Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...COMIC BOOK HEBDO n°49 (08/11/2008).
Cette semaine, du muscle, du muscle, encore du muscle avec la JLA et le PUNISHER? Mais du cerveau, aussi, avec cette magnifique photo de Grant Morrison se rendant compte de ce qu’il vient d’écrire?
JLA : NOUVEL ORDRE MONDIAL (Panini Comics, Anthologie DC)
Eh oui, on commence avec Grant Morrison, cette semaine (quand on aime on ne compte pas). En 1997, le diablotin extralucide de Glasgow s’était en effet vu confier la fameuse équipe de super-héros made in DC : la Ligue de Justice d’Amérique (Ta-daaaa…). Un peu moins de 10 ans avant, le scénariste écossais se révélait au monde avec son incroyable Arkham Asylum sublimement mis en images par Dave McKean, et un peu moins de 10 ans après il allait revisiter les personnages de Batman et surtout de Superman avec le fascinant Frank Quitely. Donc notre homme connaît son affaire en ce qui concerne les piliers de DC, sachant parfaitement explorer les personnalités de chacun des héros avec une certaine fausse désinvolture (mais c’est pour mieux vous mordre, mon enfant) ou une gravité violemment ressentie. Ici, le travail de Morrison est vraiment le bienvenu sur cette série qui à l’époque reprit du poil de la bête sous le titre JLA. Car je ne sais pas si comme moi vous avez été biberonné à la Marvel, mais comme beaucoup de fans de la Maison des Idées, l’univers de DC m’a toujours semblé un peu plus froid, érigeant des mythes inatteignables et peut-être parfois trop symboliques pour créer une réelle identification avec le lecteur. Du moins c’était vrai il y a encore peu de temps, car les choses bougent aussi, de ce côté-là … Mais bref. Qu’on le veuille ou non, la JLA a toujours été une équipe assez sérieuse et solennelle où il ne fait pas forcément bon de blaguer car ces super-héros-ci mesdames et messieurs ont la respectabilité de l’Amérique qui pèse sur leurs épaules bien développées. Pas de blaguounette à la Ben Grimm, si vous voyez ce que je veux dire… Eh bien voilà ce qu’a apporté Morrison à la JLA lorsqu’il en a repris les rênes : il l’a dépoussiérée, puis humaniser les mythes en installant de l’humour, du second degré, du sentiment, et donc une certaine profondeur où l’on se sent un peu plus impliqués. Un recul salvateur car l’équipe commençait alors à devenir un tantinet ringarde, avec ce Superman à cheveux longs (hum).
Le résultat de ce travail scénaristique de fond est une lecture vraiment très agréable où l’on voit l’institution descendre de son piédestal pour s’encanailler respectueusement. Car Morrison n’a rien cassé, pour mieux explorer là où ça titille, là où faudrait pas trop toucher, tout en préservant la nature des choses. Mais on sent très vite que ces choses ne tournent pas vraiment comme d’habitude. Le ton est différent, l’atmosphère quelque peu vénéneuse, et l’étrangeté ne dit pas son nom. On est tout d’abord surpris par le rythme et la vélocité avec lesquels Morrison installe les éléments du récit, nous plongeant dès le départ dans un contexte ambigu où la population américaine, aveuglée par des extra-terrestres soi-disant sauveurs de l’humanité, va se retourner contre les héros de la JLA. Et puis petit à petit s’instaure l’esprit de dialogues particuliers, rebondissant comme des balles de ping-pong claquantes. Ainsi, je meurs d’envie de vous citer à n’en plus finir les nombreux détails et autres inventions de Morrison qui donnèrent à cette série vieillissante un ton et une énergie très appréciables, mais ça ne serait pas très sympathique pour votre frisson de la découverte. Malgré tout, comment résister à la tentation de vous dire que la séance de recrutement de nouveaux membres pour la JLA est un moment assez désopilant, puisque y défile une série de super-gugusses pas piqués des vers, comme Hitman qui est juste venu pour reluquer Wonder Woman en se servant de sa vision à rayons X… Et que dire de certaines répliques qui tuent et autres situations incongrües, comme celle où Flash, s’arrêtant de jouer à un jeu vidéo avec Green Lantern lance « Quelqu’un arrive pas le téléporteur. Ce serait peut-être mieux qu’on ait l’air de bosser. » : scandaleux ! Où est donc passée l’éthique impeccable de nos super-héros patriotes ? Certaines répliques sont vraiment très drôles. Et d’autres plutôt cocasses. Aquaman est assez mal embouché, Batman un peu blasé par l’équipe, Superman se pose quelques questions, et Wonder Woman fait profil bas. Et l’on sent que Morrison s’est éclaté avec le personnage de Flash, multipliant les outrances de vitesse dans la narration (très réussi !).
