Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...À l’occasion des 50 ans de Spider-Man ! – 3ème partie : Steve Ditko vs. Jack Kirby sur Spider-Man !
Après les origines de « Spiderman » par Simon & Kirby en 1953 (1), sa mutation en « Spider-Man » chez Marvel en 1962 sous l’égide de Stan Lee et Steve Ditko (2), une étude plus détaillée des quelques épisodes réalisés par Jack Kirby nous a semblé importante pour mieux comprendre les premiers pas de l’homme-araignée et les mystères entourant sa passation de Kirby à Ditko… Et si Stan Lee n’avait pas tout de suite confié Spider-Man à Steve Ditko ? Revenons sur les trois histoires de Spider-Man réalisées par Lee & Kirby et sorties en 1963…
Celle d’Amazing Spider-Man 8, de janvier 1964, « Spider-Man Tackles the Torch » (6 pages), avec Spidey contre la Torche, semble avoir été été conçue pour Strange Tales (le magazine publiant les aventures solo de la Torch par Kirby, depuis le n° 101 d’octobre 1962), car elle épouse clairement le point de vue du jeune membre des Fantastic Four.
Tout comme celle de Strange Tales Annual 2, « On the Trail of the Amazing Spider-Man » (18 pages), parue à l’été 1963, qui semble faire suite à la précédente (les deux personnages se connaissent visiblement et l’épisode se termine par une amitié réciproque).
Ces deux histoires semblent être des commandes de Stan à Jack pour intégrer le Spider-Man version Ditko dans l’univers Marvel naissant. Il s’agit d’ailleurs des premiers cross-overs Marvel (après celui de Hulk dans Fantastic Four n°12 de mars 1963).
 En revanche, « The Fabulous Fantastic Four Meet Spider-Man », parue dans Fantastic Four Annual 1, à l’été 1963, pose d’intéressantes interrogations…
D’abord, d’un point de vue strictement chronologique, cet épisode de 6 pages co-écrit par Lee, dessiné par Kirby (ce qui est évident vu le design et la narration) et encré par Ditko, se situe avant les deux histoires précédentes (il s’agit de la première rencontre de Spider-Man et de la Torche).
Il se focalise sur Spider-Man lui-même, celui de Ditko, ce qui laisse penser qu’il était prévu pour la série, dans un numéro postérieur au 15 d’Amazing Fantasy (avant la décision de l’arrêt du titre).
Mais ce qui est plus curieux, c’est que cette histoire est la même que celle parue six mois plus tôt, en mars 1963, dans Amazing Spider-Man n°1, une histoire réalisée par… Steve Ditko.
Un épisode qui donne de surcroît sa couverture au premier numéro d’Amazing Spider-Man, avec un dessin dû à Kirby lui-même !
L’épisode de Kirby de Fantastic Four Annual 1 débute par un cartouche avec la mention « en accord avec la revue Amazing Spider-Man, où cet épisode de Lee et Ditko est d’abord apparu » et une note de l’éditeur dont voici la traduction : « Cet incident mémorable (ndlr : celui de la rencontre de Spider-Man et des FF), l’un des pinacles de l’histoire des comics, a d’abord été raconté dans le n°1 de mars d’Amazing Spider-Man! Il s’agissait alors d’une simple petite histoire de deux pages qui démarrait l’une des plus grandes aventures de Spider-Man ! Cependant, nous avons reçu d’innombrables lettres nous demandant de raconter à nouveau cette fameuse rencontre, mais en y consacrant plus d’espace, en la montrant sous tous ses détails! »…
À la lecture de ces lignes, on pourrait penser que Kirby a repris et amplifié l’histoire de Lee et Ditko. Qu’en est-il réellement ?
 Après une enquête approfondie, les faits qui ressortent sont les suivants :
- Dans l’épisode de 10 pages « Spider-Man Vs. The Chameleon » (réalisé fin 1962 par Ditko pour Amazing Spider-Man n°1), la brève rencontre entre Spider-Man et les FF est parfaitement intégrée dans l’intrigue du Chamelon, puisque les Fantastic Four reviennent à la fin de l’histoire pour lui donner une conclusion.
