Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
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Une histoire de la BD et du comic book canadien et quebecois vient de paraître « Beyond the Funnies: The History of Comics in English Canada and Quebec » A ce propos vous pouvez découvrir un aperçu de l’histoire de la BD et du comic au Canada rédigé par John Bell,l’un des auteurs, de cet ouvrage.
Les origines, 1900-1940
La bande dessinée canadienne anglophone est née au début du XXe siècle sous l’impulsion de quelques dessinateurs et auteurs qui adoptèrent quelques-unes des conventions des strips, la bande dessinée des quotidiens, alors émergents, tels que la succession des cases, les phylactères ou les personnages récurrents. Nombre d’entre eux rejoignirent les principaux centres de l’édition de bande dessinée américaine. Parmi les contributeurs canadiens anglophones les plus marquants des « pages de divertissement », notons Palmer Cox (The Brownies), H.A. MacGill (The Hall-Room Boys), Arch Dale (The Doo Dads) et Jimmy Frise (Birdseyes Centre).
Dans les années 1920, la bande dessinée d’humour est une forme artistique populaire reconnue en Amérique du Nord, fortement dominée par les journaux des Etats-Unis. La Grande Dépression apporta cependant des changements significatifs et les éditeurs répondirent aux besoins d’évasion grandissants du public. Les premiers récits d’aventure, Buck Rogers et Tarzan (dessiné par Harold Foster, natif de Hallifax) apparaissent en 1929 et sont suivis de classiques tels que Dick Tracy, Flash Gordon et Prince Valiant (le chef-d’œuvre de Foster). Au Canada, le succès des récits américains engendra deux séries, Men of the Mounted et Robin Hood, écrites par Ted McCall pour le Telegram de Toronto.
Les années 1930 voient naître un nouveau support pour la bande dessinée : le livre. A la suite de la parution en 1933 de Funnies on Parade, de nombreux éditeurs, dont l’homme d’affaires canadien Jake Geller (Comics Cuts), se lancèrent dans la publication de périodiques. Si les premières réalisations furent des rééditions, les suivantes utilisèrent de plus en plus du matériau inédit. Le succès est tout d’abord timide, mais l’industrie de la bande dessinée prend rapidement de l’importance avec la parution en 1938 de Action Comics N°1, qui présente les aventures de Superman, le premier super-héros d’importance. Créé par Jerry Siegel et Joe Schuster (natif de Toronto), il sut toucher une corde sensible et inspira de nombreux avatars. Avec son développement, l’industrie de la bande dessinée attira quelques artistes canadiens, dont le dessinateur Albert Chartier et le scénariste Charles Spain Verral.
Avec la déclaration de guerre de septembre 1939, la popularité phénoménale de la bande dessinée américaine continua de croître au Canada. Mais le pays devait s’adapter à une économie de guerre, et les mesures adoptées privèrent brutalement la jeunesse canadienne de leurs héros américains préférés. Confronté à un déficit commercial avec les Etats-Unis de plus en plus important, le gouvernement fédéral vota en décembre 1940 une loi sur les échanges commerciaux en temps de guerre qui limita l’importation de biens non essentiels tels que les magazines de fiction, catégorie qui incluait les pulps et la bande dessinée.
L’Âge d’or canadien, 1941-1946
La pénurie qui en résulta fut de courte durée pour les marchands de journaux canadiens. Alors que les bandes dessinées américaines continuaient de triompher dans les journaux, d’étranges publications nouvelles offrirent rapidement leurs propres héros aux jeunes Canadiens. Quatre éditeurs s’engouffrèrent dans la brèche offerte par ces dispositions commerciales protectionnistes : Maple Leaf Publishing à Vancouver, Anglo-American, Hillborough Studio et Commercial Signs of Canada (qui deviendra plus tard Bell Features), tous trois de Toronto.
