Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 25 AOÛT 2008
Retour de notre sélection hebdomadaire avec : ? Les gens honnêtes T.1 ?, ? Commando colonial T.1 : Opération Ironclad ? et ? Le dessinateur T.1 : Caroline ?.
? Les gens honnêtes T.1 ? par Christian Durieux et Jean-Pierre Gibrat - Editions Dupuis (14 Euros)
En chroniquant l’air du temps, avec tendresse et justesse, le talentueux (et reconnu comme tel) auteur du « Sursis » ou du « Vol du corbeau », associé au dessinateur moins médiatisé (mais tout autant digne d’éloges) d’«Oscar» ou de «Mobilis», a réussi son coup ! Toute la difficulté d’une telle entreprise était de mettre en scène, de façon amusante, un récit finalement assez tragique, en évitant tout misérabilisme et sans pour autant tomber dans la gaudriole. Manifestement, ils y sont arrivés…, leur collaboration semblant avoir été exemplaire : leur complicité est d’ailleurs évidente à la lecture de la première partie de cette série qui comportera au moins trois ou quatre albums… Jean-Pierre Gibrat n’a pas le temps de dessiner toutes les histoires qui lui viennent en tête et a donc confié la réalisation graphique de cette drôle d’histoire d’arnaque, où le protagoniste est un quinquagénaire qui se retrouve au chômage sans l’avoir vu venir et qui se clochardise un peu plus chaque jour, au poétique et ludique explorateur du trait qu’est Christian Durieux. Ils se sont merveilleusement complétés, et le lyrique illustrateur d’univers plus elliptiques (comme son récent « Le pont », ses collaborations avec Jean-Luc Cornette, ou son trop méconnu «Benito Mambo») a apporté sa propre vision à cette comédie jubilatoire, en dotant les personnages de trognes inoubliables. Au bout du compte (ou du conte…), cette chronique sociale sur la mondialisation se révèle être vraiment savoureuse car, pour une fois, les gens honnêtes prennent leur revanche sur cette société qui a tendance à privilégier les puissants et les arrivistes !
? Commando colonial T.1 : Opération Ironclad ? par Brüno et Appollo – Editions Dargaud (10,40 Euros)
Alors qu’il a créé le magazine local Le Cri du Margouillat (qui regroupa les meilleurs représentants du 9ème art réunionnais), Appollo poursuit ses escapades dans le monde de la bande dessinée en tant que scénariste, tout en continuant à enseigner les lettres à La Réunion. Après les très remarqués « La grippe coloniale » (avec son compatriote Huo-Chao-Si) récompensé par le Grand Prix de la Critique 2003 (à quand la suite ?) et « ÃŽle Bourbon, 1730 » dessiné par Lewis Trondheim, il nous propose un récit de guerre très documenté, mais bien décalé, illustré par son complice Brüno, avec lequel il a déjà réalisé le prometteur diptyque science-fictionnesque « Biotope », en 2007… En 1942, deux agents alliés débarquent à Madagascar pour entrer en contact avec les gaullistes locaux et les convaincre de lutter contre les forces pétainistes de la colonie afin de faire basculer l’île en faveur de la France Libre. Mais les colons sont frileux et préfèrent, avant tout, préserver leurs petits intérêts financiers… S’appuyant sur un pan méconnu de la seconde guerre mondiale, Appollo plonge, une nouvelle fois, son action au cœur des colonies françaises de l’Océan Indien, nous assénant un récit, original et plein d’humour, sur l’absurdité du colonialisme et les revendications indépendantistes naissantes : le tout mis en valeur par un dessin simple et efficace, qui évolue, tout en finesse, entre classicisme franco-belge et nouvelle vague…
? Le dessinateur T.1 : Caroline ? par Jean Trolley, Erroc et François Dimberton – Editions Bamboo (12,90 Euros)
Sur le thème déjà ultra-ressassé de l’assassin qui se prend pour un justicier, le scénariste des « Profs », allié à un auteur prolixe des années 1980, adepte des machineries bien huilées et à un dessinateur au trait influencé par les comics (tendance Frank Miller ou Mike Mignola) et dont c’est le premier album, nous a concocté un récit réaliste efficace, pas si conventionnel qu’on pourrait le croire au premier abord… Un dessinateur judiciaire couvre des procès criminels sordides depuis au moins 30 ans. Dépressif, il pète les plombs lorsque sa fille se suicide après avoir été violée dans un train de banlieue. Il est persuadé que ce sont les criminels dont il a suivi les procès, et dont les portraits dessinés sont épinglés dans son bureau, qui lui ont gâché sa vie : il décide alors de les buter au fur et à mesure de leur sortie de prison, prenant des risques inconsidérés pour parvenir à ses fins. Ce polar palpitant met en scène un type complètement paumé qui n’est ni un flic ni un gangster : un type banal, qui vit dans un pavillon de banlieue, et qui devient un tueur en série sans s’en rendre compte. Voilà une lecture bien noire, mais pourtant très agréable, pour bien redémarrer le boulot après ces vacances pas trop ensoleillées et pour fêter comme il se doit les 10 ans d’existence des éditions Bamboo …
Gilles RATIER