-  18 cases sont identiques entre la version de Kirby et celle de Ditko. Visiblement, l’un a copié sur l’autre (sur ordres de Stan Lee). De plus, les dialogues de Lee sont quasiment les mêmes.Après examen de ces cases communes, il s’avère que la version de Ditko condense et/ou prolonge celle de Kirby. Ditko dessine The Thing déchirant le journal qu’il est en train de lire lorsque l’intrusion de Spider-Man le surprend.
 Chez Ditko, lors du combat avec l’Araignée, The Thing tombe à la renverse et assomme la Torche (alors qu’il est simplement bousculé chez Kirby et qu’une séquence suivante raconte la bataille entre Spider-Man et The Torch).
Toujours dans la version Ditko, Spider-Man évite les tirs enflammés de la Torche à sa poursuite (il est simplement poursuivi dans la version Kirby).
Ces différents éléments (ainsi que le design et la narration dans les cases) indiquent que l’originale est bien la version de Kirby.
La séquence des FF intégrée aux péripéties contre le Chameleon atteste ce fait : Ditko a réalisé son épisode a posteriori, à partir de la version Kirby.
Avec son statut de demi-dieu à Atlas-Marvel, il parait très improbable que Jack ait accepté de bricoler de la sorte une histoire de 6 pages à partir de la version Ditko (ce que confirme d’ailleurs l’étude de la planche 6 toujours existante de Kirby, qui ne présente ni collage, ni remontage).
Jack se serait ennuyé sur un tel travail et n’aurait jamais pu reconstruire cette intrigue à rebours. De plus, Stan n’aurait probablement pas osé lui demander une telle chose (rappelons que le jeune Lee a débuté sous les ordres de Jack dans les années 40). En revanche, Ditko, lui-même ex-apprenti du studio Simon & Kirby dans les années 50, est plus jeune. Il est certainement prêt à des concessions pour récupérer son personnage…
- Les pages de l’épisode de Ditko ont 9 cases en moyenne (contre les 6 que contiennent normalement ses planches à l’époque) et le lettrage semble réalisé par différentes mains sur les premières pages.
Ces deux faits nous font penser à un remontage sur 10 pages d’une histoire originellement bâtie sur 14 (de la même longueur que les deux histoires courtes – « Freak Public Menace » et « Duel to the Death with The Vulture » – d’Amazing Spider-Man 1 et 2).
 Voici donc les conclusions auxquelles nous sommes parvenus.
À l’été 1962, Lee écrit plusieurs scénarios de Spider-Man sur 14 pages. Il confie à Ditko « Freak Public Menace » et « Duel to the Death with The Vulture», destinés respectivement à être publiés dans Amazing Fantasy 16 et 18. Entre les deux, il scénarise « The Fabulous Fantastic Four Meet Spider-Man » (sous un titre peut-être différent / inversé) pour parution dans Amazing Fantasy 17. L’histoire fait directement suite à « Freak Public Menace », montrant comment Spider-Man espère gagner sa vie en se faisant embaucher par les Fantastic Four… Stan la donne à Kirby, peut-être pour se faire pardonner le rejet de son concept de Spider-Man. En tout cas, Lee est convaincu que le King sera meilleur sur une telle histoire. Il commande également la couverture du numéro à Kirby et confie l’ensemble de l’encrage à Ditko, certainement pour maintenir une continuité artistique. Ceci démontrerait qu’en juillet-août 1962, avant que le couperet ne tombe sur Amazing Fantasy, Stan Lee n’était pas encore décidé de qui, Ditko ou Kirby, dessinerait « Spider-Man »…
Lee se décide finalement pour Ditko, convaincu par l’étrangeté et l’originalité de son style. Mais comment expliquer qu’une telle histoire ait été dessinée une deuxième fois ? Ditko a-t-il joué des coudes et fait du lobbying auprès de Stan pour récupérer son bébé ? (3)
En tout cas, Ditko reprend l’épisode de Kirby et redessine la séquence des FF avec les mêmes dialogues, l’intégrant habilement sur quelques planches dans une nouvelle histoire de 14 pages au style plus personnel (malgré les habituels méchants communistes de Stan), intitulée « Spider-Man Vs. The Chameleon ».