Les premières bandes dessinées canadiennes anglophone voient le jour en mars 1941 : Robin Hood and Company (Anglo-American) et Better Comics (Maple Leaf). Si Robin Hood paraît en format tabloïd, en noir et blanc et propose des rééditions, Better Comics est publié dans un format classique et partiellement en couleurs. Il présentait aussi des inédits, dont le premier super-héros canadien, The Iron Man (l’homme d’acier) de Vernon Miller, dessinateur formé aux studios Disney. Ils furent bientôt suivis par Freelance (Anglo-American, juillet 1941), Triomph-Adventure-Comics (Hillborough, août 1941) et Wow’s Comics (Bell Features, septembre 1941).
En 1942, Hillborough et Bell Features fusionnent, et un nouvel éditeur se lance à Montréal, Educational Projects. L’année suivante, F.E. Howard, entreprise de Toronto, commence à produire. A la fin de 1943, une vingtaine de publications canadiennes paraissent régulièrement, dont Active Comics, Canadian Heroes, Commando Comics, Dime Comics, Grand Slam Comics, Lucky Comics, Rocket Comics et Three Aces. A lui seul, Bell Features diffuse plus de 100 000 exemplaires par semaine.
Les titres canadiens couvrent une grande variété de genres : guerre, humour, science-fiction, super-héros, westerns, entre autres. Parmi les héros les plus populaires, on trouve Dixon of the Mounted, de E.T. Legault, Rex Baxter, de Edmond Good, Phantom Rider, de Jerry Lazare, Speed Savage, de Ted Steele, Freelance, de Ted McCall et Ed Furness et Brok Windsor, de Jon St Ables. Citons aussi les trois super-héros nationaux engagés dans la bataille contre les forces de l’Axe : Nelvana of the Northern Lights, de Adrian Dingle, Johnny Canuck, de Leo Bachle et Canada Jack, de George Rae.
Malgré leur succès, particulièrement pendant les années 1943 et 1944, les bandes dessinées canadiennes ne durent pas. A la fin de la guerre, l’embargo sur les productions américaines se relâche, puis est levé. Apparemment découragé par l’invasion de bandes dessinées américaines en couleurs, Educational Projects jette l’éponge à l’automne 1945. Maple Leaf, Anglo-American et Bell, pour leur part, tentent de résister en améliorant leurs séries, en passant à la couleur et en cherchant des débouchés hors du Canada. Cependant, malgré ces efforts, la concurrence américaine demeure écrasante.
Bien que quelques nouveaux éditeurs voient le jour durant les années 1945-46, l’explosion de cette culture populaire autochtone (appelé l’Âge d’or de la bande dessinée) est révolue fin 1946. Bon nombre de héros canadiens disparaissent, laissant un souvenir ému, mais de plus en plus pâle, à tous ceux qui ont grandi pendant les années de guerre.
Haro sur la bande dessinée, 1948-1966
Après l’Âge d’or, Edmond Good (Bell), Mel Crawford (Bell), Leo Bachle (Bell) et quelques autres rejoignent l’industrie américaine de la bande dessinée. La plupart des auteurs cesseront leur activité bien que certains, tels George Rae (Educational Project), Jerry Lazare (Bell) et Harold Bennett (Bell), poursuivront une carrière d’illustrateur. Adrian Dingle (Bell) et Harold Town (Anglo-American) deviendront des artistes de renom. Sid Barron (Educational Project) se révéla comme un dessinateur politique de premier plan.
Mais la bande dessinée canadienne n’est pas totalement morte. Fin 1947, le pays connaît une nouvelle crise et impose un deuxième embargo sur la production américaine. Cette fois à une différence cruciale près : les éditeurs peuvent importer les plaques d’imprimeur, ce qui leur évite l’obligation d’une création originale. Par conséquent, une importante activité de réédition se développa au Canada entre 1948 et 1951, date à laquelle les restrictions furent levées. Parmi les entreprises qui y participèrent, figurent Bell, Anglo-American, Export, Superior, Wilson, Daniels, Publication Services, Derby, Gilberton Publications et Better Publications.
