« Artbook » par Dupuy-Berberian et « Carnet intime » par Zep

Les BD voyagent, et leurs auteurs également. Et pas seulement pour faire des repérages. De festivals en lieux de vacances, toutes les occasions sont bonnes pour dégainer crayons et feutres. L’« Artbook » de Dupuy-Berberian ou le « Carnet intime » de Zep, en sont des exemples révélateurs et charmeurs…

Publiées au Chêne, les œuvres signées par le duo Dupuy – Berberian  sont réunies dans un ouvrage luxueux. Les croquis et le croqués signés et assignés par ces experts du dessin saisi au vif composent plus qu’une promenade tous azimut. Les centaines de dessins réalisés depuis 1995 sont reproduits chronologiquement, dans leur spontanéité et leur débordement naturel, en grand format ou en petites vignette successives (certaines doubles pages de ces carnets ainsi reproduites manquent, cependant, de visibilité). Tout est commenté, localisé avec précision, comme un rapport intime et éphémère, une sorte d’herbier d’illustrations pittoresques, pour certaines abouties, d’autres saisies à la volée, rehaussées de couleurs ou pas. Il y a là une vitalité, un besoin frénétique de saisir le quotidien et l’anecdote.

Charles : « Ma théorie, c’est qu’on arrive toujours trop tard dans les grandes villes (…). Trop tard quand on vient chercher ce qui n’existe plus, mais on peut se retrouver au bon moment pour vivre ce qui est en train de s’écrire ou de se dessiner ». De New York à Istanbul, de Lisbonne à Beyrouth, de Tanger à Bangkok, le crayon croque, traque, les gens, les monuments, les lieux de vie plutôt que les lieux de mort. Les dessins, souvent nourris de mille détails, composent un « journal de bord », comme le dit Philippe, plus qu’un carnet de voyage, le même expliquant un peu plus loin : « Il ne faut pas chercher à dessiner à tout prix ou vouloir rendre chaque instant prolifique. Voyager, c’est aussi se poser et ne rien faire, juste regarder, ne plus dessiner ». Sagesse ? Pour les apprentis voyageurs dessinateurs, Charles prodigue cependant ses conseils, en matière de carnet de voyage, avec cette règle n°2 : « Ne jamais aller jusqu’au bout d’un carnet ». Ne pas dépasser le milieu pour éviter la catastrophe ! En cas de perte, c’est le drame ! Sagesse, toujours !


Loin des cours d’école à la Titeuf ou des concerts de rock, Zep est un inattendu voyageur. Son « Carnet intime » est non seulement une belle leçon d’aquarelles mais aussi un exemplaire carnet de voyages et de séjours, au fil de vacances et de déplacements, de Porquerolles à Lavertezzo (Suisse) en passant par le Japon, la Tanzanie, le Népal… Les eaux miroitantes lui clignent de l’oeil, les vieilles pierres accrochent son regard, décochent son trait de crayon : vieilles portes, places pittoresques, chapelles ou temples, et beaucoup d’arbres noueux et centenaires aussi… sans témoin ! Zep a choisi pour ce recueil des vues « inhumaines » : à peine un moine de Bodnath, ici, un vendeur de patates douces, là, et des promeneurs évanescents place St Marc, c’est tout, et c’est très reposant. Tout est commenté, daté, jusqu’à cette très belle réflexion : « Le monde ne devient pas plus beau parce que je le dessine. Je le dessine pour comprendre qu’il est beau ». Zep invoque même, dans le dossier de presse, le « plaisir explorateur de dessiner », comme nous avons le plaisir explorateur de parcourir ces quelques dessins voyageurs, parcimonieusement sélectionnés, des dessins proprets qui tranchent avec la fougue du noir et blanc de Dupuy et Berberian.

Les dessinateurs de BD voyageurs, on en retrouvait, du coup, au « Rendez-vous du carnet de voyage » qui s’est tenu du 18 au 20 novembre derniers à Clermont-Ferrand (http://www.rendezvous-carnetdevoyage.com/). Deux albums des éditions La Boite à Bulles y ont été tout particulièrement remarqués. Alors que le Grand prix Michelin « Cartes et guides » a été remis à Benoît Guillaume pour « Chuc Suc Khoe, carnet d’Asie » (éditions Cambourakis), Joël Alessandra figurait parmi les nominés avec « Retour du Tchad : expédition sur les traces d’André Gide ». Alessandra illustre les textes de ses acolytes voyageurs de dessins aquarellés sur le vif et réalise plusieurs planches, adaptations BD du texte de Gide, « Le retour du Tchad ». Au total, un album superbe et passionnant, vivant et pertinent d’autant que ce carnet dénonce également l’inquiétante baisse des eaux des fleuves et du lac Tchad et les problèmes environnementaux qui en découlent.

Pas lauréat, mais mention « Coup de cÅ“ur » du Prix Médecins Sans Frontières pour « Quitter Saigon : mémoires de viet kieus » de Clément Baloup et Olivier Mermet. Baloup, l’auteur du remarqué « Un automne à Hanoï » où il racontait quelques moments privilégiés d’un séjour au pays de ses ancêtres, donne ici la parole à quatre Vietnamiens et brosse leurs itinéraires, tous liés à la ville de Saigon, alternant vie quotidienne et souvenirs douloureux de ces condamnés à l’exil, dont son propre père, qui ont fui dans les années 1970-80 les persécutions du régime communiste. Baloup possède à la perfection le sens du dessin charbonneux et joue avec autant d’aisance de tons impressionnistes qui donnent à ses pages florales une incroyable force.  Pour en savoir plus sur les prix décernés à Clermont-Ferrand : http://www.rendezvous-carnetdevoyage.com/page-les-prix.

Alors, bons voyages !

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook.

« Artbook » par Dupuy-Berberian

Éditions du Chêne (45 €) – ISBN : 9-782-81230-331-9

« Carnet intime » par Zep

Éditions Gallimard (25€) – ISBN : 978-2-07-064366-0

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