Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Texas CowBoys » T1 par Matthieu Bonhomme et Lewis Trondheim
Qu’elle soit simplement attirante pour l’œil de l’acheteur potentiel (qui y reconnaitra ses héros, noms d’auteurs ou univers préférés…) ou particulièrement mystérieuse, la couverture d’un album de bande dessinée ne manque pas d’être particulièrement réfléchie par ses différents concepteurs. Dans le cadre de cette nouvelle rubrique hebdomadaire (« L’Art de… »), et sur le modèle des travaux précédemment publiés sur le site http://couverturedebd.over-blog.com/, nous tenterons donc précisément d’analyser et de décrypter ce visuel, emblématique de l’album, souvent inspiré autant par les affiches de cinéma que par la culture personnelle et les intentions propres aux auteurs.
Pour débuter cette rubrique, notre attention se portera sur le récent « Texas CowBoys » T1, album fort attendu paru chez Dupuis fin août 2012, imaginé par Lewis Trondheim et illustré par Matthieu Bonhomme. Le récit suit le parcours d’Harvey Drinkwater, journaliste de Boston quelque peu « pied-tendre », envoyé au Texas pour faire un reportage sur le « Hell’s Half Acre », le coin le plus dangereux de cet Ouest sauvage. Bien décidé à abandonner le journalisme, il choisit de saisir l’occasion pour se venger de l’ex-mari de sa mère, s’enrichir et trouver une femme, guidé dans son périple par Ivy, l’homme du cru qu’il a embauché pour le guider dans cette nouvelle vie.
Trondheim et Bonhomme, déjà coauteurs d’ « Omni-visibilis » en 2010 (Dupuis), s’aventurent avec « Texas CowBoys » dans une mythologie du Western évidemment multi-référentielle, en empruntant tour à tour soit les codes du cinéma hollywoodien des années 1950 soit ceux introduits dans les décennies suivantes par Sergio Leone (« Pour une poignée de dollars » , 1964), Sam Peckinpah (« La Horde sauvage » , 1969), Clint Eastwood (« Impitoyable » , 1992) ou les Frères Coen (« True Grit » , 2010).
Publié en chapitres dans le magazine Spirou entre septembre 2011 et août 2012, cet album au format comics se sera initialement déployé en 9 fascicules, tous inspirés des dime novels et pulps d’antan. Rappelons que ces publications peu coûteuses (la « dime » est une pièce de 10 cents), imprimés sur un papier de mauvaise qualité (woodpulp ou pulp), furent extrêmement populaires en Angleterre puis aux États-Unis à la fin du XIXème siècle et dans la première moitié du XXème siècle : en accompagnant la conquête des grands espaces puis la naissance de l’univers industriel, ils se propagèrent principalement via des récits aux ambiances prononcées. L’Aventure, le Policier ou la Science-fiction installèrent ainsi durablement des héros tels Tarzan, Zorro ou Conan le Barbare.
Comme l’explique Lewis Trondheim à propos de la genèse de ce visuel, la couverture est la résurgence d’une mixité d’influences culturelles, aux croisements des littératures populaires et du serial cinématographique :
« En fait, à la base, on devait juste faire un livre.
Et chez Dupuis, le rédacteur en chef de Spirou voulait prépublier notre histoire. Seulement, nous étions dans un format roman graphique et pas question d’agrandir les pages. Le rédac chef nous a alors proposé de faire 9 suppléments de 16 pages au journal pour les abonnés.
L’idée de faire une couverture pour chaque supplément est venue tout de suite. Et je me suis alors souvenu d’avoir vu des couvertures de magazines américains de la fin du XIXème.
Et, retombant dessus, j’ai envoyé ça à Matthieu qui était partant à fond pour faire des couvertures old school. Et ça a aussi enchainé sur l’idée de vieilles couleurs et de salissures.
Le problème était de faire une couverture pour le livre qui soit un peu différente mais qui reprenne l’esprit.
On a donc fait un mixte entre vieille couverture de magazine et vieille affiche de cinéma.