Superior Publishers, à Toronto, le principal éditeur de cette époque, produisait aussi des bandes dessinées originales, contrairement à ses confrères. Bien qu’il employât tout d’abord des artistes canadiens tels que E.G. Letkeman et Bill Thomas, Superior se tourna vers un fournisseur américain, Iger Studio. Cet éditeur s’était spécialisé dans quatre genres : le sentimental, le policier, l’horreur et la guerre.
L’année où apparaissent ces rééditions, la bande dessinée devient la cible d’une croisade nationale. Conduit par des leaders influents et engagés, tels qu’Eleanor Gray, militante d’une association de parents et de professeurs ou E. David Fulton, membre du parlement fédéral, le mouvement cherche à éradiquer les bandes dessinées policières, auxquelles on reproche de favoriser la délinquance juvénile et une foule d’autres problèmes sociaux. A la fin de 1949, cette campagne aboutit à la promulgation d’un amendement au Code civil qui proscrit la production, l’impression, la publication, la distribution et la vente des bandes dessinées policières.
Mais il apparut évident que ces nouvelles dispositions légales était incapable d’endiguer le flot de bandes dessinées policières, horrifiques ou sentimentales. Les militants canadiens cessèrent leur campagne et joignirent leurs forces à celles du Dr Frederic Wertham, l’auteur de Seduction of the Innocent (1954), et à d’autres alliés américains. De nombreuses manifestations furent organisées par des associations civiques, scolaires ou religieuses, dont l’autodafé de bandes dessinées. Au Canada, sous la pression de ces actions répétées, plusieurs procès eurent lieu. Aux Etats-Unis, des auditions d’une sous-commission du Sénat aboutirent à la création du Comics Code Authority qui tendit à imposer une autocensure à la profession. L’année suivante, Superior, le dernier éditeur canadien survivant (et principal opposant à la censure) cessa de produire.
Pendant la décennie qui suivit, la plupart des bandes dessinées disponibles sur le territoire canadien sont américaines, et aseptisées. La production locale se limitait à celle de deux studios, Ganes Production, à Toronto, et Comic Book World, à Halifax, et à quelques strips, dont One-Up, de Lew Saw, Larry Brannon, de Winslow Mortimer, Nipper, de Dough Wright (qui prendra le nom de Dough Wright’s Family) et Ookpik, de Al Beaton.
Visions avant-gardistes, 1967-1988
Au milieu des années 1960, la répression qui dominait la culture populaires la décennie précédente est remise en cause. En réalité, l’ensemble de l’activité culturelle se redéfinit et prend un élan nouveau – dont la bande dessinée. Entre 1967 et 1974, plusieurs éditeurs canadiens, littéraires et marginaux, publient des bandes dessinées provocantes, destinées à un public adulte, avec des titres comme All Canadian Beaver Comix, Beer Comix et Fuddle Duddle. Appelés « comix » pour les distinguer des ouvrages publiés sous le règne du Comics Code, ces bandes dessinées underground proviennent majoritairement de quatre centres : Toronto, Vancouver, Saskatoon et Ottawa. Les principaux auteurs qui contribuèrent à la rébellion du comix sont Rand Holmes, Brent Boates, Dave Geary et Stanley Berneche.
A la fin de l’époque underground, alors que l’on redécouvre les réalisations de l’Âge d’or et qu’un véritable intérêt pour la production nationale voit le jour, l’expression artistique délaisse progressivement les thèmes de la contre-culture pour la science-fiction, la fantasy, les super-héros et autres. A l’instar des comix, ces nouveaux titres, ce que l’on a pu appeler la bande dessinée d’avant-garde, étaient essentiellement destinés à un public averti. Deux facteurs déterminants contribuent à leur succès : l’introduction d’un nouveau système de distribution et un réseau national de points de vente spécialisés.
Bien que les années 1967-1974 ont vu une régénération de la bande dessinée canadienne anglophone, les strips des journaux ne connurent pas une pareille transformation, malgré quelques tentatives novatrices comme The Giants, de Norm Drew et Jasper, de James Simpkin.
