PLUS DE LECTURES DU 29 JANVIER 2007

“Alec : la bande du King Canute” par Eddie Campbell, “Angustias T.1 : La marque du péché” par Horacio Domingues et Carlos Trillo, “Waldo’s Bar” par Blutch, “Estelle T.4 : Serial Killer” par Jack Manini et Raymond Maric, et “Le méridien des brumes T.2 : Saba” par Antonio Parras et Erik Juszezak.

 


Cliquez sur l’appareil photo pour découvrir les couvertures des albums chroniqués.


 


De retour d’Angoulême, voici notre sélection hebdomadaire de cinq albums fortement conseillés, comme de bien entendu :


 


Alec : la bande du King Canute ” par Eddie Campbell


Editions Cà et là (15 Euros)


Cette compilation de courts récits dus à l’auteur anglais Eddie Campbell (le dessinateur du «From Hell», écrit par Alan Moore) mérite le détour, car il s’agit de l’un des titres fondateurs de la bande dessinée autobiographique, comme le rappelle Jean-Paul Jennequin (l’inspiré traducteur) dans sa post-face érudite. Alors que cet acteur majeur du 9ème art anglo-saxon se déclare profondément francophile, il ne comprend pas trop pourquoi ses œuvres n’ont pas encore traversé la Manche, à l’exception du pavé initiatique précédemment cité (lequel doit surtout sa célébrité au film qui a suivi et à la réputation du scénariste des «Watchmen» et de «V pour Vendetta»). Il n’y a pourtant rien de vraiment étonnant à ce manque d’exportation, car les errances et l’humour  malin, très référentiel, de Campbell, ne sont pas si faciles d’accès pour un lecteur francophone peu enclin à la curiosité ! Par contre, c’est avec une certaine satisfaction non dissimulée que l’amateur éclairé, lui, lira ces pages (commencées au début des années 1980) qui font certainement partie des plus engagées publiées par la scène alternative anglaise. Merci donc aux éditions Cà et Là pour cette introspection salutaire, laquelle nous permet de mieux connaître l’histoire de la bande dessinée anglaise, voire internationale !


 


Angustias T.1 : La marque du péché ” par Horacio Domingues et Carlos Trillo


Editions Albin Michel (9,40 Euros)


Pré-publiée entièrement dans ce qui est, pour le moment, le dernier numéro de L’Echo des Savanes (n°266 de décembre 2006) -lequel ne coûte que 4,90 euros-, cette spectaculaire BD romanesque, qui nous vient d’Argentine, confirme les talents du scénariste Carlos Trillo et du dessinateur Horacio Domingues. Les deux complices n’en sont pas à leur premier coup d’essai commun mais, avec ce récit historique sur un amour impossible, leurs fougues créatrices semblent complètement complémentaires. Nous sommes en Argentine, en 1840, et, grâce au soutien des propriétaires terriens, un dictateur militaire, allié des Britanniques, règne d’une main de fer, alors qu’en France, le régime de Louis-Philippe en profite pour imposer le blocus du port de Buenos Aires. Un jeune dessinateur satirique français a fui ce régime royaliste pour rejoindre les opposants au général argentin en place. Blessé lors d’une altercation avec les nationalistes, il est recueilli par Augustias, une belle femme exilée, bouleversée par l’assassinat de son époux le jour de son mariage… De la BD tonitruante et foisonnante, comme on aimerait en lire plus souvent !


 


Waldo’s Bar ” par Blutch


Editions Fluide Glacial (11,95 Euros)


Quelle bonne idée d’avoir réédité, dans la très classieuse nouvelle collection «Fluide Glacial» en grand format, ce premier recueil de neuf nouvelles à l’ironie douce-amère, signées Blutch. Ce remarquable dessinateur, adepte du noir et blanc, y faisait déjà exploser son étonnant graphisme expressionniste et cinématographique, tantôt souple et sensuel, tantôt sec et anguleux. Cette débauche de situations et de personnages divers, dont ceux qui reviennent le plus souvent sont le détective de charme Johnny Staccato (avec sa clope et son piano à queue) et le commissaire Mac Nullan (avec son incomparable costume à carreaux), forçait déjà l’admiration lors de leur première compilation en album, en 1992 (après une publication dans l’indispensable mensuel Fluide Glacial) : un univers noir, où l’absurde règne en maître sur des ambiances jazzy et polar !


