Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...The « New » Neaud !
Excellente surprise de ce début d’année 2012, « Guerre Urbaine », le premier volet de « Nu-Men » (prononcez « New Men »), riche récit d’anticipation et de politique-fiction nous entraîne loin des sentiers autobiographiques battus de l’auteur du « Journal ». Sans surprise cependant : Fabrice Neaud ayant toujours fait part de son intérêt pour d’autres genres que le récit de vie dessiné.
Et ne dites d’ailleurs pas à Fabrice Neaud qu’on ne l’attendait pas vraiment là : « Les gens qui connaissent et suivent mon travail ne seront pas surpris. Je n’ai jamais caché ma passion, présente dès les premières pages du « Journal », pour la science fiction et les comics », réplique-t-il du tac au tac !
On n’attendait pas non plus le cofondateur d’« Ego comme X », un des fleurons de l’édition dite « indépendante », chez Soleil, même dans le label Quadrants : « en fait, nous explique-t-il, je connaissais les éditions Soleil de l’intérieur par l’intermédiaire de Denis Bajram, avec qui je suis ami et très complice. Quand, avec Valérie Mangin, Denis a créé Quadrants, j’ai développé un projet de super-héros, qui avait pour titre « Europa ». J’en avais alors crayonné 8 planches, que Denis a encré et mis en couleurs. » On se rappelle par ailleurs sa participation à « Trois Christs », des mêmes Valérie Mangin et Denis Bajram, dont il avait dessiné les parties introductives et conclusives des trois récits composant l’album.
Si le développement d’« Europa » reste pourtant lettre morte, des raisons personnelles « assez dramatiques » poussent Fabrice Neaud à avancer sur des projets autres que la suite du « Journal », dont il comprend que le durcissement législatif et juridique en matière de respect de la vie privé risque d’en bloquer la poursuite : « J’ai alors eu envie de faire une tentative vers une série cartonnée classique, composée d’albums en 46 planches couleurs et de relancer « Révoltes Urbaines » un vieux projet de science fiction, dont j’avais dessiné les premières pages. Comme je disposais de toute la matière d’« Europa », j’ai utilisé cette dernière comme background pour élaborer « Nu-Men », que je voulais être un récit d’anticipation brodant sur la théorie du complot, un peu à la « X-Files », même si ce premier volet s’apparente plus à de la politique fiction.»
Dès lors, Fabrice Neaud se concentre sur cette nouvelle série : « Je suis très long à me mettre à la tâche, nous confie-t-il, mais ensuite je dessine très vite. Je fonctionne à l’énergie immédiate. Je n’ai réalisé aucun croquis ou brouillon pour « Nu-Men ». »
On retrouve bien sur les influences graphiques de l’auteur, comics et mangas en tête – « Akira » en particulier – sur son travail, qu’il revendique, et dont il reste quelques traces : « ça a été super important pour moi mais c’est assez loin. Celle ci était beaucoup plus présente dans le « Journal » car j’ai du adapter mon graphisme à une mise en couleurs, en transformant les hachures en aplats noirs, en jouant sur les ombres de cinéma, à la manière de Bryan Hitch, et au format de l’album, ce qui excluait un découpage gaufrier « à la manga », tout en essayant de densifier le récit au maximum, jusqu’à exploiter les pages de garde pour le servir. »
Dans « Nu-Men », où l’intrigue très rythmée se mêle à la critique sociale et à la vision géopolitique de l’auteur, le monde décrit par Fabrice Neaud est chaotique et soumis aux poussées antidémocratique,
mais il « n’est rien d’autre que celui d’aujourd’hui, 40 ans plus tard, en tenant compte de la dérive droitière actuelle. Ce qui fait que ce récit est de la science fiction réside dans la disparition physique des États-Unis. Actuellement, l’Europe ne s’en sort pas. Il n’existe pas de réponse des gens intelligents sur les valeurs de laïcité ou de République. Nous n’assistons qu’à des discours stigmatisant ou glorifiant sur les communautés, entraînant des replis identitaires et un nationalisme exacerbé. Le basculement à droite vire progressivement mais inexorablement vers l’extrême droite et ses dérives sécuritaires. Je n’émets pas de jugement, je vis dans ce monde là. Je vis tous les jours ces rapports entre les gens, la violence et, au bout du compte, l’héroïsme modeste. »
Un héroïsme modeste incarné ici par Anton Csymanovski, sergent au physique avantageux de l’armée régulière européenne. Car il serait inutile de cacher le coté « gay-friendly » du récit : « c’est évident ! Comme si on disait à Russ Meyer qu’on voit des gros seins dans ses films ! Mais on occulte le sujet pour ne parler que de ça. Dans « Nu-Men », Il y a plus de personnages féminins que masculins. C’est un récit fédérateur et de nombreux lecteurs vont juste découvrir un « nouvel auteur » sur un projet de science fiction. Je ne fais pas de clin d’oeil communautaire : je m’en fous. Je ne pense pas à maîtriser le nouveau lectorat ni à me dénaturer pour plaire à un public large. »
Laurent TURPIN
« Nu-Men » T1, « Guerre urbaine » par Fabrice Neaud
Éditions Quadrants (13,95 €) – ISBN : 978-2-30201-608-8