Et c’est l’éditeur Martin Goodman qui entérine indirectement cette décision artistique en arrêtant Amazing Fantasy au n°15 (une décision qu’il a prise en voyant les résultats faibles du n°13 de juin, avant Spider-Man) et en relançant à la place Two-Gun Kid au n°60, dessiné par Kirby, bien sûr !
Jack, bien occupé, n’aura plus le temps de dessiner l’Homme-araignée (à l’exception des quelques retouches commanditées par Lee sur les futurs Amazing Spider-Man de Ditko, retouches qui ont certainement aggacé Steve à l’époque !).
Lorsque les bons résultats des ventes d’Amazing Fantasy 15 sont connus en septembre 1962, le retour de Spider-Man dans son propre magazine s’impose… et c’est à Ditko qu’échoit le poste.
Stan et Goodman veulent taper fort pour le premier numéro d’Amazing Spider-Man. Désireux de capitaliser sur le succès de Fantastic Four, ils décident de démarrer la série avec l’épisode et la couverture présentant leur célèbre quatuor.
Mais cette histoire fait suite aux 14 pages de « Freak Public Menace ». Avec un maximum de 24 pages de BD par comic book, l’épisode « Spider-Man Vs. The Chameleon » est désormais trop long pour Amazing Spider-Man n°1. Sol Brodsky, le chargé de production, aura alors remonté les planches de « Spider-Man Vs. The Chameleon » sur 10 pages, condensant en deux planches le combat contre les FF.
La version originale de Jack ayant été achetée, elle finira par sortir à l’été 1963, dans Fantastic Four Annual 1, la revue emblématique de Kirby…  La fierté de chaque artiste est respectée…
L’examen des pages de Ditko, aujourd’hui disparues, permettrait de prouver définitivement cette hypothèse.
Si cette théorie peut sembler a priori rocambolesque, de tels faits seront monnaie courante en 1965-66, quand Stan utilisera Jack pour les layouts et les crayonnés de ses nouvelles séries, de manière à montrer comment raconter les histoires à la seconde génération d’artistes Marvel.
Qui aurait pu penser que cette technique, sous une forme embryonnaire, était déjà testée dès 1962 ?
Suite et fin la semaine prochaine…
Jean DEPELLEY
 Mise en page : Gilles Ratier, aide technique : Gwenaël Jacquet
(1) Voir : À l’occasion des 50 ans du personnage : l’origine de Spider-Man ! – 1ère partie.
(2) Voir : À l’occasion des 50 ans de Spider-Man ! – 2ème partie : Les débuts de Spider-Man à Marvel
(3) : L’attitude exclusive de Ditko par rapport à Spider-Man semble confirmée par une autre découverte. Dans l’Annuel 3 des Fantastic Four, dessiné début 1965 et paru l’été de la même année, l’homme-araignée s’invite au marriage de Susan et Reed (page 14).
Cette grandiose histoire, dessinée par Jack Kirby (et malheureusement encrée par Vince Colletta) présente un Spider-Man curieusement dessiné et encré par… Steve Ditko !
En fait, il s’agit d’un remontage de la couverture d’Amazing Spider-Man n°19 (décembre 1964)…
Si Stan souhaitait bien évidemment préserver l’aspect du personnage tel qu’il sortait dans sa revue, le travail nécessité par un tel bricolage (certainement dû à Sol Brodsky) semble démesuré pour cacher un simple dessin de Spider-Man par Kirby sur la planche… D’où l’idée que Ditko, toujours chatouilleux concernant sa création, exerçait encore une pression sur Stan Lee début 1965…
C’ est très intéressant .