 


Estelle T.4 : Serial Killer ” par Jack Manini et Raymond Maric


Editions Carabas (13,75 Euros)


Il s’agit du dernier scénario du regretté Raymond Maric, immense créateur populaire (scénariste, dessinateur, rédacteur en chef, journaliste…) qui mit toute sa vie et son talent au service de cette BD qu’il aimait : son nom fut, en effet, souvent associé à ceux des «Pieds Nickelés», de «Bibi Fricotin», de «Tom et Jerry», de «Charlot», de «Droopy», de «Pépito», de «John Parade», de «Gorak», de «La famille Lakouetche», de «Zorro», de «La Ford T», de «Cristal», d’«Arthur le fantôme» ou des plus ambitieux «Morin-Lourdel», pour ne citer que les plus connues de ses innombrables créations ou reprises. Les enquêtes de la fringante suffragette «Estelle» furent l’une de ses dernières créations et sa particularité était de mettre en scène nombre de protagonistes aux patronymes bédéphiles (comme c’est ici le cas avec Convard, Juillard, Froideval, Vernes, Mordillo…). Fort bien imagée par le talentueux Jack Manini, ce dernier a quand même pu terminer cette 4ème intrigue feuilletonesque située dans le Paris de la «Belle Epoque», alors que le décès de Raymond l’avait beaucoup secoué. Il lui a même écrit un hommage mérité pour célébrer sa mémoire en dernière page : page où l’on apprend que lorsque sa santé s’est dégradée et qu’on lui demandait de ses nouvelles, Raymond prétendait se porter comme un étudiant… qui va d’examens en examens !


 


Le méridien des brumes T.2 : Saba ” par Antonio Parras et Erik Juszezak


Editions Dargaud (13 Euros)


Le genre steampunk (appellation anglophone née en 1979 qui désigne aujourd’hui un corpus littéraire basé sur cette interrogation : «que serait le passé si le futur était arrivé plus tôt ») est encore assez peu utilisé dans la bande dessinée francophone. Le dessinateur  Erik Juszezak («Oki» avec Christian Godard ou «Narvalo» avec Yann) est ici uniquement scénariste, et s’en sort fort bien avec ce récit assez fascinant où un guide revenu d’Afrique pourchasse un serial-killer dans un Londres Victorien plongé dans un décor fantastique imprégné de fantastique. Dans ce deuxième tome, le chasseur va découvrir qu’il est au centre d’une terrible machination, laquelle va le ramener vers son passé, sur les pas du trésor de la reine de Saba… Outre l’intérêt et l’originalité de ce scénario initiatique assez riche en rebondissements, ce qui frappe d’emblée à la lecture de la série, c’est l’atmosphère envoûtante créée par les somptueux dessins de l’Espagnol Antonio Parras. Quand on sait que l’homme est en plus l’un des doyens du métier de dessinateur BD (bientôt 79 ans, début février) et qu’il a eu quelques soucis de santé (notamment au niveau des yeux) pendant la réalisation de ce volume (qui vient 3 ans après le premier opus), on ne peut être qu’admiratif devant tant de soin accordé aux détails, aux personnages, aux véhicules et aux décors. Il est assez injuste qu’Antonio Parras ne soit pas mieux considéré aujourd’hui, et les éditions Dargaud seraient bien inspirées de rééditer l’une de ses séries les plus longues : «Ian Mc Donald», publiée dans les pages de l’hebdomadaire Pilote et du trimestriel de poche Superpocket Pilote, de 1969 à 1973. Ce serait aussi un hommage justifié à Guy Vidal, le scénariste de cette saga australienne et le directeur littéraire à qui Dargaud doit tant, car la publication du dernier épisode où le héros principal meurt («Tu n’es pas le bon dieu petit chinois») avait frappé et fasciné tous les lecteurs de l’époque !


 


 


Gilles RATIER


 


 

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