COMIC BOOK HEBDO n°47 (25/10/2008).

Cette semaine, les X-MEN, PREACHER et SLEEPER…

X-MEN : VIGNETTES (Panini Comics, Best of Marvel)

La publication de cet album est une vraie bonne idée que certains accros aux mutants espéraient avec avidité. Un album important pour tous les fans des X-Men puisqu’il propose des épisodes emblématiques et magnifiques de leur équipe mutante fétiche. Oui, ce sont bien les fameux épisodes créés en 1986 et 1987 à l’occasion des rééditions de la série Uncanny X-Men sous le titre Classic X-Men dont il s’agit ici (il y aura en tout 45 numéros jusqu’en 1990, reprenant la série à partir du fameux prologue paru dans Giant-Size X-Men #1 de mai 1975 et commençant vraiment avec le numéro 94 d’Uncanny X-Men sorti en août de la même année). Un peu plus de dix ans après leur apparition, les Nouveaux X-Men refirent donc surface pour le plus grand plaisir des nouveaux fans. Aux manettes, l’inévitable Monsieur X-Men : Chris Claremont, accompagné au dessin par un artiste rare et ô combien talentueux : John Bolton. Voilà un duo qui fait plaisir à lire ! Comme Claremont l’explique dans son introduction, la réédition des premiers épisodes des Nouveaux X-Men fut l’occasion de faire plus que de rééditer : la rédactrice Ann Nocenti et Claremont décidèrent d’utiliser l’espace pris par les pages de publicité dans les comics originels (à savoir à peu près 15 pages !) afin de créer des récits spécialement pour cette réédition. Plus que des annexes, ces épisodes allaient constituer une exploration passionnante de chacun des membres des X-Men, sous un angle intime mettant en relief la psychologie des personnages, levant le voile sur ce qu’ont vécu ou ressenti ceux-ci dans leur chair une fois le mot « fin » inscrit en bas de page finale. Une incursion dans l’intimité de ces héros si extraordinaires qui – entre deux combats intergalactiques et trois castagnes surhumaines – sont comme vous et moi, des êtres vivants remplis de doutes et d’espoir, essayant de construire une vie personnelle, où les super-pouvoirs sont même refoulés plus ou moins consciemment afin d’accéder à une certaine « normalité » existentielle (le fameux enjeu si souvent abordé dans cette série : apprendre à vivre avec des super-pouvoirs et être accepté en tant qu’être humain avant d’être stigmatisé comme étant différent). L’initiative de ces rééditions permit donc à Claremont de se pencher de manière très humaine sur ses enfants chéris, approfondissant et enrichissant la vision que nous avions des personnages avec une véritable empathie.

Ces récits répondent aussi à bon nombre de nos questions laissées longtemps sans réponses. Comment a réellement été vécue la transition entre anciens et nouveaux X-Men, ou bien le deuil de John Proudstar ? Sur quelles bases s’est établi le lien de confiance entre Wolverine et Diablo, que ressentirent les Nouveaux X-Men dans leur nouvel environnement ? Pareillement, nous comprendrons mieux la sensibilité de Peter Raspoutine, et son amour pour le dessin… Nous entrerons aussi dans l’intimité sentimentale de Jean et Scott avec un très bel épisode muet où Bolton installe une magnifique ambiance, disséquant chaque petit moment en entomologiste sensible, exprimant l’amour absolu de ces deux belles personnes dans des images simples, justes, acidulées et tendres comme une framboise. Il y a également quelques histoires avec des moments plus ou moins fantastiques, à la croisée des chemins humains et surhumains, comme de petites fables d’un quotidien à part. Et puis il y a l’épisode qu’une flopée de fans dont je fais ardemment partie attendaient avec fébrilité : que s’est-il passé, nom de nom, lors du fameux retour en catastrophe sur Terre des X-Men dans leur navette soumise à des radiations cosmiques mortelles, pour que Jean Grey devienne Phénix ? Houlala!!! Les vilains ne sont pas en reste, puisqu’on ira aussi faire un tour du côté du Club des Damnés et de Magneto.