La période suivante, entre 1975 et 1988, qui vit apparaître la première vague de bande dessinée d’avant-garde, pourrait être considérée comme l’Âge d’argent (en référence à l’Âge d’argent américain, de 1956 à 1969). Des dizaines de titres ont vu le jour, issus d’éditeurs alternatifs tels que Orb Publications, CKR Publications, Andromeda Publications, Aardvark-Vanaheim, Vortex Publications, Matrix Graphic Series, Strawberry Jam et Aircel. Parmi les principaux titers de cette période, citons Orb, Captain Canuck, Mister X, Reid Fleming, World’s Toughest Milkman, New Triumph et Stig’s Inferno. Le plus important d’entre eux est probablement Cerebus, de Dave Sim, un mensuel né en décembre 1977, ce qui en fait la plus ancienne série canadienne. Cette épopée en 300 épisodes s’est achevée début 2004. Durant ses 26 années d’existence, l’œuvre de Sim a été l’objet de nombreuses controverses, principalement causées par ses opinions provocatrices sur le féminisme et autres sujets. L’influence de Sim sur les autres auteurs est cependant indéniable.
Bien qu’il y eut des signes à la fin de 1985 d’un essoufflement du marché de la bande dessinée d’avant-garde, c’est le contraire qui se produisit en 1986 : le domaine connut une expansion sans précédent, due à l’origine à la spéculation des collectionneurs. La plupart des éditeurs avaient déjà étendu leur gamme en 1986 et 1987 pour répondre à la demande de bandes dessinées nouvelles. De la même façon, de nombreux éditeurs nouveaux entrèrent en jeu, parmi lesquels on notera Artic Comics (Nick Burns), Dan Panic Funnies (Panic Productions), Privateers et Project : Hero (Vanguard Graphics), M the Electronaut (Icon Text), Icon Devil (Spider Optic’s Comics). En plus de ces périodiques, Aircel, Vortex et Aardvark-Vanaheim se mirent à produire des romans graphiques et des compilations.
Malheureusement, le marché de la bande dessinée d’avant-garde en Amérique du Nord allait connaître une sévère déconvenue. Nombre de titres qui envahissaient les étals étaient de qualité médiocre, voire affligeante. Et bientôt l’inévitable se produisit : le déluge de titres provoqua l’engorgement. Par conséquent, les collectionneurs se firent tout à coup circonspects et avisés. Les distributeurs, qui avaient accumulé de grandes quantités de bandes dessinées alternatives quand le marché se développait, se rendirent compte qu’ils avaient de la peine à écouler leur stock. Lorsque la bulle creva au premier trimestre 1987, le déclin s’amorça brutalement en Amérique du Nord. Cette tendance se prolongea toute l’année et la suivante. Peu d’éditeurs canadiens purent survivre à ce renversement de tendance.
La crise financière ne fut pas le seul problème auquel furent confrontées les nouvelles bandes dessinées avant-gardistes. A mesure que des sujets plus adultes étaient abordés, la censure exerça son action contre les points de vente qui distribuaient les ouvrages. En outre, les douanes canadiennes surveillèrent de plus en plus attentivement les livraisons des bandes dessinées en provenance des Etats-Unis (cette vigilance s’exerça jusqu’à la fin des années 1990).
De 1974 à 1988, on observa d’autres changements notables. Tout d’abord, un nombre grandissant d’auteurs canadiens investirent l’industrie des Etats-Unis, à commencer par le très admiré John Byrne. Parmi ceux qui prirent leur marques dans le milieu américains, citons Gene Day, Dan Day, Jim Craig, Rand Holmes, Geof Isherwood, Ken Steacy, Dean Motter, George Freeman, Dave Ross, David Boswell, Michael Cherkas, Larry Hancock, Ty Templeton, Bernie Mireault, William Van Horn et Jacques Boivin. A la différence de Byrne, la plupart d’entre eux demeurèrent au Canada.
