Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...COMIC BOOK HEBDO n°15 (29/02/2008).
Cette semaine, « Secret War » et « Avengers : Intégrale 1966 »
Afin d’admirer les couvertures des albums chroniqués cette semaine, veuillez cliquer délicatement sur le petit appareil photo en haut à droite de cet article…
- SECRET WAR (Panini Comics, Marvel Deluxe).
La très belle collection « Marvel Deluxe » nous propose avec cet album de revenir sur l’une des sagas les plus intéressantes – et audacieuses – de ces toutes dernières années chez Marvel. Entre Secret Wars et Civil War, il y eut en 2004 Secret War, une mini-série écrite par Brian Michael Bendis et dessinée par Gabriele Dell’Otto, qui enfonçait le clou quant à la présence de plus en plus pressante de notre histoire contemporaine dans l’univers Marvel. Certes, chez Vertigo ou Wildtorm, par exemple, des scénaristes tels que Vaughan, Morrison ou Ellis se sont déjà bien emparés du réel afin de le réinterpréter brillamment dans des réflexions et paraboles de tout premier ordre, mais la nature de leurs histoires s’apparentent plus à la science-fiction et à l’anticipation qu’au genre super-héroïque (The Filth, Transmetropolitan, Y The Last Man, etc…). Il semblait par contre plus malaisé de parler de politique intérieure ou extérieure, et de choix éthiques face au visage actuel de notre monde par le biais de super-gugusses en costumes, issus de Marvel ou DC. Je sais bien que des sujets graves ou/et importants ont déjà été abordés chez ces deux majors, mais c’était par à-coups, jamais comme cela se passe aujourd’hui par la création de contextes de longues durées aux répercussions phénoménales reflétant à ce point l’évolution sensible d’un genre entier se tournant vers notre monde réel.
Et puis il y eut le 11 septembre 2001, et non seulement le costume de Spider-Man ne fut pas à cacher mais en plus le super-héros se découvrit un rôle à tenir face au drame de l’actualité, même si ce n’était que dans des pages de fictions imprimées. Vous allez me dire, oui, et alors, pépère, et Captain America et les autres super-héros ayant participé à l’effort de guerre il y a plus de soixante ans, c’était rien ? Eh ben pépère il pense que ce qui se passe depuis quelques années dans le monde des comic books est bien différent de ce qui a pu être de par le passé. Spider-Man n’est pas parti en guerre contre les terroristes qui ont détruit le WTC, il a pleuré, et tenté d’aider les victimes, sachant où mènerait la vengeance. Aujourd’hui, les super-héros ne participent plus à l’effort de guerre dans les comics, ils n’incarnent pas un militantisme ou un engagement en faveur directe de tel ou tel gouvernement (et bien sûr avant tout le leur) : ils servent de prétexte pour se pencher sur un contexte politique, social, économique et éthique mondial, à travers des paraboles aussi proches de l’actualité que pleines de recul, seul moyen de créer une réflexion sans être coincé par des positions intenables qui seraient interprétées comme de l’ingérence ou du parti pris. Certes, on sent Marvel assez critique envers ce qui se passe aux Etats-Unis et par ricochet sur le monde. Mais elle le fait avec une belle intelligence et des valeurs qui ne souffrent jamais d’ambiguïté (mettons de côté Miller). Il y a un humanisme désespéré au détour de beaucoup de ces publications… et un constat bien amer (Civil War en est un exemple parfait).
Secret War s’ouvre d’ailleurs sur une préface anonyme d’un officier des services secrets du gouvernement américain (vraisemblablement un ami de la famille Bendis) qui nous éclaire sur la teneur de l’ouvrage. Cette histoire serait une retranscription de faits réels remaniés par Bendis à la sauce super-héroïque d’après ce qu’a pu lui raconter cet anonyme depuis de longues années. Il est impératif que je ne vous dévoile rien ici des rouages du récit afin d’en garder tout l’intérêt, mais je vais devoir néanmoins vous parler un peu du sujet afin que cet article ne soit pas trop abscons…
Une menace terrible pour la sécurité nationale semble se profiler par les apparitions de plus en plus fréquentes de super-vilains suréquipés d’une technologie de haut niveau – et qui demande donc des moyens financiers exorbitants que n’ont pas ces vilains. Qui finance la terreur ? Nick Fury, le boss du S.H.I.E.L.D., fait part de ses craintes à la Maison Blanche, mais le président refuse toute action pour éradiquer le phénomène, un acteur politique mondial semblant être mêlé à l’affaire. Fury, écœuré, décide de passer outre l’avis présidentiel pour mener lui-même cette guerre contre l’ennemi. Une guerre menée à l’insu de tous, secrète… Pour cela, il va avoir besoin de créer une équipe spéciale devant être constituée de super-héros marginaux et aptes aux combats « costauds » afin de mener à terme cette mission de tous les dangers. Si vous connaissez un peu Fury, vous ne serez pas étonnés d’apprendre que pour ce faire, celui-ci va user de toutes les méthodes possibles pour remporter cette guerre secrète, même les plus inavouables… Mais chut.