Je pense que c’ est sujet à caution, malgré tout.
En effet, Kirby avait beau être la star de Marvel, c’ était, à l’ époque, un peu comme être la star de « FRANCE ô ».
Donc je ne pense pas que Kirby aurait refusé quoi que ce soit à Lee en fonction d’ un quelconque statut.
Je crois au contraire que l’ ambiance était à produire, dans tous les sens et à occuper le terrain, graphiquement.
Le stratège commerciale c’ était Stan Lee et je pense que Kirby lui faisait une totale confiance sur ce point là … Comme Lee faisait une totale confiance à Kirby sur le pan artistique.
Franck Biancarelli
Oui, vous avez raison… L’ambiance de travail était très chaleureuse (même si les deux hommes ne se côtoyaient pas dans le privé) et la confiance à l’époque était totale entre Stan et Jack. Stan dirigeait les publications (sous les ordres de Goodman) et Jack ne lui aurait rien refusé… Mais il n’est pas évident pour autant que Stan lui ait demandé n’importe quoi… même si Kirby a par la suite réalisé du travail de production (créations de personnages, corrections, layouts…), des tâches qui n’étaient pas indignes de lui. En tout cas, pour cette histoire de Spider-Man, il paraît évident que la version de Kirby est antérieure à celle de Ditko…
En fait ce que je pense sans aucune certitude, donc je parle un peu pour rien, j’ en conviens…
Ce que je pense c’ est que c’ est qu’ ils s’ en foutaient tous complètement et que c’ est absolument possible dans les deux sens, pour aller au plus simple. Cela me rapelle ce dessin de Kane que Romita avait perdu (ou qu’ on avait perdu) alors qu’ il devait l’ encrer et qu’ il a redessiné de mémoire quasi à l’ identique…pour aller au plus simple.
Franck Biancarelli
Je ne suis pas d’accord avec votre commentaire. Il sous-tend un certain relativisme, notamment que les artistes ayant travaillé chez Marvel étaient de simples « Company Men », ce qui n’est pas exact pour tout le monde et ce qui dépend de l’époque à laquelle on parle.
D’abord, concernant les personnes…
Kirby et Ditko étaient des travailleurs indépendants (en « free-lance »). En 1962, Kirby est le grand artiste de la compagnie, avec de très nombreux succès à son palmarès. Il seconde d’ailleurs Stan en tant que directeur artistique (même si c’est Stan qui touche le salaire). Kirby co-invente les personnages (avec Stan), dessine les couvertures, de nombreuses histoires et les autres artistes, eux-mêmes dessinateurs, sont loin derrière et encrent ses crayonnés (Ayers, Ditko, Sinnott, Klein…). Ditko va d’ailleurs prendre du grade grâce à Spider-Man… Les rapports ont beau être au excellents, Kirby est toujours méfiant vis à vis de Martin Goodman, depuis l’escroquerie subie en 1941. Kirby et Ditko vont beaucoup travailler, espérant en retour des intéressements de la part de Goodman à partir de 1965 (notamment après la création de la MMMS, la vente des licences aux fabricants de jouets, aux studios de dessins animés…). Bien sûr, cet argent ne leur sera jamais donné. Kirby, Ditko, Wood se fâchent également avec Stan pour être reconnus en tant que co-scénaristes et pour avoir une partie du salaire correspondant à la tâche… N’ayant pas ce qu’ils espéraient, Wood et Ditko partiront en 1965, Kirby en 1970 pour devenir plus indépendant encore chez DC.
Concernant l’époque, maintenant.
En 1962, Marvel occupe 3 bureaux minuscules chez Magazine Management (au 2e étage du 655 Madison Avenue). Les dessinateurs free-lance travaillent de chez eux et viennent livrer le vendredi, empochant au passage leur chèque et prenant le nouveau scénario de Stan à dessiner. Il n’y a pas encore de « Bullpen Bulletin », c’est à dire un atelier où les dessinateurs se retrouvent. Kirby fait les corrections des planches des autres dessinateurs sur un coin de bureau. Le Bullpen Bulletin ne sera créé que mi-1964, lors du déménagement de Magazine Management pour des locaux plus grands au 625 Madison Avenue.