Deuxièmement, l’amélioration des techniques de photocopie donna naissance à une industrie de micro-édition très dynamique, un nouvel underground où les idées avant-gardistes purent se développer. Parmi les auteurs qui œuvrèrent dans ce domaine, on trouve Chester Brown, Colin Upton, John MacLeod et Julie Doucet.
Troisièmement, cette période vit naître nombre d’importants strips, dont Herman, de Jim Unger, Outacasts, de Ben Wicks, Pavlov, de Ted Martin, The Byrds, de Vance Rodewalt et For Better and for the Worse, de Lynn Johnston. En 1986, Johnston fut la première Canadienne – et la première femme – à recevoir le convoité prix Reuben, la plus haute distinction dans le domaine de la bande dessinée.
La bande dessinée canadienne anglophone parvenait à une nouvelle maturité. D’où la question : maintenant qu’elle est devenue en apparence une forme d’art adulte (bien que contestée), sera-t-elle capable de survivre à la décennie suivante, alors que le marché constate des métamorphoses et que des menaces imprévues voient le jour ?
De nouvelles directions, 1989-2006
Depuis 1989, l’industrie nord-américaine a subi plusieurs restructurations délicates lorsque les éditeurs, les distributeurs et les auteurs ont été contraints de s’adapter aux changements économiques, technologiques et culturels. On assista alors au développement séparé de trois sous-cultures : la bande dessinée traditionnelle (principalement les super-héros), la bande dessinée d’avant-garde et les fanzines de la micro-édition.
Entre 1989 et 1995, nombreux sont les Canadiens présents dans le domaine des super-héros américains, dont Kim Steacy, George Freeman, Gabriel Morrissette, Neil Hansen, Kent Burles, Stuart Immonen, Dale Keown, Denis Rodier, Tom Grummett, Ty Templeton, Richard Pace, Dave Ross, Peter Grau, Jason Armstrong, Max Douglas, Jean-Claude St-Aubin, Mark Schainblum et Lovern Kindzierski. Le plus important d’entre eux, et de loin, est Todd McFarlane qui s’imposa à la fin des années 1980 lorsqu’il travaillait pour Marvel Comics. En 1991, il quitte Marvel après un désaccord portant sur ses droits d’auteurs, frappant de stupeur des hordes d’amirateurs. Au début de l’année suivante, il rejoignit d’autres auteurs et participa à la création d’un important éditeur, Image Comics. Peu après, Image Comics publie Spawn de McFarlane, qui s’imposera dans le monde entier.
Le rapide succès de Image Comics précipita la mutation du super-héros en tant que genre. Tout au long des années 1990, la figure du super-héros se fait plus « adulte ». Malheureusement, cela ne s’est pas concrétisé par une recherche de profondeur ou de sophistication, ni par l’apparition de personnages plus complexes ou crédibles ; au contraire, le résultat a été une augmentation de la noirceur, de la violence dans des récits réalistes mettant en scène une incroyable galerie de héros musculeux et d’anti-héros.
Il n’est de ce fait pas étonnant que le lectorat des super-héros soit en régression depuis le milieu des années 1990. En plus du déclin général de la qualité des scénarios, le genre a été attaqué par d’autres maux, peut-être plus mortels, comme la désaffection des jeunes lecteurs, la concurrence des autres médias, des jeux vidéo, et par la nature limitée de l’univers des super-héros.
Une conséquence de ce déclin fut que beaucoup d’auteurs canadiens qui étaient actifs dans la bande dessinée de super-héros dans les années 1980 et au début des années 1990 ont quitté la scène (nombre d’entre eux dessinent aujourd’hui pour la télévision, le cinéma ou l’animation). Notons cependant que quelques Canadiens importants continuent d’œuvrer dans ce genre, comme John Byrne, Todd McFarlane, Ken Steacy, George Freeman, Ty Templeton, Dave Ross, Denis Rodier, Tom Grummett et Dale Keown. Ils ont été en outre rejoints au milieu des années 1990 par de nouveaux arrivants tels que Laurie E. Smith, Sandy Carruthers, Neil Vokes, Yannick Paquette, Tim Levins, Darwyn Cooke, Cameron Stewart, Cary Nord et Steve McNiven.
