Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...« Notre mère la guerre » T4 (« Requiem ») par Maël et Kris
Il existe des sujets d’exposition plus forts que d’autres, telles la joie, la souffrance, la violence (physique ou psychologique) et la mort, particulièrement délicates à mettre en scène. On sait comment les artistes du XXème siècle (d’Otto Dix à Picasso, de Jean Renoir à Yves Boisset, de Calvo à Tardi) auront dénoncé la guerre et ses horreurs, en sachant renouveler leurs arts respectifs par l’emploi de nouvelles techniques ou par la constance d’un « engagement contre ». Sans rien négliger des réflexions soulevées par ce cheminement historique, littéraire et philosophique, l’album « Notre mère la guerre » T4 (« Requiem »), paru au début du mois d’octobre 2012, dessiné par Maël et scénarisé par Kris, vient conclure l’une des plus belles sagas contemporaines prenant pour cadre en bande dessinée le premier conflit mondial.
En guise d’introduction à ce nouvel article, nous rappellerons ici quelques détails du dossier et de l’interview des auteurs initialement réalisés pour l’analyse de deux premières couvertures de cette série (cf. http://couverturedebd.over-blog.com/article-notre-mere-la-guerre-71730658.html ).
Il faut voir que l’illustration de la dramaturgie des deux guerres mondiales est une vieille affaire de la bande dessinée : la « Bécassine » imaginée par Pinchon et Caumery mènera quelques aventures sur le front dès 1913. S’ensuivra une longue période, jusqu’en 1944, où, des deux cotés de l’Atlantique, les illustrés réalisés « à l’ancienne » décrivent avec une feinte naïveté les faits d’armes héroïques de la Première guerre. Il faudra donc attendre l’après-guerre pour voir un vaste chantier de reconstruction idéologique, suivant l’initiative et le modèle du dessinateur Marijac. Délivré du discours pontifiant sur une guerre « propre », les auteurs osent dès les années 1950 présenter les affres d’une guerre « sale » et immorale.
Dans les années 1980 et 1990, c’est l’œuvre de Jacques Tardi, fortement engagée sur la Première Guerre Mondiale (« C’était la guerre des tranchées »(1993) ou « Journal de guerre » (2008)), qui offre au 9e art l’angle du réinvestissement de différents filtres culturels et mémoriels (témoignages directs ou indirects, sources historiques et muséologiques, influences artistiques). Cette évolution notable permet aujourd’hui un retour nécessaire du travail historique, entre discours scientifique et sémiologique des apports spécifiques de la bande dessinée.
Dans « Notre mère la guerre T4 », nous retrouvons le lieutenant de gendarmerie Roland Vialatte en septembre 1917, remis de diverses blessures subies à l’issue de l’album précédent. Vialatte est toujours chargé d’élucider la sombre affaire liée au meurtre sauvage de plusieurs femmes, tout près de la ligne de front ; il vient justement de retrouver par hasard la trace du principal suspect, le caporal Peyrac, un caractère rebelle anciennement placé à la tête d’une étrange section composé de jeunes mineurs, tous repris de justice…
Nous retrouvons également en couverture de ce quatrième tome des éléments déjà constitutifs des premiers ouvrages de la série : un paysage désolé et ravagé, l’omniprésence de la mort, un corps de femme torturé par la douleur, l’absence des hommes, voire celle des soldats…
Le contexte général de la Première Guerre Mondiale est rendu immédiatement « lisible » ou détectable par le biais d’un univers dévasté physiquement (terrain constitué de pierres, de terre et de trouée/tranchée/fosse, village-ruine de l’arrière-plan) et par les connotations d’un titre complexe, renvoyant aussi bien à l’expression « la mère des batailles » qu’aux idées conjuguées d’univers originel, de baptême du feu obligatoire et de domaine religieux.
Le choix des couleurs, alternativement terreuses et grisâtres (tomes 1 et 2) puis sépias (tomes 3 et 4) connotera une nouvelle fois une mort dédoublée : celle, massive et inhumaine, apportée par la Guerre, comprise comme sous-jacente de l’univers décrit et celle, plus individualisée et sans doute plus criminelle, ayant frappée très précisément un être humain, qu’il s’agisse d’une jeune infirmière (tome 1), d’un combattant (tomes 2 et 3) ou d’une veuve (tome 4). L’inscription du récit dans la veine littéraire du récit autobiographique et du « retour », sur la piste de la « mémoire historique », peut également être traduite par ce choix chromo-photographique du sépia, qui rend en quelque sorte hommage aux innombrables correspondances épistolaires de cette époque.