Vous citez Romita et Kane, arrivés chez Marvel en 1965 et 1966, respectivement. Ces deux très grands artistes étaient à l’évidence plus des « Company Men ». Romita deviendra lui-même employé de Marvel (et non plus free-lance) en 1972, en tant que directeur artistique.
Pour conclure sur cette histoire de Spider-Man contre les FF par Kirby…
Kirby détestait se répéter. Il s’ennuyait. C’est pour cette raison qu’il ne s’encrait pas lui-même. S’il a été amené à copier au sein de l’atelier Simon & Kirby, c’est surtout du chef de Simon…
L’étude de cet épisode de Spider-Man (même dans sa version Ditko) montre une narration, un design et une gestuelle des personnages propres à Kirby. La « datation relative » (tout ajout dans un dessin est obligatoirement plus récent que le dessin lui-même) conforte encore ce qui a été dit.
Cher Monsieur, n’ imaginez pas que je remette en cause l’ intéret de cet article dans lequel j’ ai pris énormément de plaisir.
Ce que voulait dire avec l’ anecdote sur Kane/Romita, c’ est que tous ces gars n’ avaient aucun problème à reprendre le travail d’ autres. Leur égo ne se plaçait pas là .
Kirby respectait Ditko, je pense qu’ il aurait donc pu, sans problème, reprendre les pages de Steve si Stan Lee le lui avait demandé car Stan Lee a considéré que pendant quelques mois le travail de Ditko manquait de l’ esprit Marvel.
C’ est pour cela que Lee a refusé la couv que Ditko avait faite pour le premier épisode de Spiderman.
Voilà cet argument me parait (au risque de me tromper, soyez sûr que j’ ai ça à l’ esprit) supérieur à tous les autres.
Cordialement.
Franck Biancarelli
http://www.facebook.com/franck.biancarelli
Merci pour votre commentaire. Plusieurs choses à répondre encore…
- Vous avez parfaitement raison quand vous écrivez que Kirby respectait Ditko. Celui-ci avait travaillé pour lui et Simon dans les années 50 (Black Magic, Captain 3-D), et Kirby avait une éthique de travail très forte. Il n’aurait pas souhaité porter tort à un autre professionnel, en le dénigrant ou en lui prenant son travail et son salaire… Ceci dit, c’est un peu ce qui s’est passé dans le cas présent.
Depuis que Stan Lee s’était fait remonter les bretelles par Goodman pour des planches payées mais non publiées retrouvées dans un placard à Atlas en 1949, Stan ne payait plus les pages et les concepts refusés. Les cinq pages du Spider-Man originel de Kirby ont donc dû constituer une perte sèche pour Jack, surtout que dans la foulée il a perdu la commande « Spider-Man » au profit de Ditko. Kirby, tout comme Ditko, était free-lance et payé à la planche… Nul doute que Jack n’a pas apprécié d’être ainsi spolié du salaire d’une journée complète de travail (surtout au faible prix que payait Goodman)… Lorsque son histoire de Spider-Man contre les FF subit le même sort quelques semaines plus tard pour être refaite par Ditko, Kirby a dû insister auprès de Stan pour que, cette fois, elle lui soit payée… D’où sa publication dans Fantastic Four Annual 1. Donc, je ne pense pas, comme vous l’écrivez, que Kirby se soit vraiment moqué de perdre un travail au profit de quelqu’un d’autre… Ce n’était pas un problème d’ego : il devait nourrir sa famille. Pour ce qui est de prendre le job d’un autre, l’éthique de Kirby a déjà été évoquée…
- Maintenant, si on compare les travaux existants sur lesquels, sur ordres de Stan, Kirby et Ditko ont permuté…
- L’histoire de Spider-Man contre les FF montre que Ditko a fidèlement recopié la version de Kirby, tant dans sa narration que dans ses compositions, en la condensant habilement dans l’intrigue du Chameleon.