La lecture de cet album est vraiment très agréable, un réel plaisir, on déguste chaque histoire avec délectation, d’autant plus que le dessin suave de John Bolton donne à ces récits intimistes un caractère assez différent de ce que nous sommes habitués à voir habituellement dans nos séries mutantes. Il y a un réalisme sublimé et épuré dans le style de ce dessinateur qui transforme étonnamment notre approche visuelle de cet univers (et notre ressenti aussi, par conséquent, mon cher Watson). Le choix d’une esthétique telle que celle de Bolton fut assurément une excellente idée pour donner corps à ces récits inhabituels, insufflant ce qu’on ne retrouve guère que chez quelqu’un comme Barry Windsor-Smith : une autre dimension graphique ouvrant de nouvelles perspectives sensorielles ayant du sens. Le texte de Claremont et le dessin de Bolton trouvent ensemble une dynamique subtile, apte à exprimer le sensible et l’introspection avec autant de talent que pour les scènes d’action (car il y en a aussi, évidemment). Mieux, la lecture de ces « vignettes » donnent irrépressiblement envie de se replonger dans la série initiale, et de vibrer à nouveau grâce aux exploits issus de cette époque devenue mythique. Pouvoir lire en un seul et même volume ces épisodes qui complétaient le propos de la série mère constitue une sorte d’album de famille qui prend une place un peu à part dans les rayons de sa bibliothèque. À lire, bien sûr… en espérant qu’un autre volume paraîtra afin que nous puissions lire l’intégralité de la chose…

PREACHER vol.4 : HISTOIRE ANCIENNE (Panini Comics, Vertigo Cult)

Voici donc le quatrième volume de Preacher ; beaucoup d’entre vous l’attendaient, cette série ayant le succès qu’elle mérite. Dans une moindre mesure, à l’instar de ce qu’a fait Gaiman avec Sandman, Garth Ennis a bâti un univers autour d’un personnage lui permettant d’explorer les sujets les plus hétéroclites sans s’enfermer dans un contexte réducteur. Les pérégrinations du révérend Jesse Custer nous amènent donc à explorer les épisodes de vies diverses, mais aussi à mieux comprendre le personnage principal. Le présent volume est composé de trois récits parus initialement dans des numéros spéciaux (Preacher Special) il y a déjà plus de dix ans (ah, comme le temps passe…). Le plat de résistance en est bien sûr l’impressionnant Le Saint des tueurs où l’on découvre l’origine de la malédiction qui pèse sur les épaules de Custer. Et c’est pas joli joli… Car le Saint des tueurs est certes un homme blessé, mais il a aussi dans le fond des yeux une haine terrible qui le fait être tout sauf en odeur de sainteté, justement, jouant de la gâchette comme on reboutonne une veste et se rinçant le gosier avec autre chose que de l’eau de bénitier, c’est moi qui vous le dit… Dans sa longue introduction, Garth Ennis nous fait partager sa passion du western, et le choc qu’il a eu en voyant le très beau Unforgiven (Impitoyable) de Clint Eastwood, ce sublime western crépusculaire l’ayant influencé dans la création du Saint des tueurs. Et pour être crépusculaire, ça l’est ! Aride, violent, fantastique, amer, intense, le récit est assez prenant ! On ira même faire un petit tour en enfer, avec des scènes pas piquées des vers. Du début à la fin, cette histoire est portée par un souffle épique où le désespoir l’emporte sur un humour des plus noirs. Un excellent moment de lecture, donc…

Les deux autres histoires se penchent sur les personnages de Tête-de-Fion (oui, je sais, mais moi je fais que retranscrire, hein) et des deux gravos T.C. et Jody. Le récit expliquant les « origines » de Tête-de-Fion oscille entre tragédie quotidienne et farce moderne, laissant une impression de malaise questionné dont on ne saurait que faire. Ennis dépeint très simplement une situation malheureusement presque banale malgré sa violence insupportable, et fait comme s’il allait nous balancer un message, mais le bougre ne fait rien de cela, préférant bifurquer après avoir jeté une peau de banane. La chute est drôle mais la fracture est là. Et plus personne ne rit. Car c’est toute la déchéance qui opère constamment au sein de notre monde et du cœur humain qui est mise en exergue ici. Mais ça, nos scénaristes du Royaume-Uni nous y ont habitué. Quant à la dernière histoire mettant en scène les deux psychopathes T.C. et Jody, on ne sait trop ce qu’on doit en penser, à part que c’est bien drôle et bien crétin, parodiant l’esprit primaire de certains vieux récits d’aventures. Un accident d’hélicoptère dans le bayou, un flic un peu couillon et une belle nana sexy, une faction armée qui recherche une cassette compromettante, et deux abrutis violents prêts à tout : on dirait du Russ Meyer ! Un divertissement à lire au seizième degré, donc, où Ennis se lâche sans se poser de questions.
N’oublions pas de parler des trois artistes qui ont dessiné ces histoires : Steve Pugh, Carlos Ezquerra et Richard Case. On notera aussi la présence de l’excellent Matt Hollingsworth sur certaines couleurs. Pour ceux qui connaissaient déjà la série, cet album propose des épisodes incontournables qu’il faut avoir lus ; pour les autres, c’est l’opportunité de faire connaissance avec cet univers particulier que je vous invite à découvrir.