Quant à l’édition de bandes dessinées au Canada, elle reste particulièrement pauvre. Une des rares lueurs fut l’émergence de Dreamwave Productions, créé par Pat Lee.
Alors que le super-héros chancelle pendant la décennie, la bande dessinée d’avant-garde, d’un point de vue esthétique, a prouvé son dynamisme et a engendré des créations parmi les plus originales et passionnantes en Amérique du Nord. L’équilibre économique de ce type d’édition reste cependant précaire, ce qui n’a pas empêché quelques éditeurs de rentrer courageusement dans la danse, comme Tragedy Strikes Press, Mad Monkey Press, Semple Comics, Predawn Productions, Davan and Associates, Egesta Comics, Blind Bat Press, Planet Lucy Press, Subterranean Comics, High Impact Studios, I Box, Crash Communications, Ironlungfish Press, Deep-Sea Comics, Fractal Comics, Helikon Comics, Dreamer Comics, Catfish Comics, Aporia Press et Too Hip Gotta Go Graphics.
La plupart de ces nouveaux éditeurs ont produit pendant un an ou deux, puis ont cessé leur activité. Deux exceptions notables : Black Eye Productions, vivace pendant quasiment toute la décennie 1990, et Drawn and Quarterly, créé en 1990, dont l’importance est toujours forte aujourd’hui. Ces deux entreprises partagent la même exigence de qualité, avec des auteurs canadiens ou d’ailleurs, et considèrent la bande dessinée comme une expression artistique à part entière. Elles ont accueilli des œuvres non conventionnelles et suscité l’innovation, que ce soit dans la technique graphique que dans les thèmes abordés. Dans le cas particulier de Drawn and Quarterly, l’engagement dans l’excellence et l’expérimentation, associé à un solide sens commercial, a placé cet éditeur au premier plan de la scène canadienne – et bientôt internationale. A mesure que l’on avançait dans la décennie, il apparut de plus en plus évident que la bande dessinée canadienne anglophone avait enfin découvert un champion en la personne de Chris Oliveros, le fondateur de Drawn and Quarterly.
Ce n’est pas un hasard si la maison d’édition d’Oliveros a vu le jour à Montréal, pépinière de la bande dessinée, où les auteurs et les lecteurs ont subi les influences européenne et américaine mais aussi celle du Canada anglophone et du Québec. Aucune autre ville en Amérique du Nord ne peut se vanter d’un mélange aussi riche de traditions. Et Oliveros s’est rendu parfaitement compte que la bande dessinée nord-américaine s’était enfermée dans le ghetto des super-héros.
Bien décidé à donner une autre direction à la bande dessinée, Drawn and Quarterly fit ses débuts en avril 1990 avec le premier numéro de sa revue Drawn and Quarterly. Peu après, Oliveros persuada Julie Doucet de faire passer son brillant fanzine Dirty Plotte à un stade plus professionnel. Puis Drawn and Quarterly attira une exceptionnelle coterie d’artistes de Toronto : Seth (Palooka-Ville), Joe Matt (Peepshow) et Chester Brown (Yummy Fur, Underwater et Louis Riel). Depuis qu’ils ont rejoint Drawn and Quarterly, ces quatre auteurs ont obtenu la reconnaissance internationale et comptent parmi les chefs de file de la bande dessinée moderne. Ils se sont révélés par leurs récits autobiographiques ; cependant Seth et Chester Brown se sont récemment orientés vers des sujets historiques.
Pendant la décennie passée, Drawn and Quarterly a lancé d’autres auteurs d’avant-garde, dont Maurice Vellekoop, Luc Giard, Carel Moiseiwitsch, Fiona Smyth, Bernie Mireault et David Collier, et a de plus publié nombre d’artistes majeurs venant d’autres horizons. On reconnaît aujourd’hui à Drawn and Quarterly, à juste titre, une importance majeure sur la scène de la bande dessinée internationale. Dans le contexte nord-américain, nul doute qu’aucun autre éditeur a plus fait pour le développement de l’avant-garde graphique.