- La couverture d’Amazing Fantasy 15 reprise par Kirby montre la même scène (Spider-Man transportant un gangster dans le ciel de NYC), mais sous un angle totalement différent. Kirby n’a donc pas copié, chose qu’il exécrait faire… Si la version de Ditko est une plongée, celle de Kirby est une contre-plongée… Mais outre l’impact dramatique radicalement différent des deux versions, ne faut-il pas également y voir un reflet des philosophies de ces deux créateurs concernant leurs semblables ?
En l’ occurence je pense que non. Je pense juste que Lee trouvait que la plongée manquait de force.
Vous avez sans doute raison mais je peux parfaitement imaginer Lee dire à Kirby : » Tu vois Ditkoa fait trop de plans larges ça manque d’ impact, rapproche-toi…Fais un truc plus punchy » Car c’ est souvent le cas, on se rapproche dans un second temps, dans un premier on veut tout montrer et on choisit moins.
Disons que j’ admets volontiers que vous ayez raisons mais pour en être certain il me faudrait un peu plus.
Toutefois que cela n’ empèche pas d’ autres articles aussi intéressants.
Par reprendre le travail, j’ entendais… si nécessaire à la qualité… Pas voler un travail à quelqu’ un d’ autre, bien sur.
Franck Biancarelli
Disons que Kirby respectait le travail de tous si ce n’est que parce qu’ils devaient eux aussi nourrir leur famille. Il a fallu qu’Evanier (alors assistant de Jack) convainque Jack de se plaindre auprès de Julie Schwatz (je crois), pour qu’il foute Colletta à la porte de son titre (New Gods?). En effet, Jack n’était pas très fan, mais c’est quand Evanier mettait en évidence des endroits où Colletta effaçait carrément certains personnages dans une foule (par exemple) qu’il s’est décider à parler à Schwatz. Jack n’a rien eu à se reprocher question d’éthique.
Denis Rodier
Bonsoir,
Oui… Les planches originales de Ditko seraient bien utiles pour savoir s’il y a bien eu bricolage et remontage. Grâce à des amis collectionneurs, je suis sur leur piste… Croisons les doigts.
Pour revenir aux deux versions de l’histoire de Spider-Man, il ne s’agit pas de plans plus ou moins larges ou rapprochés, d’une « reprise » avec une vision différente, mais bien de 18 cases quasiment identiques. Je pense que Ditko a reçu l’ordre de Stan de reprendre cette histoire dans des délais assez brefs, d’où la recopie. Ce travail de production n’enlève rien au talent de Ditko (cf : les Strange Tales avec Doctor Strange, absolument génial).
Comme vous, je pense que Stan a bien fait de faire refaire la couverture d’Amazing Fantasy 15 Ã Kirby. Elle a plus d’impact…
Concernant la philosophie des auteurs, je faisais référence à Ayn Rand et à sa « Vertu de l’égoïsme » pour Ditko. Kirby, sur le sujet, disait « J’aime naturellement les gens. Cette forme spéciale de dessin (les super-héros) représente mon idéal de ce que j’aime chez l’homme et la femme en général ».
Cher Gilles et Jean je vous ennuie une dernière fois et j’ espère ne pas être trop lourd.
La nuit portant conseil, voici synthétisé, ce que je pense.
Je mets ma main à couper que si ces pages ont été refaites c’ est parce que Stan Lee les a jugées « pas assez bonnnes ».
Il les a jugées « pas assez bonnes » que ce soit Ditko ou Kirby qui les aient faites.
Vu que nous somes au tout début de Spiderman et que les FF sont aussi dans le coup, je pencherais pour l’ idée que Ditko a fait les pages. Lee les a trouvées loin de l’ esprit Marvel et a demandé à Jack Kirby de les refaire, par exemple en resserant plus sur les personnages ou en dessinant de façon plus construite le personnage de « Tthe Thing », etc..