Comme on l’a souligné, l’absence notable est bien celle du héros-soldat ou de l’enquêteur attendu, qui laisse une nouvelle fois présager d’un rôle fort dévolu au lecteur, ainsi que d’une démarche subjective des auteurs. Pour ces derniers, le récit de guerre est d’office évacué par une imagerie non constitutive de la sauvagerie physique des affrontements, au profit d’un discours engagé, ancré sur la propension psychologique de la guerre à détruire l’âme humaine. Homme ou femme, combattant ou infirmière, jeune ou vieux, toutes et tous se retrouvent moralement impliqués dans un théâtre d’ombres où les acteurs doivent accepter malgré eux – et parfois sans comprendre – le destin tragique qui est le leur.
Dans ce monde éminemment masculin, la femme – passeur de témoin du visuel du tome 1 à celui du tome 4 de la série – se transmue en une quête aux accents mythologiques : outre l’antinomie offerte par « la » guerre et « la » mort comme catharsis maternelle, c’est « la » vie qui est recherchée par tous les biais au cours de différentes séquences qui seront précisément le cadre attendu du « repos des soldats » (prière, sexualité ou nourriture, coucher et phases d’écriture). Cet angle métaphysique et spirituel relève ici du ressort du récit d’apprentissage : en 1ère et 4ème de couverture du tome 1, la croix rouge de l’infirmière et la route prise par les soldats renverront à cette idée de cheminement et de sacrifice, à cette intersection symbolique entre l’Homme et l’esprit divin, choix ultime auquel est confronté le héros au seuil de la mort en ouverture de l’œuvre. Nous retrouverons au final rassemblés ces symboles dans l’image récurrente de Vialatte priant aux pieds d’un Christ « outragé » par la Guerre.
Au dos du tome 4, l’armistice étant enfin déclaré, les soldats exultent de joie ou demeurent interloqués : à l’arrière plan, un couple s’éloigne discrètement, à l’ombre d’un clocher presque totalement détruit… Cet ultime plan en 4ème de couverture vient clore l’itinéraire de ravage et de reconstruction qui est celui de Vialatte, et plus largement de tous les personnages phares de ce récit. En recherchant un meurtrier, Vialatte recherche son « ennemi intime », à la fois la cause de certaines de ses souffrances et l’espoir de mettre un terme au cycle d’inhumanité de la Grande Guerre. De fait, on ne s’étonnera pas des effets miroirs entre la petite histoire (l’enquête policière) et la grande (4 années de guerre), l’une et l’autre s’achevant à la même seconde. Ultime sujet d’espérance de l’homme, une femme, bien que pleurant ses propres disparus (le « requiem » du titre indiquant précisément la messe et la prière faites pour les âmes des défunts), vient diffuser « l’idée mémorielle » : les noms ne seront pas oubliés, la terre devenue tombeau redeviendra un jour celle des pâturages et des récoltes, le temps permettra d’enterrer non les hommes mais la guerre elle-même. Rappelons encore les sinistres chiffres de l’issue du premier conflit en Europe : 9 millions de morts dont 1,5 million de Français (500 000 autres décès (blessures, séquelles et maladies) après le 11 novembre 1918), 6,5 millions de blessés, 3 millions de veuves et 6 millions d’orphelins.
Dans « Notre Mère la Guerre », écrasé entre l’histoire et l’Histoire, l’Homme affronte l’homme sans courage ni volonté : on ne distinguera en couverture que peur, résignation, lâcheté ainsi qu’une insaisissable camaraderie constitué de non-dits et de méfiances. La poésie offerte par l’ensemble de la série est à vrai dire relativement inhumaine : c’est sans doute pour cela, parce qu’elle résonne comme un effrayant poème de Villon ou telle l’ironique et douloureuse Chanson de Craonne, qu’elle nous émeut au plus haut point…
Philippe TOMBLAINE
http://couverturedebd.over-blog.com/
« Notre mère la guerre » T4 (« Requiem ») par Maël et Kris
Éditions Futuropolis (16, 25 €) – ISBN : 978-2754807524
Images toutes ©Futuropolis – Maël et Kris
J’ai lu sur un site finistérien un fait divers de 1944 qui raconte comment deux paysans qui avaient sauvé un allemand blessé ont été condamné à mort et à leur tour sauvé par ce même allemand alors qu’ils étaient devant le peloton d’exécution..
Une histoire que pourrai raconter Kris.