier étant très rarement mis en valeur (voir les exemples des tomes 13, 23, 26, 27 et 39). La démultiplication du terme « génie » se retrouve graphiquement mise en scène à plusieurs occasions, lorsque la silhouette ou la présence léonardesque envahit littéralement l’espace physiquement (couvertures des tomes 5, 7, 16,), par effet d’écho (tome 17) ou selon le principe narcissique du miroir (tome 12). Dans ce monde centré autour de l’innovation et du gag, les possibilités d’évasion sont restreintes : outre quelques voyages exploratoires (la Chine pour le tome 6, le centre de la Terre pour le tome 18, la Lune pour le tome 27 et Venise pour le tome 36), c’est l’invention d’un moyen de locomotion (tomes 1, 2, 29 et 41) qui fournirait plutôt un prétexte à l’aventure – risquée – hors des sentiers battus de l’atelier du maître.
Parmi les codes liés au genre, il arrive aussi assez régulièrement que l’inventeur soit dépassé par son invention (tomes 23 et 42) ou que le duo soit enfin uni face à l’adversité (tomes 10, 18, 25, 27, 29, 33, 38 et 42). De cette relation intime mais perturbée entre les personnages (qui tiennent autant de l’antihéros que du faire-valoir) naissent des visuels à forte valeur émotionnelle, qui insistent sur une large diversité de sentiments : l’énervement, la colère, l’admiration, la peur, l’étonnement, la gêne, la satisfaction, l’interrogation, l’application et le rire seront ainsi tour à tour mis en exergue en couverture. Cette grande palette d’expressions correspond au style nerveux de la série, dont l’humour est assez proche de l’esprit du cinéma slaptisck (gag employant une forme de violence exagérée), genre popularisé par Mack Senett, Buster Keaton ou Charlie Chaplin dans les années 1920, et plus tard par les séries de dessins animés « Looney Tunes » (1930 à 1969) et « Tom et Jerry » (1940 à 1958).
Comme l’affirme le 34ème titre de la série (Docteur génie et Mister « aïe »), « Léonard » fonctionne dès sa couverture sur le principe duel du héros (ou antihéros) et de son souffre-douleur. Le gag présenté en couverture/page de titre est introductif de l’album mais redonne au lectorat novice le ton de l’ensemble de la collection. Notons que, dès le premier album, le chat Raoul devient aussi un relais entre auteurs et lecteurs, puisqu’il assiste souvent (médusé, apeuré ou rigolard) au gag de la même manière qu’il « commente » la situation (ou la dédouble en agissant de son coté) à l’intérieur de chaque planche. Cet effet d’écho volontaire est – comme on l’a déjà vu – l’une des grandes caractéristiques de la série, illustré dès les couvertures. Cet effet graphique vient surligner le fait plus littéraire que le mot « génie » soit répété du titre d’un album à un autre, sur le même mode que celui du nom de la série. On ne s’étonnera donc guère de voir en couvertures les choses se répéter, les gags résonner, les titres fameux (d’œuvres ou de films (« Y-a-t-il un génie dans la salle ? », « La guerre des génies », « Le génie des grandeurs ») être repris et déformés, et les personnages eux-mêmes dupliqués ou transformés (voir la couverture du tome 43, où ils deviennent des super-héros). On pourra même appréhender l’amour destructif de la série à la fois comme l’antithèse de la volonté de créer de Léonard et comme celle, pour les auteurs, de régénérer en permanence leurs effets comiques : dans ce cycle sans fin, on lira successivement l’élaboration du plan (invention), le grain de sable, la chute et le retour à une situation plus ou moins stable permettant l’émergence d’une nouvelle idée d’invention. La célèbre maxime de Lavoisier (1743-1794), « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » est donc parfaitement applicable à l’univers de Turk et De Groot : d’une couverture à une autre, pour les lecteurs, il n’y a pas redondance mais démultiplication d’une seule et même idée sans cesse renouvelée. Et cette idée de nous guider vers le rire, propre de l’Homme…
Philippe TOMBLAINE
http://couverturedebd.over-blog.com/
« Léonard » T43 (« Super-génie») par Turk et De Groot
Éditions du Lombard (10, 60 €) – ISBN : 978-2-8036-3108-7
Sur Turk et Bob de Groot, voir aussi nos « Coins du patrimoine » Turk et Bob de Groot !