Au programme de cet album regroupant les 9 premiers épisodes signés par Morrison, plusieurs histoires plus ou moins courtes, la première en quatre épisodes où l’on verra comment la JLA va se débarrasser de cette bande de faux gentils extra-terrestres afin de retrouver leur légitimité de justiciers établis, puis nous ferons la connaissance de la touchante Tomorrow Woman dans un épisode unique, avant de dévorer deux histoires en deux épisodes où nos super-héros vont se retrouvés mêlés à des combats entre les anges et subir le joug terrible de ce psychopathe surnommé La Clé. Bref, de l’action et de belles innovations mises en images par deux dessinateurs talentueux : Howard Porter et Oscar Jimenez. Un chouette album, donc !
THE PUNISHER vol.11 : LE FAISEUR DE VEUVES (Panini Comics, Max)
Revoilà donc ce bon vieux Frank Castle. Et voici un album particulièrement intense et musclé du Punisher. Une histoire glauque, suintante, pleine de rancœur. Une aventure un peu inhabituelle, aussi, puisque le Punisher va y être assez rapidement blessé au point de passer pratiquement tout le temps du récit cloué au lit par une vilaine blessure. Mais autour de lui le monde continue de tourner, avec ses velléités de survie et ses méandres humains peu reluisants. Au départ il y a 5 femmes. 5 veuves. Veuves parce que leurs époux appartenaient de plus ou moins loin à la maffia, veuves parce que ces maris se sont tous fait exploser la tronche par un Punisher toujours aussi adepte des méthodes expéditives. 5 femmes aux caractères différents mais toutes liées par une seule idée : venger leurs maris assassinés. Réunies pour monter un plan afin de dézinguer Frank Castle pour de bon, elles vont fomenter une vraie machination pour attirer le justicier meurtrier dans leurs griffes serrées autour de la gâchette. Ces dames ont envie de flinguer dur, dirait-on. Mais elles vont trouver sur leur chemin une autre femme, elle aussi avide de vengeance, et liée de manière plus profonde au Punisher. Une femme meurtrie, n’ayant plus rien à perdre. Elle s’appelle Jenny et son corps porte encore douloureusement les stigmates du passé. Elle va se dresser sans aucune pitié face au plan des 5 veuves, s’enfonçant elle-même dans une spirale de violence inéluctable.
Outre le rôle de spectateur du Punisher, cette histoire signée par le brillant Garth Ennis est atypique par la dimension féminine qui traverse l’œuvre là où d’habitude les pages sentent la testostérone à chaque millimètre imprimé. Il en ressort un récit vraiment prenant et étonnant où Ennis semble vouloir dresser une sorte de tableau de la nature féminine dans ses facettes les plus extrêmes, les plus complémentaires, les plus admirables comme les moins avouables. De la salope à la sainte en passant par la victime ou l’exécutrice, de la sœur à la femme de flic en passant par la nymphomane ou la discrète, différents portraits féminins parcourent et constituent la trame de l’histoire, façonnant une ambiance très spéciale où la réflexion sur le rapport entre les hommes et les femmes est questionné de plusieurs manières. Quelle vision de la femme sur les hommes ? Quel pouvoir des hommes sur les femmes ? Et qu’en est-il de ces femmes agissant « en homme » ? On pourrait penser que le scénario d’Ennis est parfois un peu mysogine, mais lorsqu’on voit comment il dépeint les hommes, on se ravise un peu, déstabilisés par d’autres valeurs contrebalançant les craintes. Le propos d’Ennis ne peut laisser indifférent, et on ne referme pas l’album sans un goût amer en travers de la gorge, encore sous le choc de l’intensité de l’histoire et de ses accents de vérité. L’esprit est tourné vers le polar le plus noir, les faits et gestes se font âprement, et le dénouement ne peut être que dramatique… Quelques scènes sont tout simplement poignantes, bouleversantes, magnifiquement dessinées par un Lan Medina assez inspiré et très bien mis en couleurs par Raúl Treviño. Ainsi, celle où Jenny, torse nu devant son miroir, observe avec haine et désespoir les 5 photos des veuves qu’elle a scotchées sur la glace, comme 5 cartes à jouer qu’on abat sur la table lors d’un poker assassin, une quinte flush que les victimes ne soupçonnaient pas mais qui pourrait bien les abattre avant qu’elles aient pu dévoiler leur jeu. Bref, moi qui ne suis pas vraiment un fan de cette série, j’ai été totalement happé et fasciné par cet album que je vous recommande vivement si vous êtes un lecteur averti. Oui, un très bon album, vraiment…
Cecil McKinley