Comme Kirby dessinait sans soucis tout et n’ importe quoi, nul problème pour lui de reprendre des desssins équivalents à ceux de Ditko mais en les rendant plus directement efficaces.
Mais c’ est peut-être l’inverse.
Peut- être que ce sont les pages de Kirby qui ont été jugées trop faibles…
Toutefois, à cause de la présence des FF, j’ ai du mal à y croire.
Cordialement.
Franck Biancarelli
Il y a des éléments qu’ils ne faut pas oublier. Avec le recul, c’est facile de dire que Jack était le Dieu de Marvel, mais l’industrie était en récession et Stan n’avait que des succès mitigés avec ses titres comme Strange Tales (où Jack contribuait).
Avec le succès surprise de la refonte de Flash, chez DC, ils ont essayé les FF qui en soit, est un amalgame des titres comme Stange Tales (monstres créés par accident nucléaire) et les Challengers (autre titre de Kirby).
Stan à tout de suite vu le potentiel de renouveau de la mode super-héro avec le succès surprise des FF. Première chose au programme, demander à Jack de reproduire le succès sur d’autres titres. D’autres ballons d’essai sont publiés dans les titres d’anthologie, Hulk, Thor, Cap America (en récup’).
Mais voilà , Jack n’a lui aussi que 24h de disponible dans une journée. C’est pourquoi il lâche très vite Avengers et X-Men.
Il est possible que Spider-man tombe dans le même cas de figure. Il ne faut pas oublier que ce n’est qu’à posteriori que l’on peut juger du succès phénoménal de Spider-Man, mais à la base, avec seulement un croquis devant le nez, ça a pu paraître évident qu’un Cap America ou Thor. C’est un concept un peu idiot à la base (tout comme le Silver Surfer en fait) et le personnage a aussi pu paraître comme un plagiat à peine déguisé de The Fly.
Dans le cas où Stan n’aurait pas jugé Ditko à la hauteur, c’est possible, mais il faut se rappeler qu’il n’en était pas à ses premières armes avec Stan.
Mon impression est qu’au constat de succès des FF, Stan a demandé à tous ses dessinateurs de copier le style de Jack. C’est ce que Kane Buscema et Romita ont rapporté.
Denis Rodier
Effectivement… Les titres Atlas-Marvel étaient des succès limités (avec une distribution autour de 150 000 ex. par revue), avant l’essor.
Par contre, les revues anthologies (Strange Tales, Tales to Astonish, Tales of Suspense…) n’ont pas véritablement publié des jalons d’essais des futurs super-héros Marvel. A quelques exceptions près, c’est un argument de vente pour les marchands de comics afin de les vendre aujourd’hui plus chers.
Les super-héros sont apparus dans cet ordre : FF, Hulk, Thor, Spider-Man, Ant-Man, Torch, Iron Man, Sgt. Fury, X-Men / Avengers, Captain America, Daredevil.
Au début de Spider-Man, Jack avait encore un peu de temps pour le dessiner (même s’il produisait en plus des Westerns et des Romances).
Je suis d’accord avec vous sur ce point. Si Stan a jugé la version Kirby pas à la hauteur, c’est parce que l’histoire n’a pas d’intrigue et se concentre sur une simple bagarre avec les FF. D’où l’ajout du Chameleon dans la version Ditko.
En fait, je ne vois aucun argument pour dire que la version Ditko de ASM 1 soit l’originale (Ã part la date de parution qui ne prouve rien).
Les FF dessinés par Ditko dans cet épisode n’ont pas grand chose à voir avec ceux qu’il dessine ailleurs (sur les pin-ups d’Amazing Spider-Man Annual 1, par exemple, où ils sont beaucoup plus mastocs et dans des positions improbables « Ditkoiennes »). Ici, le mouvement est plus dynamique et les idées sont Kirbyesques à souhait (cf : Mr. Fantastic étendant ses bras ou faisant rempart entre les combattants).