Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...Batwoman débarque chez Urban Comics
Je suis un enfant de Marvel. Biberonné aux X-Men, Spider-Man & co. Mais lorsque je lis le « Batwoman » de J.H. Williams III, je serais prêt à jeter aux oubliettes les cinq dernières années de publication de la Maison des Idées pour un seul des épisodes de cette série. Somptueux, sublime, fascinant, irréel. C’est Batwoman vue par J.H. Williams III.
Lorsqu’on est un marvelien, on a tendance à regarder les super-héros DC avec ce je ne sais quoi de condescendance hautaine qui en demande beaucoup pour oser égaler l’esprit unique de l’univers engendré par Stan Lee. Et fort heureusement surgissent quelques merveilles qui font plus qu’égaler ; elles rétablissent une légitimité. Ainsi, « Gotham Central », le « Superman » de Morrison et Quitely ou « Kingdom come » remettent les pendules à l’heure, rappelant qu’une œuvre ne vaut que par ses auteurs. Le « Batwoman » de Williams III fait partie de ces moments de grâce qui transcendent tout. J’avoue ne pas être totalement impartial, étant un fan de J.H. Williams III depuis longtemps. Sans lui, « Promethea » n’aurait pas été « Promethea », Alan Moore ou non. Cet artiste polymorphe et extrêmement doué (jusqu’à l’agacement) s’avère de plus en plus l’un des artistes les plus talentueux, atypiques et géniaux de notre époque. Parce que j’adore Williams III, j’étais justement prêt à ne rien lui passer, à ne pas supporter qu’il se perde lui-même dans ses propres circonvolutions, prêt à lui en vouloir au moindre faux pas, par déception injuste de fan obsédé. Et j’ai à nouveau lu son « Batwoman » (déjà paru chez Panini Comics), puis les premiers épisodes de la nouvelle série « Batwoman » issue du relaunch « New 52 » de la rentrée dernière. Et je suis sur le carreau. C’est trop beau.
Pour accueillir Batwoman, Urban Comics a bien fait les choses, n’hésitant pas à reprendre l’arc « Élégie » (déjà paru chez Panini) pour le compléter avec les épisodes réalisés par Jock dans la continuité de la série publiée dans « Detective Comics » sous la numérotation de « volume 0 ». Une excellente introduction exhaustive qui donne un socle solide en termes d’édition française à cette héroïne récemment réinventée et remise en avant par DC. Sobrement intitulé « Élégie », cet album vaut absolument d’être redécouvert dans son intégralité. Sous l’égide de Greg Rucka (scénariste emblématique de « Gotham Central »), J.H. Williams III fait des premiers pas dans l’univers de cette nouvelle Batwoman réinventée avec talent. Accompagné de Dave Stewart (qui fournit ici un travail de mise en couleurs tout à fait remarquable, transcendant le dessin de l’artiste), Williams III s’implique totalement dans cet univers pour en tirer l’essentiel tout en remettant en jeu son style polymorphe. Et le résultat est somptueux. Apparemment, J.H. Williams III est réellement tombé amoureux de Batwoman, car pour le lancement de la nouvelle série de l’héroïne à l’automne dernier, notre homme a non seulement dessiné mais aussi scénarisé ses aventures, épaulé par W. Haden Blackman (ce qui constitue le présent tome 1 d’Urban, sous le titre « Hydrologie »)… Un coup de cÅ“ur qui se ressent sur le papier. Il y a beaucoup d’amour, dans ces planches. Cela transpire à chaque coin de case, si tant est qu’on puisse parler de coin de case avec cet artiste qui casse constamment le cadre pour réinventer l’espace narratif.
J’ai bien conscience que ce « Batwoman » de J.H. Williams III pourra autant séduire certains lecteurs qu’en agacer d’autres qui crieront au kitch et au mauvais goût au vu du mélange des genres graphiques qu’opère l’artiste sans vergogne. Mais je pense sincèrement qu’on a affaire là à l’une des plus belles expériences narratives et esthétiques qu’on puisse lire. Mieux qu’une simple évolution, je dirais qu’avec « Batwoman », J.H. Williams III a enfin accédé à une sorte de symbiose parfaite de tous ses styles différents amorcés jusque-là . On y retrouve du « Promethea » et du « Desolation Jones », mais au sein d’une dimension où les frontières entre les styles s’abolissent comme jamais. En choisissant deux styles principaux pour narrer le quotidien de Kate Kane et celui de son alter ego Batwoman, Williams III utilise un procédé simple mais qui trouve ici une efficacité et une puissance rarement atteinte, sublimé par le travail de Dave Stewart qui redonne ici toutes ses lettres de noblesse au travail de coloriste. Lorsqu’il est question de Kate Kane, J.H. Williams III lorgne du côté de Tony Harris, dans un style rond et fermé, alors que pour chaque apparition de Batwoman on verse plus dans un réalisme à la Ross, proche de l’aquarelle rehaussée de teintes flamboyantes. Il en résulte une ambivalence stylistique aussi improbable que génialement complémentaire, exprimant toute la dualité du personnage avec profondeur. C’est puissant et efficace, et nous plonge dans des atmosphères de contraste absolu. Et c’est beau. Terriblement beau. Incroyablement beau. Ce « Batwoman » concrétise bien une sorte d’osmose parfaite des différents styles de Williams III, avec comme acmé le combat de Batwoman et Flamebird dans l’épisode 2 d’« Hydrologie » où l’artiste n’hésite plus à faire cohabiter deux styles très différents en une même case. On atteint là des sommets en termes d’audace graphique, certaines cases étant constituées de styles apparemment opposés mais respirant miraculeusement dans le même espace.
Le fait que l’héroïne soit lesbienne semble désinhiber les artistes qui dessinent Batwoman en n’oubliant jamais de suggérer ses formes les plus charnelles sous son costume ultra ultra ultra moulant. Ainsi, ses jolis tétons sont mis en valeur dans un fantasme aussi discret et torride que celui inhérent à Emma Peel, faisant de Batwoman une nouvelle icône sexuelle. Une icône ô combien attachante, Rucka puis Williams III réussissant à donner au personnage une vraie profondeur, un vrai caractère. L’histoire de cette jeune femme fille de colonel et ayant perdu sa mère et sa sœur dans des conditions dramatiques avant de se découvrir gay et pétrie de justice est tout à fait prenante, engendrant une empathie certaine malgré la froideur qu’elle dégage. Je pourrais encore m’étendre davantage sur cette sublime héroïne, sur le génie de J.H. Williams III, sur la beauté folle de cette œuvre, mais j’ai peur d’en dire trop, alors je préfère vous laisser la découvrir vous-mêmes, et jouir de cette création qui à elle seule vaut le relaunch récent de DC Comics. Un pur bijou. Superbe. Chaque planche vaut d’être vue et revue en détail, jusqu’à l’overdose.
Cecil McKINLEY
« Batwoman » T0 (« Élégie ») par J. H. Williams III, Jock et Greg Rucka Éditions Urban Comics (22,50€) – ISBN : 978-2-3657-7060-6
« Batwoman » T1 (« Hydrologie ») par J. H. Williams III et W. Haden Blackman Éditions Urban Comics (15,00€) – ISBN : 978-2-3657-7062-0