Quoi qu’il en soit, Secret War est une œuvre forte et prenante, dont on ne lâche pas la lecture comme ça. Bendis a réussi à échafauder une intrigue sans faille, redoutablement structurée sur un rythme de scènes très marquantes par le surgissement de révélations intenses qu’on ne cerne jamais clairement dans la totalité de leur évidence, ajoutant à l’angoisse montante. Entre espionnage et récit psychologique, il dépeint des situations où nos super-héros favoris sont confrontés à des événements qui les dépassent, subissant plus qu’ils n’agissent, dans un crescendo de sensations fortes et d’interrogations semblant vaines. C’est vraiment très bon, Bendis a encore assuré comme un chef ! Et que dire des peintures – plus que des dessins – de Gabriele Dell’Otto, ce jeune et ô combien talentueux artiste italien, à part que d’année en année il nous offre un travail toujours plus remarquable, gagnant en puissance dans la dynamique de ses dessins à force de se désenclaver d’une structure graphique nécessaire mais dangereuse pour tout artiste du pinceau. Dell’Otto a magnifiquement peint cette histoire. Pour lui c’était un réel challenge, la première fois qu’il accédait à un tel projet… en plus, en compagnie de Brian Michael Bendis ! On imagine la pression sur les épaules de cet artiste européen ! Force est de constater qu’il s’en est plus que bien tiré, ses planches étant tout simplement somptueuses. Le sens de la couleur est évident (avec de très beaux moments de confrontations entre le vert et le rouge), la structure des planches impeccablement installée, les personnages bien campés, et un espace graphique et esthétique des plus intéressants entre le noir et les couleurs. La lumière vient toujours s’exprimer dans un contexte coloré qui reste sombre. Du bel art, vraiment… Si cette mini-série avait été réalisée par un auteur dont le style dépend d’un encrage fouillé et réaliste (ce qu’on eut pu supposer pour un tel sujet), cela aurait tenu la route, mais ça n’aurait jamais atteint cette puissance d’évocation de l’image peinte qui apporte énormément de profondeur au propos, appuyant les zones de mystère avec une redoutable efficacité. C’est très beau.
L’une des particularités appréciables de cette œuvre est la présence en fin de chaque épisode de plusieurs pages écrites (et illustrées) nous plongeant à l’intérieur des dossiers secrets du S.H.I.E.L.D. en relation avec cette histoire, nous dévoilant (en quelque sorte, mais pas trop) les dessous de l’affaire. Ces dossiers du S.H.I.E.L.D. sont très bien faits et se parcourent avec avidité malgré un premier abord un peu « protocolaire ». Un parfait complément de fond et de forme au récit dessiné ; c’est très chouette.
L’appellation « Deluxe » s’applique complètement à cet ouvrage qui propose bien plus que les cinq épisodes de la mini-série. En effet, ceux-ci sont suivis par un numéro spécial intitulé Secret War : From the Files of Nick Fury qui venait étayer la série en proposant d’autres documents provenant des dossiers du S.H.I.E.L.D. afférant à cette guerre secrète, complétant l’histoire par des données antérieures ou spéculatives qui approfondissent le propos. Ainsi, on découvre des interrogatoires plein d’enseignement, des stratégies envisagées, des pensées personnelles de Fury… Puis s’ouvre un dossier conséquent sur l’œuvre, comprenant des témoignages de collaborateurs (rédaction, design), des croquis, recherches et planches crayonnées de Dell’Otto, le synopsis et le découpage de quelques planches par Brian Michael Bendis, les couvertures originales et quelques visuels exclusifs. Un bien bel album…
-AVENGERS : L’INTÉGRALE 1966 (Panini Comics).