SLEEPER vol.1 : SEUL CONTRE TOUS (Panini Comics, 100% Wildstorm)

Ce qui saute aux yeux avant tout lorsqu’on aborde cet album, c’est bien évidemment la sublime couverture de Sean Phillips qui est un furieux hommage aux affiches et génériques des films les plus noirs d’Otto Preminger (en l’occurrence The Man with the golden arm, 1955, avec Sinatra et la somptueuse Kim Novak ; si vous n’avez pas vu ce chef-d’œuvre, il faut faire quelque chose d’urgence). Et effectivement, ceux qui aiment les films noirs vont être servis, avec cette œuvre flirtant plus du côté de l’espionnage que de la flicaille, certes, mais adoptant un ton résolument polar dans la narration et le découpage, les images contrastés et l’ambiance générale. Oui, ça suinte, ça flingue, ça obtempère, ça magouille, ça intimide, ça trahit, ça boit, ça fornique, ça jure, ça piste, ça flaire, ça débusque, ça échappe et ça sue. Mais Ed Brubaker, scénariste de talent de son État, a réussi à instaurer un esprit étonnant à l’univers qu’il met en place, échappant à énormément de clichés tout en collant au plus près à la grande tradition du récit âpre où le héros paumé et traqué doit sauver sa peau. Il y a la belle pépée, l’autorité du chef, les complots, les orgies et la déprime, mais étrangement nous ne savons pas trop où nous mettons les pieds, où Brubaker va nous emmener (ce qui est déjà en soi une très bonne chose). Et puis nous sommes dans l’univers de Wildstorm, celui d’Authority, de la Plaie, de tout le toutim… Alors, entre science-fiction, espionnage, policier et chronique hardcore, Sleeper nous trimballe à travers des méandres qui ne cessent de surprendre, le tout dans une remarquable cohérence. Il faut dire qu’ici, le fond et la forme se complètent avec un réel talent. Car ce sentiment d’étrangeté et la puissance de cette œuvre sont aussi la résultante du très beau travail de Sean Phillips.

En effet, Phillips (qui a fait des merveilles sur Marvel Zombies, souvenez-vous) a transposé le découpage de Brubaker avec un talent fou, dans des mises en pages d’une acuité démente en ce qui concerne la narration. Je ne vous parle même pas de ses dessins efficaces et percutants, mais de la manière dont Phillips a agencé les scènes, chaque planche étant une petite expérience narrative en soi, avec comme fil conducteur un espace global où les cases sont réparties dans une mosaïque plus ou moins resserrée, imbriquées dans une composition où le sens de lecture se fait plus dans un cheminement d’ambiance visuelle que par une linéarité, et ce tout au long de l’œuvre, ce qui est assez fortiche. Du coup, cette particularité graphique et narrative nous plonge dans une drôle d’atmosphère, et la lecture de Sleeper se démarque de celle de beaucoup d’autres œuvres n’arrivant pas à articuler ce genre d’intentions qu’on devrait voir plus souvent (c’est vrai, quoi, les gars, on en est plus aux débuts des petits miquets !). Les forts contrastes que Phillips imprime à ses images donne à l’ensemble une grande noirceur, magnifiant la mise en page par un écrin sombre exprimant l’angoisse sous-jacente.

Et l’histoire, alors, quoi, je vais vous en parler, oui ou %*&#§@£§ ??? Oui, je mets un peu de grossièreté pour indiquer au passage que Sleeper s’adresse à un public averti, comme on dit (en vaut-il vraiment deux, c’est un autre débat), certaines scènes et dialogues étant… disons… explicites et chargées. L’histoire, donc, est des plus classiques, et c’est bien cette trame institutionnelle qui rend cette œuvre encore plus forte par le décalage qu’elle engendre au sein même de ses impeccables fondations. Holden Carver est un agent dormant. Il a été placé à tel endroit, à tel moment, pour infiltrer ce qu’il y a à infiltrer, en attendant qu’on vienne le « réveiller » afin de commencer sa mission. Le hic, pour Carver, c’est que le type qui doit le réveiller est en train de dormir, coincé dans un coma profond (bah tout le monde roupille, là-dedans, ou quoi ?). Et Carver doit maintenant essayer d’exister sans se faire buter alors qu’il n’a aucun moyen de prouver qui il est. Vous imaginez le truc. Pas confortable, surtout quand on ne sait pas si le mec qui donne les ordres en attendant vous manipule ou pas, et qu’on tombe amoureux d’une psychopathe qui adore lacérer le dos quand elle fait l’amour mais qui pourrait lacérer tout court. Et puis il y a de puissantes castes, et leur pouvoir sur le reste du monde, et les infiltrations qui foirent, et les retournements de situation qui f… dans la m…, sans parler d’étranges pouvoirs plus flippants qu’autre chose. Bref, c’est un drôle d’univers dans lequel nous invitent Brubaber et Phillips, un monde assez inquiétant, qui laisse des marques. Donc attention, mes petits lapins : lecture vénéneuse.

Cecil McKinley

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