Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Clair-obscur dans la Vallée de la Lune » par Fanny Montgermont et Alcante
Les voyages forment la jeunesse, dit-on. Il est encore plus vrai qu’ils forment les plus vieux, ce que tend à prouver « Clair-obscur dans la Vallée de la Lune ». Mais l’album de Montgermont et Alcante souligne à quel point le voyage est une façon d’aller former les autres, tout comme on se forme inévitablement auprès de ceux qui voyagent. Ainsi en est-il du couple touriste et guide. Qui forme l’autre, au bout du compte ?
Au Chili, José Suarez est un guide, mais c’est aussi un homme taciturne, replié sur son passé, trainant une lourde pierre dont le récit dévoile peu à peu les contours. A ses côtés, pour visiter les hauts-plateaux, Joan, une Américaine apparemment pleine de vie dont l’histoire révèle qu’elle est aussi pleine de mort… En se côtoyant, quelquefois en se rudoyant, l’un et l’autre vont devoir se découvrir d’un aveu, se défaire d’une fêlure, se dépouiller d’un secret… Car voyager est un inévitable piège à se remettre en question ou en cause, et vivre au quotidien avec quelqu’un un étonnant voyage à ras des mots, à ras des émotions, surtout quand les souvenirs et de lourds pavés de passé, qui lestaient jusque là la vie de chacun, commencent à branler… C’est alors qu’il faut tout se dire, sinon trahir, jusqu’à oublier le pourquoi du voyage qui d’extérieur devient intérieur.
La Vallée de la Lune est une région du désert d’Atacama qui ose associer d’immenses dunes de sable et une vallée au sol tapissé de sel à la blancheur aveuglante. C’est dans ce désert immaculé, époustouflant, que la touriste se demande comment son guide fumant son joint de cannabis ne peut se suffire d’un tel spectacle pour s’évader. Il y a pourtant des passés dont on ne se s’évade pas et des emprisonnements psychologiques constamment ressassés… d’où émerge le nom de Pinochet ! Alors, même ce lac salé piqueté de flamands roses éblouissant Joan n’est que poudre aux yeux, mais pas pour toujours. Quelque part, José s’en rend compte peu à peu : c’est elle qui le guide…
Le dessin aux couleurs souvent délavées de Fanny Montgermont, ses sols, ses murs ou ses ciels sans aspérité, laisse place à la rugosité des caractères et aux paroles qui blessent. Le malaise est d’autant plus grand qu’on ne sait évidemment pas où nous mène Alcante et qu’on a tendance à juger ses personnages un peu trop vite. C’est voulu, c’est bien fait ! C’est le côté clair-obscur de sa force !
 Vous pouvez retrouver ce désert hors du commun dans l’album « Sous le ciel d’Atacama », reportage concocté par Pierre Christin et Olivier Balez pour le numéro 8 de la revue XXI , puis réédité en album chez Casterman (en 2010). La BD de 32 planches est suivie d’un dossier complémentaire d’une quarantaine de pages qui oscille entre le carnet de voyage des auteurs (croquis, photos, commentaires…) et un rédactionnel documentaire consacré au plateau de Chajnantor où se construit le plus grand laboratoire de radioastronomie du monde.
Alors, bon voyage !
Didier QUELLA-GUYOTÂ ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook)
« Clair-obscur dans la Vallée de la Lune » par Fanny Montgermont et Alcante
Éditions Dupuis (14,95 €) – ISBN : 978-2-8001-4916-5