BOK ! WHOOSH ! THWAK ! SPLEEANG ! WHIK ! BTOINNNG ! RROP ! ZAP ! WHIROOOM ! SPROK ! Non non, je vais bien, rassurez-vous. Je vous donnais juste un petit aperçu des onomatopées que vous pourrez apprécier en lisant ce nouveau volume de l’intégrale d’Avengers couvrant l’année 1966. Eh oui, à l’époque, on ne lésinait pas sur l’effet des onomatopées, et elles participaient pleinement au spectacle offert par ces grands enfants qui vivaient l’Âge d’Argent avec malice et passion. Avouez que « ZITTT WUHROOOM ! » dessiné en lettres de feu envahissant la case, ça en jette quand il s’agit de montrer le déclenchement d’une explosion… Je ne dis pas ça ironiquement, je trouve ça au contraire très chouette et très beau en termes de lecture mais aussi en tant que reflet culturel d’un art et de son époque (une petite pensée pour Gainsbourg et son Comic Strip).
Bref, nous sommes bien dans les sixties, et c’est encore une fois un immense bonheur de se replonger dans les œuvres de cette époque bénie pour les comics super-héroïques ! Même si Stan Lee s’efface peu à peu pour laisser place à la relève en marche et que cinq ans se sont écoulés depuis les débuts des Fantastic Four, nous sommes encore dans un contexte où l’esprit Marvel classique de l’Âge d’Argent se veut toujours aussi revigorant et spectaculaire. Mais les questionnements ne vont pas tarder à arriver… Les Vengeurs (l’équipe qui a alors le plus de succès après les FF) font évidemment partie de la dynamique de la Maison des Idées.
L’année 1966 est une date intéressante pour l’historique des Vengeurs, sur plusieurs niveaux. Tout d’abord (comme je l’ai esquissé plus haut), c’est l’année où l’illustre Stan Lee, créateur de toutes choses, se retire de la série. Ce sera exactement en décembre 1966 : The Man passe la main à celui qui sera l’un des plus importants scénaristes d’Avengers (il en écrira les scénarios jusqu’à fin 72 !) : j’ai nommé l’immense Roy Thomas. Cette année est donc celle d’un passage de flambeau remarquable. Quant aux dessins, Don Heck a succédé à Jack « The King » Kirby en octobre 1964, et c’est toujours lui qui officie en 66. Heck n’est pas Ditko ou Kirby, et son dessin parfois approximatif l’a souvent rangé au rang des deuxièmes couteaux du comic book. Malgré tout, cet homme reste quand même celui qui a dessiné Iron Man pour la première fois (c’était dans Tales of Suspense #39), et depuis ses débuts sur Avengers on ne peut que constater en lisant ces pages qu’il a fait d’énormes progrès (surtout dans la première moitié de l’année, où il apparut fort inspiré, ça se relâche un peu après).
En ce qui concerne la composition de l’équipe, elle a déjà bien changé depuis ses débuts puisqu’au début de cet album il ne reste pas un seul des membres fondateurs en fonction. Captain America est le plus ancien, et voilà déjà quelques mois qu’il est accompagné de trois individus ambigus pour former cette super-équipe se devant pourtant d’être irréprochable : Œil de Faucon, Vif-Argent et la Sorcière Rouge (ah, Wanda…). Drôle de situation qui va durer près d’un an. En effet, 1966 est aussi la date du retour de deux anciens membres importants au sein des Vengeurs : Giant-Man et de la Guêpe.
Au programme de cette fin de règne de Lee, des aventures pleines de charme, traversées par des dangers en tous genres, des plus sérieux aux plus incongrus : Fatalis, Attuma, le Scarabée, le Collecteur, le Laser Vivant, ou les Fils du Serpent… Et puis nous retrouvons certaines figures charismatiques, comme Power Man et surtout la Veuve Noire première version, habillée comme une mystérieuse vamp (miam). Le mauvais caractère d’Œil de Faucon, les doutes de la Sorcière Rouge, le rôle fédérateur de Captain America sont autant d’éléments de la vie interne des Vengeurs qui pimentent le récit en lui apportant la fameuse « touche Marvel ». En résumé, on peut dire qu’en parallèle à la publication de certaines œuvres contemporaines issues de Vertigo, Wildstorm ou ABC, l’édition de cette collection des Intégrales est l’une des meilleures initiatives éditoriales de Panini Comics, permettant à différentes générations de lecteurs de se replonger dans des classiques incontournables et fondateurs de tout un pan de l’histoire des super-héros. Les sixties ont été une période tout simplement prodigieuse pour les super-héros, nous offrant des aventures piquantes qui se lisent avec un plaisir immense… Cet album en est la vibrante preuve.
Cecil McKinley.