En plus des auteurs liés à Drawn ans Quarterly (et à Aardvark-Vanenheim), d’autres Canadiens ont contribué à l’avant-garde durant les années 1990. Citons Ho Che Anderson (King et Pop Life), Greg Hyland (Lethargic Comics), Rob Walton (Ragmop), Bernie Mireault (The Jam), Diana Schutz, Jacques Boivin (Melody), Dean Motter (Mr X et Terminal City), Jay Stephens (Atomic City Tales), Dave Cooper (Weasel), David Boswell (Reid Fleming), Mike Cherkas et Larry Hancock (Silent Invasion et Suburban Nightmares.), Tara Jenkins (Galaxion) Greg Beetam et Stephen Geigen-Miller (Xeno’s Arrow), Craig Taillefer (Wahoo Morris), Pia Guerra (Y : The Last Man) et Troy Little (Chiaroscuro). Alors que plusieurs de ces auteurs ont suivi l’exemple de Dave Sim en auto-publiant avec succès leur œuvre, la plupart d’entre eux ont d’abord été accueillis par des éditeurs américains tels que Dark Horse, Fantagraphics, Caliber, Kitchen Sink et Oni Press.
Mais il n’y a pas que l’avant-garde dans la bande dessinée. Le milieu du fanzine canadien anglophone, dynamique, reste une source vivante, parfois audacieuse, de nouveautés graphiques et narratives. De nombreux auteurs majeurs ont frayé avec la micro-édition à divers moments des années 1990, dont Colin Upton, Julie Doucet, Rick Trembles (fils de Jack Tremblay, auteur de l’Âge d’or), Bernie Mireault, Greg Hyland, Jeff Wasson, Chris Howard, Luc Giard, Marc Bell, Peter Sandmark, Leanne Franson, Greg Kerr, Jean-Guy Brin, Tim Brown, Joe Gravel, Mike White et Dave Howlett. Ces dernières années, quelques-uns d’entre eux, tout comme d’autres artistes de fanzines, se sont orientés vers Internet afin de mettre en avant leur travail ou de créer des bandes dessinées numériques.
Au moment où l’avant-garde et les fanzines prospéraient, les strips ont connu un essor inattendu. Parmi ceux qui se sont crés et ont duré le long des années 1990, notons Chubb & Chauncey, de Vance Rodewalt, Fisher, de Phillip Street, Between Friends, de Sandra Bell Lundy, Backbench, de Graham Harrop, The Coast, de Adrian Raeside et Betty, de Gary Delainey et Gerry Rasmussen. Mais le plus important d’entre eux, et de loin, reste For Better or for Worse, de Lynn Johnston, une comédie familiale par épisodes, un des plus célèbres strip humoristique du monde.
Mais les strips ne se limitent pas aux journaux d’information générale. La dynamique presse d’avant-garde a contribué au développement de l’inspiration underground dans le domaine du strip. Marc Bell, Greg Kerr, Dave Cooper, Tony Walsh, Peter Sandmark, Vesna Mostovac et bien d’autres auteurs ont donné des strips pour la presse avant-gardiste (pour la plupart des hebdomadaires) tels que Vibe, Georgia Straight, Exclaim !, X-Press, NOW, le Mirror de Montréal et The Coast.
Au début du millénaire, les meilleurs auteurs canadiens mènent l’art et la littérature dans de nouvelles voies, explorent les frontières de la narration graphique et remettent en cause les idées préconçues concernant les jugements culturels. Le défi principal qui attend ces auteurs – et leurs éditeurs – est de sortir la bande dessinée de la marge artistique et littéraire pour l’amener vers une place plus centrale dans la culture canadienne, où elle pourra rencontrer un lectorat plus important et gagner une légitimité artistique. Après plus d’un siècle d’existence, pendant lequel le droit d’exister lui a parfois été contesté, la bande dessinée canadienne anglophone a fini par rentrer dans l’âge adulte. John Bell
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