Mais on pensait aussi à un truc beaucoup plus sobre… »
Et de fait, les différentes couvertures imaginées pour « Texas CowBoys » ne sauraient être lues ou comprises sans un renvoi aux visuels évocateurs des pulps mettant en scène le Western comme Wild West Weekly (magazine lancé en 1923), où exerça l’illustrateur Norman Saunders, également à l’œuvre sur les aventures du légendaire Tom Mix. Comme on l’observera, chacune des neuf couvertures met en scène soit un personnage soit un lieu emblématique du Western : citons le desperado, le cow-boy, le shérif autoritaire, entraîneuse de saloon, l’indien, le train et les paysages de l’Ouest. Voyons aussi que la typographie de chacun des titres s’adapte à son sujet : on devinera dans le déploiement des codes vintage soit la violence âpre du Far West (Hell’s Half Acre), soit la matière aventureuse du récit (Wichitas), soit, encore, un lettrage renvoyant directement au titres filmiques hollywoodiens. Si le titre de l’album laisse lui-même peu de place à un doute possible sur la cadre de l’histoire (le Texas comme symbole de toute une mythologie américaine, à commencer par le siège de Fort Alamo en 1836) ou sur ses « acteurs » (les cow-boys), on regardera toutefois le visuel final comme le traitement mi-parodie mi-hommage d’un univers dont les auteurs s’amusent de manière assez évidente déjouer les codes attendus.
Si le traitement de l’histoire agit en « effet miroir » pour le lecteur, finalement aussi novice que le journaliste bostonien sensé s’acclimater à un monde rustre et violent (on pourra retrouver du reste des personnages identiques dans « Le Pied-Tendre pour la série « Lucky Luke » ou dans les derniers albums de « Blueberry »), l’ensemble offert par « Texas CowBoys » est aussi par bien des points une « inversion » de l’affiche classique. Qu’on en juge en comparant par exemple les neufs premières couvertures et le visuel final, les premières déclinant sous le mot Texas une pluralité d’armes (Colt, pistolet Derringer, carabine Winchester, couteau) et finalement la plume du journaliste, tandis que le visuel de l’album axe de manière préférentielle sur une cosmogonie violente où le langage des armes et de la poudre (qui enserrent le titre et surlignent le nom des deux auteurs) laissent peu de marge de manœuvre aux principaux protagonistes. Bandits et membres du gang sont du reste clairement mis en évidence aux cotés du méchant (Sam Bass, réel hors-la-loi et voleur de train qui sera traqué par les agents Pinkerton et abattu par des Texas rangers en 1878), tandis que le héros-journaliste est au second plan (en haut à droite du visuel). Du cinéma et de l’art de l’affiche, outre le titre, la couverture reprend une certaine manière de montrer à la fois les protagonistes archétypaux, l’ambiance aventureuse magnifiée par ses décors arides (mesas et canyons parsemés de cactus et d’épineux), le nom des auteurs/acteurs ainsi qu’une accroche amusée (« The Best Wild West Stories Published »).
En résumé, la couverture de « Texas CowBoys », dans ses aspects graphiques comme dans ses intentions narratives, nous donne une magnifique illustration et mise en perspective classique de la fameuse formule issue du film « L’Homme qui tua Liberty Valance » (John Ford, 1962), où la force, la loi de l’Ouest et le moteur de la civilisation sont également les enjeux conflictuels : « Quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende. » Amers et inévitablement transformés par leurs propres actes, les cow-boys anonymes cités en couvertures (là encore, inversement aux noms des personnages des premiers fascicules) feront que le récit de l’Ouest apparaît finalement comme le total de sa vérité et de sa légende, dans une intégration qui fait acte de l’Histoire ici déroulée entre cases et bulles.
Philippe TOMBLAINE
http://couverturedebd.over-blog.com/
« Texas CowBoys » T1 par Matthieu Bonhomme et Lewis Trondheim
Éditions Dupuis (20, 50 €) – ISBN : 978-2-8001-5272-1
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